LES
MARTYRS DE JARNY
Comment le Maire et le Curé
TOMBÈRENT
sous les balles prussiennes
LE RÉCIT D'UN TÉMOIN
ANNEMASSE, 2 février. - Parmi les rapports fournis
aux commissions d'enquête figure dans les dossiers
le récit de la quadruple exécution du maire et du
curé de Jarny, fusillés le 26 août, avec les
ouvriers mineurs Bernier et Fidler.
Le maire, M. Génot, avait été emmené comme otage à
Metz, pendant une semaine, dès le début des
hostilités. Il rentra dans sa commune pour assister
aux scènes d'épouvante et d'horreur éclairées par la
rouge lueur des incendies de la Grand-Rue.
Sa maison et celle de son voisin, M. Bérard,
s'abîmèrent les premières dans les flammes. Mme
Bérard eut son enfant tué sur son sein d'un coup de
fusil. Pendant cinq jours, les Allemands lui
refusèrent l'autorisation d'inhumer le petit cadavre
qu'elle eut enfin la triste consolation d'enterrer
elle-même dans une plate-bande de son propre jardin.
Une autre mère de famille, Mme Leroy, fille de M.
Pérignon, dont nous avons relaté la fin tragique,
essaya de protéger son bébé de cinq mois en élevant
le bras gauche au-dessus de lui ; un coup de sabre
lui trancha le poignet. Les Boches s'émurent alors,
un de leurs médecins-majors ordonna le transport de
la blessée dans un hôpital de Metz.
La fusillade en masse de 32 ouvriers italiens dans
la cour de l'hôtel de ville, puis l'abominable
exécution du maire et du curé mirent le comble aux
atrocités.
Les Allemands accusèrent M. Génot d'être monté dans
le clocher avec des chasseurs pour leur désigner les
positions ennemies ; la même accusation fut portée
contre M. l'abbé Vouot.
- C'était une infâme calomnie, un prétexte odieux,
déclare un témoin oculaire. Le maire de Jarny
jouissait d'une corpulence qui suffisait à écarter
une telle imputation. Lui, obèse et lourd, lui,
presque incapable d'exercices réclamant un peu
d'adresse et d'agilité, lui, gravir comme on le lui
reprochait, l'escalier du clocher !.. En d'autres
circonstances on eut souri de ce qui ressemblait à
un tour d'acrobatie.
En vain le maire protesta avec énergie de son
innocence. Les bourreaux refusèrent de l'écouter.
Ils voulaient du sang. Le pillage des caves avait
provoqué chez les Boches une ivresse féroce. Ils se
battaient entre eux.
Plusieurs tombèrent sous le feu de leurs compagnons
de débauche. Les enquêtes ouvertes sur les orgies où
l'on ramassait des cadavres avaient convaincu la
justice militaire que les « sales Français » avaient
commis ces crimes :
- Oui, répétaient les officiers, blêmes de rage, on
a tiré sur nous... on a tué nos soldats... »
Le sort de M. Génot fût vite réglé ; la complicité
(!) de M. l'abbé Vouot valut au digne prêtre
l'honneur de marcher aussi vers le supplice ; les
mineurs Dernier et Fidler furent compris dans le lot
des condamnés.
Vers midi, les quatre hommes furent conduits sur la
route de Doncourt. L'endroit choisi pour l'exécution
fut le mur d'un enclos où jadis une famille de Jarny
avait le droit de réunir ses sépultures et qu'en
raison de cette particularité on désigne couramment
sous le nom de « cimetière Bertrand » Là, un
maréchal des logis de gendarmerie en retraite, de
qui nous tenons ces renseignements, fut à son tour
amené. Qu'avait-il fait ? Il n'en savait rien - et
ses bourreaux n'en savaient pas davantage.
Une providentielle intervention le sauva. Un
Bavarois eut pitié de lui ; il demanda sa grâce,
jurant que ce maréchal des logis s'était bien
conduit, qu'il avait servi la soupe à ses camarades.
On aligna les malheureux. Ils montrèrent un calme,
une placidité admirables. L'abbé Vouot, porta vers
ses lèvres un crucifix ; mais le geste du prêtre
déchaîna une explosion de fureur sauvage ; le chef
du peloton arracha violemment l'image du Christ, la
jeta jusqu'à terre, la piétina en hurlant, les plus
ignobles blasphèmes.
-- Le bruit sec des fusils qu'on arme... un ordre...
et je vis comme en un cauchemar les victimes
s'écrouler sur le sol...
Et le témoin ajoute :
- Le curé tétait pas mort sur le coup. L'officier
s'acharna alors sur l'abbé Vouot ; il lui creva les
veux avec la pointe de son épée. il lui écrasa le
visage à coups de pommeau, répétant sans cesse la
même phrase de haine, mâchant les mêmes outrages : «
Tu ne g.... crieras plus ; Tu as fini de g... crier
! »
Puis, le fusil sur l'épaule, roides comme à la
parade, les bandits s'éloignèrent du groupe immobile
des martyrs étendus dans l'herbe devant le cimetière
Bertrand.
Achille LIÉGEOIS.
LES ALLEMANDS A NORROY
Le 5 septembre 1914, Norroy n'était occupé que par
une section de ligne.
Vers dix heures du matin, les Allemands y arrivèrent
en masse, après avoir lancé quelques bombes aux
alentours du village. Ils en repartirent le
lendemain matin, prenant Pont-à-Mousson pour Nancy
et croyant déjà avoir conquis la capitale de la
Lorraine. Mais à Jezainville, ils furent repoussés
avec des pertes terribles. Jusqu'au 19 septembre,
Norroy fut tantôt allemand, tantôt français, selon
que les patrouilles allemandes ou françaises avaient
l'avantage.
A partir du 19, nous fûmes totalement séparés de la
Patrie française. Nos récoltes furent presque
complètement perdues, car il ne nous était permis de
sortir que pendant deux heures le matin, à certains
jours, accompagnés d'un soldat, qui ne permettait
pas d'aller à plus de cent cinquante mètres du
village. Les maisons étaient livrées au pillage, il
fallait se laisser voler sans rien dire, tout
convenait aux Allemands, de sorte que pour Noël
presque toutes les maisons étaient vides.
Le 8 novembre, les Prussiens emmenèrent cinq jeunes
gens de dix-sept à dix-huit ans. Le 24 décembre, à
onze heures et demie, on prévint tous les hommes de
quinze à cinquante-deux ans qu'il fallait partir à
midi ; nous étions vingt-sept. On nous emmena à
Novéant, où nous passâmes la nuit à la gare, et de
là à Dieuze, où nous arrivions le jour de Noël, à
une heure de l'après-midi. Trois jours après, on
nous fit passer une visite médicale. A Dieuze, il
n'y a que des prisonniers civils, occupés à
différents travaux de terrassement et
d'assainissement. Pas maltraités, relativement bien
nourris et payés à raison de trois mark chaque dix
jours.
Le 31 décembre, on évacue vingt malades et infirmes
de Dieuze sur Rastadt. Là, outre les prisonniers
civils qui attendent la formation d'un convoi de
rapatriement, il y a cinq ou six cents prisonniers
militaires, la plupart blessés et évacués de
l'hôpital avant complète guérison. Très mal nourris,
mal couchés et mal payés, ils y sont encore fort
maltraités par trois ou quatre sous-officiers
allemands commis à leur surveillance. A chaque
instant du jour, ces brutes sifflent le
rassemblement. Il faut courir. Et vous voyez ces
pauvres soldats, dont beaucoup marchent avec des
béquilles, s'efforçant de suivre, poussés à coups de
poing par ces gardes-chiourmes. Ils tombent l'un sur
l'autre, mais il y a derrière eux des chiens, très
bien dressés pour ce genre de sport, qui leur
mordent les mollets et les font se relever. C'est
ignoble et barbare.
UN TAUBE EN PANNE
Moyen, 7 février.
M. le maire de Moyen nous donne les renseignements
suivants sur l'atterrissage d'un taube dans son
village : Le vendredi 29 janvier, à douze heures et
demie, un avion venant du côté de Rambervillers,
paraissant avoir une panne de moteur, a atterri sur
le territoire de Moyen, lieu dit Grande-Saule, à
deux kilomètres environ du village et à proximité de
la forêt où se trouvaient des bûcherons.
Un de ceux-ci, M. Jules Miquel, âgé de 60 ans,
rejoint bientôt par MM. Ploquet et Grandhomme,
s'approcha des deux aviateurs, qui mirent aussitôt
les mains en l'air et rendirent leurs armes, en
priant ces trois citoyens de les conduire au maire
de la commune la plus rapprochée. C'est à ce moment
que des cavaliers de la garnison accoururent et
s'emparèrent de l'officier aviateur et de son
pilote. Le taube fut aussitôt ramené à Moyen. Il
paraît neuf et les dégâts sont insignifiants.
DUELS D'ARTILLERIE AVEC QUELQUES BONDS HEUREUX
Paris, 7 février, 15 heures.
En Belgique, la journée du 6 février a été calme.
Entre le canal et la route de Béthune à La Bassée, à
un kilomètre à l'est de Cuinchy, une briqueterie, où
l'ennemi s'était maintenu jusqu'ici, a été enlevée
par les Anglais.
Dans le secteur d'Arras, au nord d'Ecurie, les
batteries allemandes ont bombardé la tranchée
conquise par nous le 4 février, mais il n'y a pas eu
d'attaque d'infanterie.
D'Arras à Reims, combats d'artillerie où nous avons
pris l'avantage.
En Champagne, nous avons repoussé une attaque d'un
demi-bataillon, au nord de Beauséjour.
De l'Argonne aux Vosges, combats d'artillerie, gênés
dans la région montagneuse par une brume épaisse.
Paris, 8 février, 1 heure.
Voici le communiqué du 7 février, 23 heures :
Dans la nuit du 6 au 7, l'ennemi a prononcé, dans la
direction de Nieuport, plusieurs petites attaques.
Toutes ont été repoussées.
Rien à signaler dans la journée du 7, excepté le
bombardement du quartier nord de Soissons.
L'ENFANT TERRIBLE
Nancy, 8 février.
L'ex-président Roosevelt ne déteste pas les
arguments frappants. J'entends par là qu'il ne se
sert pas de périphrases académiques et volontiers
appelle Rollet un fripon.
Son genre n'est pas le genre discret. Il met
volontiers les pieds dans le plat. Si cela choque
parfois le goût, ce n'est pas toujours pour nous
déplaire.
Ainsi voilà que M. Roosevelt s'est avisé d'une chose
que les diplomates les plus distingués n'avaient pas
encore osé envisager : l'obligation pour les
signataires des conventions de la Haye d'exiger le
respect de ces conventions, et, s'il le faut, les
armes à la main.
Depuis que M. de Bethman-Holweg a décrété que les
traités sont des chiffons de papier, il apparaît que
c'est une conception ridiculement surannée de les
considérer comme des engagements d'honneur établis
par les peuples et les gouvernements.
M. Roosevelt pourtant les tient pour engagements
sérieux. Et à cause de cela il mérite qu'on le
regarde avec quelque respect.
Il faut qu'une pareille observation vienne d'un pays
essentiellement pratique, et d'un des hommes les
plus pratiques de ce pays.
Si j'avais un seul instant supposé, écrit M.
Roosevelt. que cette signature des conventions de la
Haye ne signifiait absolument rien que l'expression
d'un pieux désir que n'importe quelle puissance
serait libre de dédaigner avec impunité, au gré de
ses propres intérêts, je n'aurais certainement pas
permis que les Etats-Unis participent à une pareille
farce...
Comme ce raisonnement nous semble étrange à l'heure
qui sonne !
Personne ne s'était avisé de cela. On dirait que
l'Allemagne a mis un bâillon de fer sur les bouches
les plus éloquentes.
Les signataires des Conventions de la Haye, - à part
les belligérants, - n'ont pas plus bougé que les
bénéficiaires. Grands ou petits peuples, neutres ou
pas neutres, tout le monde a paru accepter toutes
les violations avec le sourire. Les diplomates se
sont mis un boeuf sur la langue, et ont fait signe
qu'il convenait de ne dire mot.
M. Roosevelt, qui a son libre parler, juge
convenable de signaler publiquement que le rôle des
peuples n'est pas d'être sourds-muets, quand une
nation bouleverse brutalement ce qu'ils ont décidé
en commun.
On va l'accuser d'être un don Quichotte attardé. En
tous les cas il apparaîtra à la postérité comme un
homme qui n'a pas eu peur de la vérité, et l'a criée
lorsque tant de puissants essayaient de la taire.
Il est évidemment désagréable, quand on peut être
bien tranquille chez soi, d'affronter les injures de
l'Allemagne et pire encore. M. Roosevelt a estimé
que l'honneur d'une signature donnée par toute une
nation vaut bien qu'on sorte d'une réserve apeurée.
Tant pis pour les timides, et vive le courage public
!
Les Américains ne sont pas seulement des gens
pratiques. Les affaires terminées, ils aiment bien
un peu de sentiment. Ici le sentiment se joint avec
harmonie au sens pratique.
M. Roosevelt croit d'une part qu'on ne peut plus
traiter d'affaires si les signatures ne signifient
plus rien, et d'autre part que les victimes ont
droit à une affectueuse sympathie tandis que les
assassins méritent un châtiment. L'égoïsme en ceci
comme en toutes choses est à la fois un crime contre
la civilisation et une détestable opération
commerciale.
Violer ces conventions, dit l'ancien président des
Etats-Unis, violer les traités de neutralité, comme
l'Allemagne l'a fait pour la Belgique, constitue un
effroyable crime. C'est le plus grave attentat
international qui se puisse commettre, mais il n'est
pas encore aussi méprisable, il ne témoigne pas de
tant d'incapacité et d'indifférence égoïste que
l'attitude des Etats-Unis en refusant de remplir
leurs obligations solennelles, et en n'agissant pas
comme il serait nécessaire de le faire pour nous
épargner la honte qui sera la nôtres si nous
laissons s'accomplir sans protester un crime que
nous nous sommes solennellement engagés à empêcher.
Que vont penser de cette netteté aveuglante les
prudents hommes d'Etat auxquels la peur de se
compromettre clôt la bouche ? Que M. Roosevelt est
un enfant terrible et qu'il a eu tort de dire ce
qu'il faut cacher ?
Oui bien. Mais les peuples songeront que pour le
bien de l'humanité, pour la paix internationale, il
est excellent qu'au-dessus des craintes mesquines et
des silences épouvantés s'élève une voix claire, et
même claironnante, qui évoque la vérité, affirme le
droit, proclame le respect des traités.
Et ce seront les peuples qui auront raison contre
ceux qui les gouvernent, - mal.
RENÉ MERCIER.
EN SAVOIE
Les Réfugiés de la Woëvre
EVIAN-LES-BAINS, 4 février. - Une colonie d'internés
attend à Evian-les-Bains que l'on statue sur son
sort. Peu d'hommes. Le maire de Mouaville et
quelques paisibles cultivateurs de la Woëvre vivent
ici au milieu de familles, dont les chefs se battent
pour la plupart sur le front.
Les vétérans, ceux qui « avaient vu l'Année terrible
» refusèrent de quitter leur foyer. Bah ! ils
savaient bien ce que s'était que la guerre., ils
avaient logé des Prussiens. On n'avait pas trop
souffert. On avait même eu parfois la chance de
tomber sur des officiers qui se montraient assez
convenables, qui parlaient poliment, qui payaient
comptant leurs provisions.
Après tout, à la condition, parbleu ! de s'incliner
sans inutile révolte devant la loi du plus fort, on
ne sentirait pas trop le poids de la botte allemande
:
- Que d'autres s'en aillent.... A leur guise... Nous
resterons... Advienne que pourra... Mais nous sommes
persuadés qu'il n'adviendra rien de mauvais. »
Ils restèrent, les vétérans aux barbes de neige,
appuyant sur une canne leurs corps chargés d'hivers.
Ils restèrent. Leur exemple fut suivi. Les ménagères
prirent leur parti de l'odieux voisinage que la
guerre imposait - et c'est maintenant avec des
larmes, avec un tremblement dans la voix, qu'elles
racontent leur misère, en cachant dans leur fichu un
mioche à la mamelle.
Les Boches chez nous
L'une d'elles. Mme Henri Aubriot, a quitté
Remenauville, le 9 janvier seulement, avec une
quarantaine de femmes dont le souffle glacial de
l'exil a dispersé le troupeau entre Landau et
Rastadt, sur les routes de l'étranger.
Une cinquantaine d'entre elles ont assisté. cet
après-midi, à une réunion où elles exprimèrent leurs
voeux, après un pénible récit de leurs tortures, de
leur supplice ; les étapes de leur voyage sont les
stations d'un long calvaire.
- On gênait les Boches, n'est-ce pas, déclare Mme
Aubriot. Ils occupaient les bois du côté d'Euvezin;
mais ils craignaient une agression, une surprise,
avouant tout haut que si les « Franzoses »
risquaient un coup d'audace, Mort-Mare serait
bientôt pris, avouant qu'à Chambley une bombe
d'aviateur français avait tué un lieutenant dans sa
chambre, sans blesser un seul des cinquante Bavarois
en train de jouer aux cartes dans la maison
voisine... »
La population savait aussi quels ravitaillements
considérables approvisionnaient un camp à Villers,
qu'un lazaret fonctionnait dans le château de Mme
Collignon, qu'un hôpital démontable s'était installé
en deux jours à Jaulny, que des renforts arrivaient
de Metz, que la cavalerie allemande se massait en
vue d'importantes reconnaissances, que la ferme de
Tautecourt regorgeait, d'obus :
- Bref, il fallait se débarrasser de nous, conclut
Mme Aubriot. Le 11 janvier, un ordre a réuni, dans
l'église tous les habitants. Le commandant d'étape a
prononcé un petit discours ; il a regretté, avec des
paroles attendries, qu'on s'éloigne du pays : « Si
vous demeurez en Allemagne, mesdames, vous y serez
bien traitées ; si vous allez en France, répétez à
vos parents que nous sommes contraints de vous faire
la guerre à cause de l'Angleterre. C'est
l'Angleterre, mes chères émigrées (sic), qui a voulu
la guerre et qui porte la responsabilité de vos
misères. »
Il faut payer
Quinze jours avant le départ de la population, on
exerça sur elle une ultime pression pour vider les
bas de laine.
Le maire de Boncourt, resté dans sa commune, fit
lui-même auprès de ses administrés plusieurs
démarches pour exhorter leur générosité; le garde
champêtre, plus formel, n'admettait point de «
rouspétance »
Les localités de la région furent méthodiquement
pillées. Le château de Mme Collignon, quoiqu'il
abritât de nombreux blessés et une partie de
l'état-major, fut l'objet d'un cambriolage en règle.
Meubles et tapis furent transportés dans les
tranchées, avec les lits çà et là enlevés dans les
maisons de Jaulny.
Une réfugiée que j'interroge, Mme Bruneseaux, a la
lettre d'une gretchen, douée d'un sens éminemment
pratique. Elle écrivait à son digne époux : «
Comment se fait-il que ma voisine ait reçu de France
une machine à coudre et que tu ne m'aies rien envoyé
? Il parait que les Français couchent dans de bons
lits; tâche donc de m'en procurer un... »
A Landau
L'exode vers Landau s'effectua sans incident.
Le mot « wachs » se répétait sur tous les wagons et,
dans leur ignorance du terme employé à l'égard des
Alsaciens-Lorrains, les voyageurs présumèrent qu'on
les comparait aux tendres mammifères de leurs
étables.
Des enfants leur montraient le poing aux portières;
d'autres brandissaient des couteaux et criaient à
pleins poumons : « Capout ! les Franzoses ! »
Avec un courage admirable, les femmes répliquaient
sur un ton d'ironie et félicitaient les Boches de
leurs superbes victoires : - « Ah ! oui, vous avez
pris Verdun... Vous avez capturé aussi nos enfants
dans leur berceau, des infirmes qui se traînent sur
des béquilles et même un aveugle. Le kaiser doit
être fier et content de ses troupes. »
Quand les Boches s'avisaient de vanter les charmes
d'une vie abondante et facile, on leur répondait :
- « Oh ! vous ne manquerez de rien chez nous...
surtout si vous avez l'habitude de manger l'écorce
des arbres... »
Les arrêts dans les principales gares fournissaient
aux Boches un motif de boniment pour célébrer, comme
les guides Cook, la splendeur des monuments, les
curiosités des musées, l'alignement des rues,
l'opulence et l'éclat des magasins :
- « Oh ! vous savez parfaitement arranger une ville
d'après votre goût et votre civilisation,
approuvaient les voyageuses... Reims est un modèle
du genre. »
Parfois de belles dames, des bourgeoises en
somptueux falbalas, s'approchaient du train et, avec
des minauderies, en arrondissant la bouche en coeur
de poule, elles offraient des gâteaux, des
friandises, comme si elles recevaient dans leur
salon.
Les lazzis, les quolibets jaillissaient alors en
interminables fusées.
Mais vers Schaffouse, les lampes furent éteintes et
les bouillottes ôtées. Il fallut vivre dans les
ténèbres et le froid des wagons.
- Ici, nous avons retrouvé enfin la France, le
paradis. soupirent les internées dont plus d'une
essuie discrètement une larme avec le coin de son
tablier.
ACHILLE LIEGEOIS.
L'OCCUPATION A THIAUCOURT
Un de nos confrères a pu voir une personne qui a
quitté Thiaucourt le 8 novembre dernier et qui fut
internée à Landau avant de rentrer en France par la
Suisse.
A cette date, les Allemands n'avaient fusillé ni
molesté aucun habitant. Ils s'étaient contentés de
réquisitionner les vivres et de piller dans les
caves le crû renommé, sans oublier, bien entendu, de
se procurer dans les appartements quantité « de
petits souvenirs ».
Dans toutes les maisons logent des soldats
prussiens, nourrissant en quelque sorte les
habitants, car toutes les provisions sont épuisées.
A plusieurs reprises, le maire et des notables ont
été emmenés puis ramenés par les Boches.
Un assez grand nombre de maisons ont été atteintes
par notre artillerie. Mais, jusqu'au 8 novembre, on
ne signalait aucune victime dans la population
civile. Il n'en a pas été de même pour les
envahisseurs. Un jour, notamment, un obus a tué 5
enfants de la vieille Germanie.
Des habitants de Thiaucourt auraient été envoyés en
assez grand nombre en Bavière, à plusieurs reprises.
Peut-être se trouvent-ils parmi les 5.000 rapatriés
qui doivent arriver, ou sont arrivés, par la Suisse,
à Annemasse, en Savoie.
AU PAYS DE BRIEY
A AUBOUE
Du « Bulletin de Meurthe-et-Moselle » :
Un jeune homme d'Homécourt, qui voyageait en
permanence dans les cantons de Briey et Conflans et
a quitté le pays le 8 décembre, nous fait les
déclarations suivantes :
On entretient les feux dans les usines d'Auboué et
d'Homécourt, et les stocks de minerai et fonte sont
intacts.
Tout au début de la guerre, lorsque les Allemands
ont envahi le pays, ils ont pillé les magasins,
entre autres : les épiceries Perrin, notamment,
Galeries du Progrès, Manufactures Lorraines,
Fabriques Belges, Bazar Maclot, les cafés ; ces
derniers ont été fermés au bout de quelques jours,
car les soldats consommaient sans payer.
Pendant un certain temps, quatre cents soldats
environ ont logé à Auboué, un peu partout, au moment
où ils étaient occupés à faire des tranchées.
De temps en temps, il en revient, mais qui ne font
que passer. Le jour du départ de notre correspondant
il y avait six ou huit hussards logés maison Breton,
une douzaine de fantassins dans le village,
vingt-cinq à trente hommes à la gare d'Auboué, deux
chefs de police, quelques officiers et des gendarmes
installés chez Besson. Dans quelques grosses maisons
de maître, les Allemands ont réquisitionné les
bouteilles de vin fin, ainsi que les liqueurs ; de
même chez Guerbert et chez Besson.
Certains cafés sont ouverts ; ils s'approvisionnent
vers Metz.
Les épiciers Ludvig Heier ne vendent que des
produits allemands.
Les moulins Beaucard, d'Auboué ; Loigillon, de la
Caubre ; Beaucard, de Hatrize, n'ont pas été
totalement dépouillés de leur farine et les
boulangers ont du pain.
La viande, jusqu'à ces derniers temps, a été fournie
par un boucher de Joeuf et un autre d'Homécourt, qui
ont encore trouvé quelques bêtes à acheter dans le
pays. Celui d'Homécourt, le 8 décembre, avait des
bêtes pour cinq à six semaines à l'écurie. Il reste
quelques chevaux et quelques vaches à lait dans le
pays.
A Auboué, personne n'a été emmené comme otage. A
Briey, Moutiers, Auboué, Homécourt et Joeuf les
Allemands n'ont pas encore enlevé les hommes
susceptibles d'être armés (de 18 à 50 ans).
Au-dessus de Briey, ils ont enlevé tout le monde.
A Auboué, les gens ont le droit d'avoir de la
lumière jusqu'à huit heures ; à Homécourt, jusqu'à
sept heures seulement. C'est Sainte-Marie qui
fournit la lumière électrique à Auboué, moyennant un
arrangement que n'a pas accepté Homécourt.
Les Allemands ont raccordé la gare d'Homécourt avec
la maison de Wendel et Moyeuvre, mais ils se servent
rarement de ce chemin de fer (deux ou trois fois
depuis le début).
Les Allemands n'auraient pas commis de violences sur
des personnes d'Auboué.
La circulation est assez libre et quand des
laissez-passer sont exigés, on les obtient assez
facilement, ceci s'entend pour rayonner autour
d'Auboué.
Les soldats allemands occupant Auboué seraient en
partie des soldats âgés et ne seraient pas méchants
vis-à-vis des habitants.
M. Bastien, maire de Joeuf, a été emmené plusieurs
fois à Moyeuvre et relâché aussitôt.
NOS RÉFUGIÉS EN SAVOIE
CINQ MILLE LORRAINS
sortent des
CAMPS DE CONCENTRATION
Les premiers convois
L'opinion en Suisse
ANNEMASSE, 5 février. - Oh ! le lamentable, le
sinistre cortège. Des vieillards cassés par l'âge,
émaciés par les privations, minés par la maladie,
des femmes à peine vêtues, des enfants frileusement
emmitouflés dans un mauvais châle, des gosses de
tout âge qu'on traîne, visages blêmes, ayant dans
leurs yeux le mystérieux étonnement des êtres voués
aux trop précoces souffrances, c'est un morne défilé
de misère, de deuil et de désespoir qui, lentement,
sous les arbres blancs de givre, se répand à travers
les rues d'Annemasse.
La compagnie genevoise des tramways met
gracieusement ses voitures et son personnel à la
disposition des commissions de rapatriement ; la
municipalité d'Annemasse déploie un zèle infatigable
; le sous-préfet de Saint-Julien. accueille avec un
généreux empressement. Des malheureux dont le flot
grossit sans cesse ; M. Perrier. commissaire spécial
à la gare, et ses collègues de la sûreté générale
s'acquittent de leur tâche délicate et lourde à la
satisfaction de tous.
De son côté, M. Magre tuent à prouver qu'en ces
circonstances il est plutôt un représentant des
intérêts de l'Est que l'administrateur d'un
arrondissement frontière.
La journée a été bien remplie.
On avait annoncé l'arrivée de 5.000 Lorrains, à
raison. de 500 par jour, en plusieurs convois
Amenant de Shaffouse les victimes de l'invasion,
parquées depuis le mois d'octobre dans les camps de
concentration dé la Bavière et au grand-duché de
Bade.
Comme il fallait « faire de la place », on décida
l'évacuation d'un certain nombre de réfugiés sur les
principales villes du Midi : les uns partirent hier
pour Nice ; les autres s'en allèrent aujourd'hui
dans la direction de Grenoble...
Enfin, avis était donné à la ville d'Evian-les-Bains
qu'elle recevrait par train spécial un premier
convoi de 500 personnes.
Les malades, qui représentent heureusement,
hâtons-nous de le dire, une très faible portion du
contingent, demeureront à Annemasse et à Thonon en
traitement jusqu'à complète guérison.
Trois services de tramways entre Genève et Annemasse
se sont succédé pendant la matinée.
Les pauvres gens, dont le pied foule le sol de la
Patrie après tant d'angoisses, appartiennent pour la
plupart aux communes de Saulx-en-Woëvre,
Hannonville, Maizeirais, Mouilly, Herbeuville,
Combres, etc..., dans la région de Fresnes.
Ils séjourneront ici fort peu de temps ; ils seront
incessamment, évacués dès que l'état de leur santé
permettra de nouveaux voyages à cette tribu errante,
chez qui la notion du temps s'est effacée et qui n'a
pas même retenu le nom des pays où s'abritèrent
momentanément leur lassitude et leur chagrin.
Tous ont quitté la Meuse vers fin septembre. Les
hommes avaient été jetés dans les prisons de Metz.
On est presque sans nouvelles de la plupart d'entre
eux. Les femmes, les vieillards, les enfants ont
suivi les roules lugubres de l'exil ; ils ont échoué
dans le camp d'Amberg avant de goûter une
tranquillité relative à Rastadt.
Oh ! les douloureux récits qu'ils nous ont faits,
les sanglots qui leur serraient la gorge, le torrent
brûlant de larmes qui ruisselaient sur la maigreur
des joues, l'accablement qui brisait leurs corps
épuisés, leur poitrine creusée par les quintes de
toux...
Une joie, un réconfort les attendaient au delà de
Shaffouse, quand, la frontière franchie, un cri de «
Vive la France ! » salua le cortège.
En traversant la Suisse, les réfugiés ont a autre
chose à faire que de lire les journaux. On peut le
regretter. Ils auraient vu que, si une cordiale
hospitalité leur prodiguait, au passage mille petits
cadeaux et mille attentions délicates, la presse
traduit bien, de son coté, les sentiments dont les
manifestations se renouvellent à chaque convoi.
La « Tribune de Genève » conseille aux commerçants
allemands une prudente abstention dans leur
propagande en faveur des Boches ; elle leur signale
les inconvénients du boycottage qui les frapperait
d'à mères représailles ; elle dénonce et flétrit,
les mensonges de l'agence Wolff.
Le « Journal de Genève » raille avec finesse les
communiqués d'outre-Rhin ayant la prétention de
démentir Les informations de source française en ces
termes :
« Pour juger les erreurs ou les exagérations de
l'état-major français, on n'a qu'à les confronter
avec les nôtres... »
Evidemment !
La « Suisse » publie des « échos » sans indulgence
pour la nation qui viole les neutralités et massacre
avec ses zeppelins des populations inoffensives.
C'est par les mêmes gazettes qu'on apprend une foule
de nouvelles telles que des débarquements de troupes
et leur répartition ; c'est par elles que nous
suivons attentivement les critiques délivrées de
toute censure, que nous possédons les extraits du «
Times » jugés ailleurs dangereux pour la défense
nationale, que nous puisons dans l'appréciation
quotidienne des événements une confiance plus haute,
un espoir plus inébranlable dans le triomphe de
notre cause.
...Et, chaque jour, cinq cents réfugiés débarqueront
ainsi à Annemasse.
On croit que la population de Longwy, de Briey et de
Conflans, ainsi que la région vosgienne, seront
représentées dans les prochains convois.
Je vous enverrai tous les renseignements
susceptibles d'éclairer les lecteurs de l' « Est
Républicain » sur le sort de leurs parents, de leurs
amis, des êtres qu'ils chérissaient et dont ils
furent si cruellement séparés pendant six longs
mois.
Parmi les récits qui méritent d'être publiés, on
peut noter ceux des Meusiens qui assistèrent aux
inutiles et terribles attaques des Boches contre
Verdun.
Il y a là un émouvant chapitre de l'histoire
lorraine.
Achille LIEGEOIS.
LES RÉFUGIÉS LORRAINS DANS LA HAUTE-SAVOIE
ANNEMASSE, 6 février. - Voici la liste des communes
qui ont fourni un contingent d'internés aux premiers
convois venus des camps de concentration allemands :
Vendredi, 5 février : Pareid, Champion, Herbeuville,
Marchéville, Billy-sous-les-Côtes, Saint-Remy,
Fresnes-en-Woëvre, Woinville, Saint-Hilaire,
Maizeray, Combres, Saulx-en-Woëvre et Fresnes.
Toutes ces localités appartiennent au département de
la Meuse. Ils venaient d'Amberg et Rastadt.
Quelques habitants de Colroy-la-Grande, dans les
Vosges, se trouvaient parmi les Meusiens. Ils
venaient de Bischwiller (Alsace)
Tous, sauf les malades mis en traitement à l'hôpital
de Thonon, ont été dirigés sur Evian-les-Bains.
Samedi, 6 février : Hussigny, Termes (Ardennes),
Billy-les-Mangiennes, Romagne-sous-les-Côtes,
Parfondrupt, Ornes, Senon, Combres, Etain,
Chaumont-sur-Aire, Arlon. (Belgique), Loison,
Watronville, etc.
La plupart des internés ont été dirigés sur Alais
(Gard) et une cinquantaine d'entre eux seulement
seront logés dans la région savoisienne.
A noter parmi eux, la présence d'un cultivateur
meusien M. Jean-Baptiste Charron, âgé de 92 ans, le
doyen, très probablement, des réfugiés.
Enfin, plusieurs Alsaciens-Lorrains, expulsés de
Colmar, arrivaient en droite ligne des camps
d'internement de Zwickau, Rastadt et Amberg.
M. Jean Schroeder, interprète auprès du commissariat
spécial d'Annemasse, se met fort obligeamment à la
disposition des intéressés pour leur fournir les
renseignements qu'ils désirent.
De même, pour la région de la Woëvre, on peut écrire
ici à M. le curé des Eparges, presbytère
d'Annemasse.
Nouveau convoi
ANEMASSSE. 7 février. - Le troisième convoi de la
même importance que les précédents, comprenait 456
internés, parmi lesquels une dizaine de personnes
émigrées en septembre dans le grand-duché de
Luxembourg.
La plupart d'entre eux provenaient du camp de
Zwickau, d'autres de Bayreuth et quelques-uns
seulement d'Ambert.
La situation, au camp de Zwickau, était navrante.
Sur 1.500 réfugiés, la mortalité a sévi sur les
vieillards et les enfants dans l'effrayante
proportion de 25 %.
Tous ces malheureux sont originaires des villages
suivants : Loison, Termes, Xivrey, Damvillers.
Azannes, Richecourt, Romagnes-sous-les-Côtes,
Maucourt, Montsec, Amel, Buzy, Chaumont-devant-Dam
villers, Flabas, Etain, Gremilly, Rouvres,
Billy-les-Mangiennes, Haudainville, etc., pour le
département de la Meuse.
Pannes, Saint-Baussant, Pienne,
Gouruincourt-Longïvv, Longuyon, pour le département
de Meurthe-et-Moselle.
Les Ardennes étaient représentée par les communes
d'Autry, Mohon et Mourron.
Parmi les nombreuses familles, .citons une mère
venue à Annemasse avec ses neuf enfants, dont le
mari est sur le front: c'est la famille Laimes, de
Romagnes-sous-les-Côtes.
A 17 heures, un train spécial, organisé par les
soins de la commission du réseau P.L.M., à Chambéry,
est parti pour Valence (Drôme), ou les réfugiés
lorrains de ce troisième convoi attendront la fin de
la guerre. - A. L.
NOS MINES ET CANONS TRAVAILLENT BIEN
Plusieurs attaques repoussées
Paris, 8 février, 15 h. 10.
De la mer à l'Oise, duel d'artillerie assez violent
dans la région de Cuinchy (ouest de La Bassée).
Au sud-ouest de Carency, nous avons réussi un coup
de main sur une tranchée allemande, qui a été
bouleversée par une mine et dont des défenseurs ont
été tués ou pris.
Sur le front de l'Aisne et en Champagne,
bombardement intermittent. L'efficacité du tir de
notre artillerie a été constatée sur plusieurs
points. A l'ouest de la cote 191, au nord de
Massiges, nos batteries ont enrayé une tentative
d'attaque.
En Argonne, une attaque ennemie vers Fontaine-Madame
a été repoussée.
A Bagatelle, une violente action d'infanterie a été
engagée, dès le matin, par les Allemands. Aux
derniers renseignements, toutes nos positions
étaient maintenues.
Sur le reste du front, rien à signaler.
Leurs succès inventés
Une note officielle dément d'une façon formelle la
nouvelle contenue dans le communiqué allemand du 7
février, suivant laquelle les Allemands se seraient
emparés d'une de nos tranchées, au sud-est d'Ypres.
DEUX CHAUDES AFFAIRES
Leur fureur n'aboutit
qu'à un sanglant échec
Paris, 9 février, 0 h. 40.
Voici le communiqué officiel du 8 février, 23
heures:
Dans la nuit du 6 au 7 février, l'ennemi avait fait
exploser trois fourneaux de mine à La Boisselle,
devant les maisons du village que nous occupons.
Deux compagnies et demie avaient été lancées à
l'assaut de nos positions, mais elles n'avaient pas
pu dépasser les entonnoirs formés par l'explosion.
Au cours de l'après-midi du 7 février, une
contre-attaque exécutée par une de nos compagnies a
chassé l'ennemi des entonnoirs, que nous avons
organisés aussitôt.
Les Allemands ont baissé deux cents morts sur le
terrain.
Dans la nuit du 7 au 8 février, au nord de
Mesnil-les-Hurlus, nous nous sommes emparés d'un
bois où l'ennemi était solidement établi.
En Argonne, l'action d'infanterie engagée à
Bagatelle s'est produite toute la nuit du 7 au 8
février.
Les Allemands, après avoir réussi à progresser,
n'occupaient plus, à l'aube du 8 février, que
quelques rares éléments de notre ligne la plus
avancée, autour desquels la lutte a continué dans la
journée.
COMMUNE ÉVACUÉE
Les derniers habitants de Manoncourt, qui avaient
tenu à rester dans leurs maisons, ont quitté lundi 8
février la commune, en emmenant sur leurs chariots
ce qu'ils ont pu de mobilier et de récoltes.
Les habitants sont arrivés, dans l'après-midi, à
Nancy, où ils ont été hospitalisés.
Le maire et son adjoint restent seuls parmi les
militaires qui cantonnent dans la commune.
DANS LA MEUSE
AUX PAYS OCCUPÉS
Extraits du « Bulletin meusien » : Dieppe, qui
n'avait encore rien reçu, a été bombardé cette
semaine. L'église est à moitié démolie. Restent donc
indemnes, le long des Côtes-sous-Verdun :
Watronville, Châtillon, Eix, Damloup, Vaux et
Ronvaux.
Mouilly est presque complètement détruit. Rupt a peu
souffert.
- Jonville serait un centre de ravitaillement
allemand ; à ce titre, il serait ménagé.
- Harville, terminus de la petite ligne allemande
qui vient de Conflans, paraît être dans le même cas.
LES NEUTRES MENACÉS S'ÉVEILLENT
Nancy, 9 février.
Il faut que les Allemands soient bien durement
éprouvés par le blocus maritime pour qu'ils aient
décidé de torpiller indifféremment et sans avis tout
navire, ennemi ou neutre, de commerce ou de guerre,
qui se hasarderait dans les eaux de l'Angleterre et
de l'Irlande, la Manche comprise.
C'est un bluff certes puisque la marine allemande
est incapable de bloquer les îles anglaises, et
c'est une folie qui va réveiller les puissances
neutres, lesquelles fermaient les yeux tant qu'elles
pouvaient.
La violation de la Belgique, les atrocités commises
dans les pays envahis, le mépris hautain des armées
germaines pour toute convention internationale, pour
toute loi humaine, cela n'avait pas suffi à faire
comprendre qu'un peuple féroce se ruait sur
l'univers entier. Les puissances qui ne combattaient
pas nous accordaient bien quelque sympathie, mais
une sympathie lointaine et détachée. Certains même
trouvaient mauvais que nous résistions si
énergiquement puisque cette résistance les gênait
dans leurs affaires.
Et par la folie furieuse de l'Allemagne voici que ce
bel assoupissement se change en colère. Demain ce
n'est pas le voisin seul qui supportera le poids de
la barbarie allemande. C'est tout le monde.
La presse germanique ne mâche pas les mots
d'ailleurs :
Que nous importent, écrit le « Lokal-Anzeiger », que
nous importent les criailleries des neutres et
l'indignation de nos ennemis.
« Nous autres Allemands, nous avons à tirer de cette
guerre une grande leçon, celle de ne pas manifester
de délicatesse et de ne pas écouter ce que les
neutres peuvent dire. »
L'indignation de leurs ennemis? Ah ! non, leurs
ennemis n'ont plus d'indignation à dépenser pour
eux. Nous l'avons toute dépensée avec un verbalisme
épuisant au commencement de la guerre.
Mais les neutres ne feront pas entendre assurément
que des criailleries. Quand ils auront été traités
sur mer comme ont été traités les Belges sur terre,
ils ne se contenteront pas de criailler. Ils feront
comme les Belges. Ils se défendront.
Les Américains ont commencé à protester.
Le New-York Herald écrit :
Le droit de visite est accordé par les lois
internationales ; mais l'acte qui consiste à couler
des navires ennemis ou neutres sans s'inquiéter de
mettre en sécurité les équipages mérite la
qualification de crime de grand chemin.
Et le New-York Herald dit
Dès que les Allemands commenceront à couler des
paquebots américains, notre neutralité sera modifiée
et nous appliquerons une vieille règle. La nouvelle
neutralité placera la nation qui commet des actes de
pirates dans la catégorie des pirates, et la vieille
règle traite comme des pirates ceux qui assassinent
au nom de la guerre.
En Hollande, les journaux s'indignent. A Amsterdam,
le conseil des ministres se réunit ainsi que les
compagnies maritimes hollandaises pour discuter le
communiqué de l'amirauté allemande.
Dans les Etats Scandinaves, la presse proteste
violemment.
En Italie la Tribuna assure que les neutres
n'admettront pas qu'on les frappe sous prétexte de
représailles contre les Anglais.
Ainsi d'un seul coup, par une seule déclaration les
Allemands ont réussi à soulever contre eux toutes
les nations qui se reposaient dans leur sérénité, et
ne songeaient point à prendre les armes.
Ce n'est pas encore la fin. Mais lorsqu'un
sous-marin allemand aura envoyé au fond de l'eau des
navires américains, italiens, espagnols, danois,
suédois, ou norvégiens, et noyé les équipages et les
passagers, je ne vois pas comment les neutres feront
pour garder leur neutralité.
Cette décision de l'Amirauté allemande nous promet
des jours mouvementés, si jamais elle est exécutée.
Pour l'Angleterre, elle a répondu comme il convient
à la menace. Elle a porté à trois millions d'hommes
l'effectif de son armée.
Attendons maintenant le premier accident.
RENÉ MERCIER.
LE SIÈGE DE VERDUN PAR LES ALLEMANDS
Leurs officiers racontent comment ils devaient
envelopper la place et s'en rendre maîtres
EVIAN-LES-BAINS. - J'ai pu m'entretenir longuement
avec les habitants des villages blottis au pied des
Hauts-de-Meuse. Ils ont hébergé les Allemands ; ils
ont souvent assisté aux conversations des officiers
boches et ceux-ci ont même fait souvent à leurs
hôtes une sorte de cours ayant pour but de leur
expliquer la « manière de prendre Verdun ».
Rien de plus simple, à la vérité. De même que, pour
la fabrication d'un canon de fusil il suffit de se
procurer un trou et de mettre du fer autour, de même
pour Verdun, le kronprinz n'avait qu'à garnir de
soldats tous les environs de la place.
Voici comment s'exécuta le plan d'investissement en
août-septembre... et comment il échoua, quoique
l'ennemi ait cassé assez d'oeufs pour préparer son
omelette.
De Briey, une marche rapide vers le nord se heurta,
pendant la deuxième quinzaine d'août à la résistance
française du côté de Spincourt et Pillon. Notre
repli sur Damvillers et Dun leur livra la vallée de
la Meuse jusqu'en avant de Stenay ; ils franchirent
la rivière, occupèrent Montfaucon et vinrent établir
de solides positions dans le bois de la Grurie.
Ils y sont encore !
Une autre armée s'étendait au sud, entre Etain et
Fresnes, où l'on signale pour la première fois sa
présence le 7 septembre. Le soir du même jour.
Frésnes-en-Woëvre brûle. Les Allemands atteignent,
par Combres, les Hauts-de-Meuse ; leurs batteries se
placent à proximité du village des Eparges et c'est
de là qu'elles commencent le bombardement du fort de
Troyon.
Peu à peu, l'ennemi gagne du terrain. Il avance
insensiblement sur Saint-Remy et Mouilly, pour se
rapprocher enfin, le 10 septembre, de
Rupt-en-Woëvre, dans un bois où le fort de Génicourt
les accable d'une pluie d'obus.
Bon gré, mal gré, il faut alors se retirer vers
Mouilly et c'est dans cette retraite que l'armée
allemande apprend avec tristesse l'issue lamentable
des opérations sur la Marne.
Tandis qu'après son aventure dans les marais de
Saint-Gond, le kronprinz se voit obligé de rejoindre
en Argonne ses troupes du bois de la Grurie, le
recul sur les Hauts-de-Meuse s'accentue encore et, à
partir du dimanche 13 septembre, les Boches se
résignent à défendre avec une farouche énergie la
tranchée de Calonne, une route qui relie les abords
du fort du Rozelier et le chemin de Mouilly à
Saint-Remy.
Ils y sont encore !
On a vu, par ailleurs, la liste entière des
localités qui ont fourni aux convois de réfugiés un
nombreux élément ; cette liste indique exactement la
partie de la Woëvre occupée à l'heure actuelle par
l'invasion.
On signale, entre Combres et les Eparges, tel
sentier où les tranchées allemandes et françaises
sont séparées seulement par la largeur de la route ;
les réseaux de fils de fer des adversaires se
confondent et, depuis deux mois, personne ne se
risque hors des abris sans être aussitôt abattu par
les coups de fusil.
Tel était leur plan, m'indique le jeune curé des
Eparges. Allez ! je les connais par coeur ; ils me
l'ont répété presque tous les jours, tantôt en
déployant leurs cartes, tantôt en traçant sur le sol
avec la pointe de leur sabre les progrès de leurs
troupes. Verdun allait capituler en moins d'une
semaine. Voilà cinq mois qu'ils s'épuisent en
stériles et coûteux efforts. »
Maintenant qu'un échec a déçu leurs prévisions, les
officiers ont changé d'attitude et de langage ; ils
affectent une sorte de mépris, ils font la moue en
parlant de Verdun :
- Nous n'avons plus besoin de cette ville ; la
France est amie. Ce que nous voulons, c'est
Londres... »
Raisins trop verts !
ACHILLE LIÉGEOIS.
CONTRE LES TAUBES
Le maire d'Epinal donne à ses concitoyens les
conseils suivants pour se préserver des dirigeables
ennemis et des Taubes :
« Les habitants devront dès qu'un avion sera en vue
: Ne pas séjourner aux étages supérieurs. Fermer les
volets ou les persiennes pour éviter le bris des
carreaux ; s'abriter derrière les murs de façade ou
se réfugier dans les caves ; ne pas séjourner dans
les rues et places pour éviter de recevoir des
fléchettes.
Dans le cas où des bombes seraient lancées, visiter
de suite les maisons atteintes pour arrêter les
incendies éventuels. »
Le maire compte sur la prudence des Spinaliens pour
ne pas exposer inutilement leur vie.
LE COMBAT DE BAGATELLE
Sur les autres points, Il y a eu surtout d'heureux
duels d'artillerie
Paris, 9 février, 15 heures.
En Belgique, lutte d'artillerie intermittente. Ypres
et Furnes ont été bombardées. L'artillerie belge a
détruit une ferme dont les défenseurs se sont
enfuis.
Le long de la route de Béthune-La Bassée, nous avons
réoccupé un moulin où l'ennemi avait réussi à
s'installer.
Bombardement de Soissons avec des projectiles
incendiaires.
Sur tout le front de l'Aisne et en Champagne, notre
artillerie a efficacement contre-battu les batteries
allemandes.
En Argonne, la lutte engagée autour de Bagatelle
s'est déroulée dans une des parties les plus denses
de la forêt et a pris, de ce fait, un caractère
assez confus. Le front a été maintenu dans son
ensemble de part et d'autre. Les effectifs engagés
le 7 février n'ont pas dépassé trois ou quatre
bataillons de chaque côté. Au cours de la journée
d'hier, un de nos bataillons seulement a combattu.
En Lorraine et dans les Vosges, actions
d'artillerie.
Paris, 10 février, 0 h. 55.
Le communiqué officiel du 9 février, 23 heures, dit
:
Aucun événement important n'a été signalé.
Dans l'après-midi du 8 février nous avons fait
sauter, devant Fay, au nord-ouest de Péronne, une
galerie de mine où des soldats ennemis
travaillaient.
Entrez dans la danse
Il n'est pas bon de s'exciter, comme dit un confrère
américain, à propos de la décision de l'Amirauté
allemande. Il n'est pas mauvais cependant d'en
étudier les effets par le monde, et d'en prévoir les
conséquences.
Les effets on en connaît quelques-uns. Dès que le
gouvernement allemand a fait connaître aux
puissances que ses sous-marins torpilleraient sans
avis tout navire qui se hasarderait dans la Manche
ou dans les eaux qui entourent l'Angleterre et
l'Irlande, tous les pays ont protesté avec énergie.
Le monde entier s'est indigné.
La presse germanique a haussé le ton, et maintenu
âprement la menace de sa marine.
Le Lokal Anzeiger a déclaré que peu importaient les
criailleries des neutres, et tous ses confrères ont
fait chorus.
Et il est arrivé aux neutres ce qui est advenu à la
France. Ils avaient jusqu'ici dit « Amen » à toutes
les prétentions germaniques. Cette fois-ci ils ne
peuvent plus accepter. Ils se révoltent.
Mais les Allemands ne sont pas entêtés quand on
parle aussi fort qu'eux. Du jour au lendemain, sans
toutefois renoncer à la manière forte, ils ont
cherché des explications à leurs menaces. Ils ont
trouvé comme d'habitude les plus inattendues. On
dirait vraiment que lorsqu'ils ne travaillent pas
dans l'horrible, ils s'efforcent dans le grotesque.
Ils déclarent aujourd'hui que s'ils torpillent les
navires neutres en même temps que les vaisseaux des
belligérants, s'ils désirent envoyer pêle-mêle au
fond de la mer combattants et non-combattants,
civils et militaires, femmes et enfants, passagers
et équipages, marchandises et matériel de guerre,
amis et ennemis, c'est, - on ne le croirait pas si
les textes n'étaient pas là, - c'est dans l'intérêt
bien compris des neutres.
Oui, dans leur intérêt.
Voici en effet comment se termine le mémoire que le
gouvernement allemand envoie aux puissances alliées,
neutres et ennemies :
Le gouvernement allemand annonce cette mesure assez
à temps pour que les navires ennemis aussi bien que
les navires neutres aient le temps de prendre leurs
dispositions à cet effet pour toucher les ports
situés sur le théâtre de la guerre.
On peut espérer que les Etats neutres ne tiendront
pas moins compte des intérêts vitaux de l'Allemagne
que de ceux de l'Angleterre et contribueront à tenir
leurs ressortissants et les propriétés de ceux-ci
éloignés du théâtre de la guerre. On peut l'espérer
d'autant plus que les Etats neutres doivent aussi
avoir à coeur de voir se terminer aussitôt quel
possible la terrible guerre actuelle.
Ainsi, c'est par amour de ces pauvres neutres qu'on
va les couler à pic.
Le chancelier de Bethman-Holveg affirme tout uniment
que ce sont les neutres qui ont tort.
Nous regrettons que cette guerre lèse les intérêts
des neutres ; mais nous ne pouvons pas renoncer à
notre défense dans cette lutte commerciale sans
pitié que l'Angleterre a inaugurée il y a longtemps
au détriment des neutres qui, malheureusement, n'ont
pas protesté d'une manière efficace contre le fait
qu'un peuple de 70 millions d'âmes, avec les femmes
et les enfants, soit réduit à la famine.
Savourez encore cet amour d'explication historique
que sert à ses lecteurs le Berliner Tagblatt. Il
vaut son pesant de choucroute :
Il faut faire savoir clairement au monde entier que
la Grande-Bretagne, qui se vantait toujours
d'intervenir en faveur de la liberté des mers,
néglige en fait tous les intérêts étrangers en
violant à son profit tous les droits. L'Espagne, la
Hollande et la France ont tour à tour succombé dans
la lutte contre la prépondérance anglaise. L'empire
allemand ramasse aujourd'hui l'épée tombée de leurs
mains.
L'empire allemand a conscience que ses mesures
produiront des dommages appréciables aux puissances
neutres, mais ces dommages sont légers en
comparaison de ceux que la Grande-Bretagne leur
cause sans raison. Mais l'empire allemand est poussé
par la nécessité. Dans la lutte qui lui est imposée
contre quatre grandes puissances, dans sa lutte pour
son existence comme Etat et comme peuple, il a le
saint devoir de risquer contre un adversaire
tout-puissant la dernière chance. Le prix de sa
lutte est la liberté des mers.
Oui, si les Allemands noient tous les neutres qu'ils
rencontreront aux environs de l'Angleterre, c'est
dans l'intention de leur conserver la liberté des
mers.
Ainsi Ugolin mangeait ses enfants pour leur garder
un père.
Quant au Lokal Anzeiger, toujours lus drôle, il
soutient que « l'Allemagne. en usant simplement du
droit de représailles, assure non seulement son
propre avenir, mais aussi celui des Etats neutres
contre la politique de violence de l'Angleterre ».
Cette opinion n'est donc pas une opinion isolée.
Cette explication n'est pas une explication
fantaisiste inventée par un Lemice-Terrieux
germanique en délire. C'est l'avis du gouvernement
allemand, c'est l'avis de M. de Bethman-Holweg,
c'est l'avis de tous les journaux, qui obéissent
d'ailleurs passivement au mot d'ordre venu d'en
haut.
Et la Gazette de Voss dit encore :
Ce que fait l'Allemagne n'est pas seulement pour sa
propre défense ; c'est aussi afin de mettre à l'abri
les puissances neutres des procédés arbitraires dont
fait usage l'empire britannique.
Elle termine ainsi :
- La danse pourra commencer le 18 février.
Nous verrons au 18 février ou aux jours suivants si
les neutres acceptent d'être torpillés et coulés,
sans même un avis préalable, dans leur propre
intérêt.
Les Etats-Unis n'ont pas l'air de goûter très fort
cette conception du sauvetage des neutres par le
système de la noyade. Comme le guillotiné par
persuasion l'Amérique a de la méfiance.
Le New-York Herald écrit même :
Le fait de couler un navire américain pouvant être
assimilé à un acte de guerre mi de brigandage, il
semble impossible qu'un gouvernement puisse le
laisser passer impunément, sans être de ce fait voué
à l'exécration publique.
Les Italiens-ne sont pas plus enthousiastes pour
cette façon de les mettre à l'abri des procédés
anglais.
Les Suédois attestent que cette manière de terminer
la guerre leur serait extrêmement désagréable. Bref
tout le monde paraît bien avoir la ferme intention
de ne point, supporter les coups de l'Allemagne sans
les rendre.
Les neutres vont adopter eux aussi cette loi de la
guerre, édictée par un journal de Berlin.
- Qui ne se défend pas ne doit pas être respecté.
RENÉ MERCIER.
DIX JOURS DE
GUERRE
La fête du kaiser lui a coûté un hécatombe de 20,000
hommes
Paris, 10 février, 1 h. 14.
Le résumé des opérations de guerre du 27 janvier au
6 février, dit que la dernière période de dix jours
a été calme.
Les quelques actions qui l'ont marquée n'ont mis en
présence que des effectifs peu nombreux et ne se
sont développées que sur quelques fronts étroitement
limités sans aucune répercussion sur l'ensemble des
opérations.
Le bouquet sanglant de fête
Les attaques ordonnées à l'occasion de la fête de
l'empereur ont été remarquables par les pertes
considérables des Allemands, pertes évaluées à
20.000 hommes.
Voici d'abord l'attaque du 28 janvier au matin, sur
la rive droite de l'Yser, entre Saint-Georges et la
mer. Quatre compagnies occupèrent les premières
lignes de tranchées allemandes inoccupées, et
culbutèrent les Allemands retranchés à 40 mètres
plus en avant.
Mais des contre-attaques allemandes les obligèrent à
se retirer.
Au centre et à droite, les Français, abrités d'une
façon rudimentaire, se maintiennent héroïquement.
A gauche, deux sections de tirailleurs atteignirent
le sommet de la grande dune. L'une d'elles descendit
sur le revers opposé, mais elle subit de grosses
pertes et nous conservâmes la partie extérieure de
la grande dune, où nous trouvâmes 300 cadavres
ennemis et où nous fîmes une cinquantaine de
prisonniers.
Aucune action importante d'infanterie sur te front
belge, mais une lutte violente d'artillerie
favorable aux Belges.
Vers La Bassée
Actions assez vives, les 29 et 30 janvier, à La
Bassée. Toutes les positions qui avaient été perdues
furent entièrement reconquises.
Entée le canal de La Bassée et Arras, l'activité des
deux artilleries a continué, favorable pour nous.
Quelques attaques d'infanterie peu importantes. Les
lignes françaises ont été toujours maintenues.
Le 4 février, en pleine nuit, cinq fourneaux de mine
ont bouleversé les tranchées ennemies, au nord
d'Ecuries, et nous avons occupé solidement les
entonnoirs.
Vers Soissons
Devant Soissons, l'impuissance des Allemands
continue.
L'affaire de la Creute, le 25 janvier, fut vive,
mais ses conséquences insignifiantes.
Les gros projectiles allemands firent effondrer la
voûte d'une carrière où s'abritaient des compagnies
de réserve, les emmurant.
L'ennemi profita de l'écroulement, et attaqua
violemment.
Il occupe quelques tranchées sans intérêt.
Nous perdîmes mille hommes et les Allemands quatre
mille.
Vers Perthes
Dans la région de Perthes, Le Mesnil, Massiges,
activité assez grande. Le 3 février, deux attaques
allemandes ont été repoussées ; la troisième a
occupé une partie des tranchées avancées, rendues
inoccupables par les mines.
En Argonne
En Argonne, vifs engagements. Les per tes de
l'ennemi ont été extrêmement élevées et les pertes
françaises assez sérieuses.
La situation ne s'est pas encore modifiée.
Nos avions
Nos avions ont fait de nombreuses reconnaissances et
de nombreux bombardements. Ainsi, dans la nuit du 29
janvier, un avion a jeté quatre bombes sur les
états-majors d'Ostende. Trois officiers allemands
ont été tués.
Nous avons capturé un aviatik au nord de la Meurthe
et en avons abattu un autre à Verdun.
Les réfugiés lorrains
EN SAVOIE
ANNEMASSE, 8 février. - Ce matin, M. Surugue, préfet
de la Haute-Savoie est venu d'Annecy en automobile,
sous la pluie battante, pour souhaiter la bienvenue
a nos compatriotes retour d'exil.
Il a été reçu par M. Matraire, sous-préfet de
Saint-Julien, et M. le docteur Favre, maire
d'Annemasse ; il a complimenté M. Magre, sous-préfet
de Briey, pour son utile collaboration.
Trois convois se sont succédé. Environ 150 internés
arrivèrent de Genève avant midi. Ils avaient été
enfermés dans les camps de Medgeve (Westphalie),
Erfurth, Zwickau (Saxe), Cassel (Hesse), Hassenberg
(Saxe-Cobourg) et, en dernier lieu, Rastadt.
Aucune femme, cette fois, ne se trouvait parmi eux.
Presque tous sont originaires du Nord, de la Somme,
de l'Oise, du Pasde-Calais, de l'Aisne et des
Ardennes.
Quelques Lorrains avaient été emmenés en captivité ;
ils habitaient Maucourt, Warcq, Haimonville,
Gussainville,. Etain et Varennes, dans la Meuse ;
d'autres habitaient Gerbéviller, Manoncourt, Pont-à-Mousson etc..., en Meurthe-et-Moselle.
Les hôtes éphémères de la Savoie ont été dirigés
aujourd'hui même sur trois localités du Var : les
Arcs, Carnoules et Fréjus, où les effluves
balsamiques de l'Estérel et les souffles de la
Méditerranée achèveront leur convalescence physique
et morale.
M. Surugue, préfet de la Haute-Savoie, a fait
Consigner dans les rapports de M. Perrier,
commissaire spécial, l'exacte et complète relation
des événements dont les internés furent les témoins
ou les victimes.
PRISONNIERS LORRAINS A GARDELEGEN
On nous communique une liste de prisonniers lorrains
à Gardelegen. Elle n'est évidemment pas complète,
mais elle peut intéresser de nombreuses familles. La
voici :
MM. Gaston Viriot, 10, rue de l'Abbé Grégoire, Nancy
; Paul Léder, 10, rue Drouot, Nancy ; Colin Gérôme,
ruee Haute, Essey-les-Nancy ; Strauss-Lévy, 7, rue
des Jardiniers, Nancy ; Alfred Dufoin, 6. me du
Ruisseau, Nancy ; Marcel Raiser, 7, Grande-Rue,
Saint-Nicolas de Port ; Pol Brugnot, à Abbéville,
par Conflans ; Louis Noël, rue du Haut-de-Tiblit,
Saint-Nicolas ; Lefèvre, agent-voyer à Joeuf ;
Charles Noviant, Neuviller-sur-Moselle ; Cuny,
coiffeur, Dombasle-sur-Meurthe ; Poquet, 7, rue
Bastien-Lepage ; Charles Maier, à Hatrize (M.-et-M.)
: Emile Adam, rue de Coprez, à Joeuf ; Aster Trap, à
Boncourt, par Conflans ; Strubin, 22, rue Haute,
Saint-Dié ; Théophile Denis. 15, rue de l'Abbé
Grégoire, Nancy; Emile Mayeur, 93, rue du Crosne,
Nancy ; Henri Toret, à Chavigny (M.-et-M.) ;
Hoffmann, 21, rue Saint-Fiacre, Nancy ; Edouard
Feucht, 36, rue Kléber, Nancy ; Charles Blaise, rue
du Montet; Nancy.
POSTES ALLEMANDS
refoulés vers Leintrey
LE CONTACT DU CANON
Paris, 10 février, 15 heures.
La journée du 9 février n'a été marquée que par des
combats d'artillerie, assez intenses sur quelques
points du front, notamment sur l'Aisne et en
Champagne.
Une seule action d'infanterie, peu importante est
signalée en Lorraine, au nord-est de Manonviller, où
un de nos détachements a refoulé des postes ennemis
du Rémanbois sur Leintrey.
UNE SÉRIE
d'heureuses Opérations
Paris, 11 février. 0 h. 18.
Voici le communiqué du 10 février, 23 heures:
Dans la nuit du 9 au 10 février, nous avons fait
sauter, à La Boisselle, trois fourneaux de mines et
nous avons réussi à occuper les entonnoirs, malgré
une contre-attaque que nous avons repoussée à la
baïonnette.
En Argonne, tirs d'artillerie et lancement de bombes
de part et d'autre, notamment dans la région de
Bolante et dans celle de Bagatelle.
Les dernières nouvelles signalent une attaque très
violente mais infructueuse, par les Allemands, d'un
ouvrage à Sainte-Thérèse.
En Lorraine, à la lisière Est de la forêt de Parroy
et au Nord de cette forêt, nos avant-postes ont
repoussé facilement une attaque des Allemands.
L'action signalée par le communiqué de 15 heures, au
nord-est de Manonviller (Leintrey), s'est achevée
par la poursuite des Allemands par nos hussards.
Dans les Vosges, à Fontenelle et au Ban-de-Sapt, une
attaque ennemie a été enrayée.
Un Ballon et un Taube abattus
A Cagny, dans l'Aisne, un de nos aviateurs a détruit
un ballon-signal ennemi.
Un avion allemand a été abattu près de Verdun. Le
pilote, lieutenant von Hidelin, avait, en septembre,
jeté sur Paris des bombes avec des proclamations
invitant les Parisiens à se rendre.
DE LA MER AUX VOSGES
Une Lutte violente
DANS L'ARGONNE
Paris, 11 février, 15 heures.
Sur tout le front jusqu'en Champagne, duels
d'artillerie.
Dans la région du Nord, plusieurs sorties d'avions
de part et d'autre ; les projectiles lancés par les
aéroplanes ennemis dans nos lignes n'ont eu aucun
effet.
En Champagne, une attaque allemande sur les bois
dont nous nous sommes récemment emparés, au nord de
Mesnil-les-Hurlus, a été repoussée.
En Argonne, la lutte autour de l'ouvrage
Marie-Thérèse a été très violente. D'après les
derniers renseignements reçus, les forces allemandes
comprenaient environ une brigade. Nous avons
maintenu toutes nos positions. Les pertes de
l'ennemi sont considérables. Les nôtres sont
sérieuses.
Dans les Vosges, brouillard épais et neige
abondante. C'est par une nuit très obscure qu'a été
engagée l'action d'infanterie signalée hier à La
Fontenelle, dans le Ban-de-Sapt. Les Allemands y
avaient engagé deux bataillons au moins. Après avoir
cédé du terrain, nos troupes l'ont repris presque
intégralement dans la journée du 10, par une série
de contre-attaques.
Ils attaquent en colonnes
PAR OUATRE
L'ATTAQUE EST BRISÉE
Paris, 12 février, 0 h. 15.
Communiqué du 11 février, 23 heures :
L'ennemi a bombardé fortement Nieuport et les rives
de l'Yser, mais il n'a causé que quelques dégâts
matériels. Notre artillerie a répondu efficacement.
En Argonne, dans la région de Bagatelle, après une
lutte violente à coups de lance-bombes, qui a duré
tonte la matinée, une attaque allemande a été
dirigée, à 13 heures, contre l'ouvrage
Marie-Thérèse.
Elle a été exécutée en ligne de colonnes par quatre,
sur 500 mètres de front et a été brisée par le feu
de notre artillerie et de notre infanterie.
L'ennemi a laissé un très grand nombre de morts sur
le terrain.
Dans les Vosges, au sud du château de Lusse, au nord
du col de Sainte-Marie, nous avons occupé, par un
coup de main, une tranchée-ennemie.
Très vive lutte d'artillerie sur plusieurs parties
du front.
Une PRIME AU TRAVAIL
Nancy, 11 février.
Quelques personnes ont exprimé des craintes, d'abord
timides, puis plus hardies, sur la façon dont sont
distribuées les allocations aux réfugiés. Elles
estiment que l'allocation telle qu'on la sert est
une prime à l'oisiveté.
Elles ne demandent pas d'ailleurs la suppression ni
même la réduction des secours, malheureusement trop
justifiés. Elles vont même plus. loin. Elles
réclament le maintien de ces secours aux réfugiés
qui ont trouvé du travail, et collaborent à la vie
nationale.
C'est, je crois, dans cette méthode que l'on
trouvera le remède des maux dont certains se
plaignent.
De fait la perte des biens, l'exil, la conscience de
ne plus être chez soi, le souvenir des horreurs
devant lesquelles on a dû fuir, la difficulté de
trouver de l'ouvrage ont évidemment détendu chez le
réfugié le ressort, principal qui nous fait agir et
nous incite à la besogne vaillamment accomplie.
Le réfugié est donc mille fois excusable si, dans la
ville ou le village qu'il ne connaît pas, parmi des
citoyens dont les occupations sont étrangères à son
activité habituelle, sans ressources, sans
relations. sous un abri commun à tant de gens, il se
laisse aller non pas au désespoir, mais à une
nonchalance qui assoupit peu à peu son initiative.
Le réfugié est encore plus rebuté lorsqu'il apprend
que son allocation lui sera supprimée le jour où il
aura trouvé du travail.
D'autant que l'atelier ne lui offrira pas la
certitude du lendemain, tandis que l'allocation lui
assure l'existence jusqu'à la fin de la guerre.
Changer une certitude même médiocre pour une
incertitude ne lui paraît pas une bonne affaire. Et
il va mélancoliquement toucher ses vingt-cinq sous.
Il attend de meilleurs jours.
Il est possible que l'incompatibilité du salaire et
de l'allocation ne soit pas une règle absolue. Je ne
sais pas si elle a été ainsi décidée.
Ce que je. sais, et tous les intéressés le savent
aussi, c'est qu'on a refusé l'allocation à des
réfugiés parce qu'ils travaillaient, et qu'on l'a
supprimée à d'autres parce qu'ils avaient trouvé du
travail.
Je me permets de déclarer que cette conception est
infiniment regrettable, et qu'elle va contre
l'intérêt des réfugiés, contre l'intérêt de l'Etat,
contre l'intérêt de la nation.
Une méthode semblable ne peut que décourager les
meilleures volontés. Il appartient aux commissions
de voir si elles ne pourraient pas transformer tout
cela.
Je vois que M. Cornély, un des membres les plus
actifs du comité franco-belge de Paris, raisonne à
peu près de la même façon. Il demande que l'on
conserve une allocation réduite aux réfugiés qui
travaillent.
A la bonne heure ! Ainsi chez les réfugiés renaîtra
le noble désir de chercher et de trouver de
l'ouvrage puisque leur travail ne les spoliera pas
de leur allocation.
Cette proposition vaut qu'on l'étudié sérieusement.
Elle peut avoir quelques inconvénients. Elle a
sûrement d'immenses avantages, parmi lesquels celui
d'arracher à l'oisiveté mauvaise et bougonne des
malheureux auxquels la France doit une compensation,
celui de remplacer en partie la main-d'oeuvre
absente, celui de conserver aux ouvriers, aux
cultivateurs le goût du travail, l'amour de la
terre. Et tant d'autres avantages encore.
Que craint-on ? Que les finances nationales soient
obérées par ce système ? Allons donc ! Autant de
réfugiés au travail, autant de renouveau pour la
richesse, du pays, autant de réductions dont profite
le budget, autant de ressources rendues aux
communes.
Tout est donc bénéfice dans cette proposition qu'il
suffit de mettre administrativement au point.
Seulement, il serait bon que les administrations
fissent cette étude un peu vite, et qu'elles
n'attendissent pas la fin de la guerre.
Ce que je dis là s'applique également aux femmes de
mobilisés.
Il ne faut pas faire de l'allocation une sorte de
renonciation obligatoire au travail. Tout le monde y
perd.
RENÉ MERCIER.
LES DERNIERS EXPLOITS DES TAUBES
Saint-Dié, 12 février.
Un communiqué officiel a récemment annoncé qu'un
taube avait fait quatre victimes parmi la population
civile. Un de nos confrères reçoit ces détails :
« Jeudi 4, vers seize heures, l'oiseau boche
apparaissait. Il effectuait des virages ; puis,
arrivé au-dessus de la gare, il lâchait sa bombe.
Elle s'abattait aux environs immédiats, sur une
voiture qui stationnait devant un important magasin
d'épicerie.
Le véhicule était réduit en miettes. Quatre hommes,
qui l'entouraient, tombaient morts, atteints
horriblement. Quant au cheval, son corps ne formait
plus qu'une masse informe de chair.
Trois victimes de l'odieux assassinat appartenaient
au personnel employé dans l'épicerie ; le quatrième
est M. Rémy, le boulanger d'Anould. venu aux
provisions à Saint-Dié.
Très heureusement. Mme Rémy avait quitté son mari
quelques instants auparavant, pour aller en courses.
Les effets du hideux attentat ont causé, dans
Saint-Dié et dans Anould, une profonde impression de
tristesse.
Samedi, nouveau bombardement ; il y a encore eu des
victimes, place Jules Ferry.
Le lundi précédent, un aviatik boche, après avoir
survolé la Tête-de-Faux, arrivait au-dessus de
Fraize. Il jetait six bombes. mais elles
s'enfonçaient presque toute dans un grand pré, au
lieu dit a Les Aulnes. »
Deux, pourtant, ont éclaté, sans occasionner aucun
dommage. »
CHEZ LES RÉFUGIÉS
UNE CRISE EN PERSPECTIVE
ANNEMASSE, 4 février. - Ma tournée quotidienne chez
les réfugiés lorrains m'a conduit ce matin dans la
plupart des établissements où ils mènent une
existence insuffisamment protégée, hélas ! contre de
mauvaises habitudes.
Il faut avoir de courage de proclamer certaines
vérités. Elles ne diminuent point la pitié, la
sollicitude, ni l'intérêt qui s'attachent à la
condition de malheureux frappés inexorablement par
les horreurs de la guerre. Mais ces vérités
nécessaires guideront peut-être l'Etat dans
l'accomplissement d'une tâche trop vaste pour
qu'elle reçoive à bref délai une solution, trop
compliquée pour qu'on la traite légèrement, trop
grave pour qu'elle ne retienne point l'attention de,
nos législateurs.
La plupart des réfugiés perdent peu à peu le goût,
l'amour du travail. Est-ce, comme on l'a prétendu,
parce que l'oisiveté les corrompt? Est-ce qu'ils
répugnent à l'effort dont ils ne retirent point un
profit immédiat ? Est-ce qu'en eux les ressorts de
la volonté ont été brisés ou détendus par la
catastrophe ? Est-ce qu'ils refusent de prêter
l'oreille aux principes de solidarité sociale qui
demandent de répondre aux sacrifices de la nation
par une collaboration en rapport avec leurs
aptitudes, leur éducation, leurs moyens d'action,
leurs ressources physiques ?
Sans rechercher aujourd'hui les causes d'une
situation qui commence à préoccuper l'opinion
publique, on est bien obligé de constater certains
faits.
Le « Cri de Paris » a noté que « des femmes qui,
n'en doutons pas, étaient de laborieuses ménagères,
préféraient, en plein automne, se coucher à cinq
heures du soir jusqu'au lendemain midi, fort
occupées à lire les romans de la bibliothèque
communale ».
On nous apprend encore que « dans certains pays
vignobles, en une année de vendanges difficiles, il
a été pour ainsi dire impossible d'obtenir des
réfugiés qu'ils consentissent à échanger leur
allocation journalière de 1 fr. 25 contre des
salaires de vendangeurs de quatre et cinq francs par
jour, nourriture en plus, qu'on leur offrait. »
D'autres exemples se multiplient. On note que les
malheureux, déracinés du sol natal, chassés de leur
ferme, de l'atelier et du bureau, « n'ont pas
toujours justifié l'accueil très chaud et très
affectueux qui leur fut d'abord fait ».
Le « Cri de Paris » commente les sévères paroles de
M. Charles Humbert, exigeant la lumière sur « les
défaillances » de quelques communes à l'égard des
infortunés réfugiés ».
Qui a. tort dans un tel conflit ?
Les réfugiés attendent le pain quotidien de
l'Etat-providence ; ils tendent leurs mains vides,
leurs mains d'où d'outil ou la charrue fut
brutalement arraché ; ils se sentent pauvres, las,
écrasés par les pires détresses, loin de leur foyer
en ruines et c'est, à notre avis, une explication de
la dépression morale qui accepte sans honte une
oisiveté dont ils eussent rougi dans leur pays.
Les municipalités se débattent parmi les
contradictions des circulaires relatives aux
populations des régions envahies. Elles ont agi au
mieux de leurs propres intérêts en les conciliant
dans une large mesure avec les obligations, les
devoirs, les charges de la philanthropie et de
l'assistance.
Ici l'allocation a été remplacée par une prime de
travail. On a voulu ôter à la charité ce qu'elle a
parfois d'humiliant pour l'indigence en procurant
les moyens de gagner un salaire honnête à ceux que
le seul mot de « secours » blesse comme une offense
à leur dignité.
Là un régime uniforme de cantines et de
distributions de vêtements et chaussures a permis à
d'autres municipalités la réalisation
d'appréciables, économies sans que les réfugiés
aient eu à souffrir de la perte de leur allocation.
En ce qui concerne la commune d'Annemasse, elle
abrite actuellement deux catégories de réfugiés : 1°
ceux qui sont venus ici avant l'apparition de
l'ennemi dans leurs villages ; 2° ceux qui,
prisonniers des Allemands, soit comme otages, soit
comme habitants d'une région d'où ils ne pouvaient
s'échapper, arrivent maintenant par convois à
travers la Suisse.
Les émigrés ou évacués touchent une allocation de 1
fr. 25 : les internés sont logés dans les hôtels et
dans les maisons particulières, moyennant une
indemnité de 3 fr. à 3 fr. 50 par jour. Cette
distinction, crée entre les deux catégories une
différence de traitement d'où il résulte une sorte
d'infériorité pour les émigrés.
Pour la centième fois, j'ai entendu ce matin, au
cours de mes visites chez ces pauvres gens, la, même
réflexion :
- Pourquoi ne recevons-nous pas une indemnité de 3
fr. Nos besoins sont-ils donc moins grands que ceux
des internés ? N'avons-nous pas subi les mêmes
affronts ? La guerre ne nous a-t-elle causé que le
tiers des préjudices dont ils souffrent ? Pourquoi
cette inégalité, cette cruelle injustice à notre
égard ? »
Ils ignorent que la ville d'Annemasse touche pour
eux une somme de 1 fr. 25 par individu, mais qu'au
bout du compte, elle dépense exactement 2 fr. 05, si
bien que le logement, la nourriture et l'entretien
des réfugiés lorrains lui coûtent net seize sous.
N'empêche que le découragement s'est emparé d'eux,
qu'ils résistent parfois aux invitations du garde
champêtre qui réclame leur aide pour balayer la
neige et nettoyer les rues, sans leur accorder
d'autre salaire qu'une poignée de main ni d'autre
gratification qu'un simple remerciement En réalité,
le travail de quelques citoyens valides constitue la
seule reconnaissance des services que la commune
rend à des familles entières.
D'autre part, les internés ne sont ici que de
passage. L'Etat verse une indemnité de trois francs
aux hôteliers pendant le temps seulement qu'en cours
de route ils séjourneront dans une localité. Mais,
arrivés à destination, ils toucheront alors
l'allocation prévue de 1 fr. 25, ni plus ni moins
que les émigrés.
Ce sont là des renseignements qu'il importait de
fournir. Faute de parler, on meurt sans confession,
dit certain proverbe. Les griefs qu'on articule trop
hâtivement contre ces tristes victimes de
l'invasion, animées des meilleures intentions,
tomberaient d'eux-mêmes, si la situation était mieux
exposée, si l'on effaçait dans leur esprit la pensée
que la France emploie deux poids et deux mesures
dans la distribution des soins et du dévouement
qu'elle témoigne à ses enfants.
M. Magre, l'actif sous-préfet de Briey, mène, en
Savoie une patriotique campagne en ce sens, une
campagne qui mérite qu'on l'approuve et qu'on s'y
rallie.
C'est constater un fait, c'est proclamer une vérité,
comme je le disais au début de cet article, que de
signaler, hélas ! une tendance à l'oisiveté chez ces
travailleurs de la glèbe, ces Lorrains robustes,
économes et vaillants!, ces fils d'une race élevée à
la rude école des privations, qui ont vu subitement
s'évanouir dans le désastre les fruits accumulés par
l'oeuvre féconde de plusieurs générations.
Prenons garde qu'ils jettent un jour le manche après
la cognée, qu'ils contractent dans les villes des
habitudes, réellement pernicieuses celles-là, au
contact du luxe, des commodités, des agréments
factices dont le mirage n'a que trop contribué à la
dépopulation des chaumières.
Elle résonne à mon oreille, cette parole d'amertume
recueillie ce matin dans un ménage d'émigrés, comme
le douloureux avertissement d'une crise :
- Ah ! pour sûr, quand l'Etat m'aura remboursé le
prix de ma maison détruite, ce n'est pas en Lorraine
que nous retournerons planter nos choux ! »
ACHILLE LIEGEOIS.
LES COMBATS DES DEUX ARTILLERIES
NOUS AVONS BOMBARDÉ
les gares de Thiaucourt et d'Arnaville
Paris, 12 février, 15 h. 15.
Entre la mer et la Somme, lutte d'artillerie. Au sud
de La Boisselle, l'ennemi a fait exploser une mine à
l'extrémité d'une de nos tranchées, où nous nous
sommes maintenus.
De la Somme à l'Argonne, on ne signale que le
bombardement de Tracy-le-Mont par l'ennemi et
l'activité de notre artillerie dans les secteurs de
Reims et de Soissons.
En Woëvre, canonnade assez intense du côté allemand
devant Rambucourt et ]e bois de La Hazelle.
Nous avons bombardé les gares de Thiaucourt et
d'Arnaville.
DEUX SUCCÈS
Vers Arracourt et dans les Vosges
Paris, 13 février, 1 heure.
Actions d'artillerie assez vives en Belgique et en
Champagne.
En Argonne, entre Fontaine-Madame et l'ouvrage
Marie-Thérèse, l'activité de l'ennemi ne s'est
manifestée que par des explosions de mines et des
lancements de bombes, auxquels nous avons riposté.
L'infanterie n'est pas sortie de ses tranchées.
En Lorraine, nous avons repoussé une attaque
allemande vers Arracourt.
Dans les Vosges, nos chasseurs ont enlevé la cote
937, à huit cents mètres au nord-ouest de la ferme
de Sudelle, dans la région nord de
HartmansîVillerkopf. Ce brillant fait d'armes a été
accompli sous une violente tempête de neige. Il ne
nous a occasionné que des pertes minimes.
RÉCITS D'OTAGES LORRAINS
Dans la région de Mars-la-Tour
L'un des principaux habitants de Bruviile,
actuellement à Nancy, a bien voulu nous communiquer
une fort intéressante lettre qu'il vient de
recevoir, d'un de ses concitoyens actuellement en
traitement à l'hôpital d'Annemasse (Haute-Savoie),
où il souffre d'une bronchite contractée au cours de
son séjour dans les camps de concentration.
« C'est le 5 janvier, écrit-il, que les Allemands
m'ont emmené en compagnie de l'instituteur, M.
Debrun, et de plusieurs anciens fonctionnaires en
retraite, notamment des douaniers.
« Notre crime ?.. Nous n'en avions commis aucun,
mais les Allemands ne s'embarrassèrent pas à nous
donner des explications.
« Avant d'être emmené en captivité, j'avais pu me
rendre, à deux reprises, à Mars-la-Tour. C'était
dans le courant de septembre. A cette époque,
l'honorable maire, M. Seners, avait été conduit à
Metz en attendant le versement d'une somme de 20.000
fr. comme contribution exceptionnelle de guerre.
« Mars-la-Tour ne fut d'ailleurs pas la seule
commune qui dût payer la forte somme. Ville-sur-Yron
fut frappée d'une contribution pareille, ainsi
qu'Hannonville aux-Passages ; quant à Bruville,
cette commune s'en tira avec la moitié, c'est-à-dire
10.000 francs
« Pour expliquer cette extorsion de fonds les
Allemands prétextèrent que des pierres avaient été
posées sur la voie ferrée, près de Ville-sur-Yron et
que, ne trouvant pas les véritables auteurs de
l'attentat, et ne pouvant fusiller tout le monde,
ils étaient « bien gentils » de se contenter d'une
amende qui frapperait tous les villages des
environs.
« Naturellement, le maire de Bruville, M Boutroux,
et, ceux de Ville-sur-Yron et
d'Hannonville-aux-Passages, allèrent tenir compagnie
à M. Seneis dans les prisons de Metz.
« Cet incident excepté, rien de bien sensationnel ne
s'était passe à Mars-la-Tour jusqu'à ma dernière
visite dans cette localité.
« Mais là, comme à Bruville et comme dans toutes les
communes du voisinage, la population a eu beaucoup a
souffrir au point de vue matériel. Les réquisitions
n'en finissaient plus. Les amendes pleuvaient. Bref,
tout le monde a eu beaucoup a supporter.
« L'église de Bruville n'a plus de mobilier. Il en
est de même de l'école. Tout ce matériel a dû s'en
aller dans les tranchées allemandes. Quant aux
habitants, on les a évacués de force et si rondement
qu'ils n'ont pu emporter que peu de choses. On a
même jeté hors de chez lui un vieillard de 78 ans,
bien malade, le père Perrin, qui venait de subir une
opération et était par conséquent dans
l'impossibilité de se mouvoir.
« Malheureusement, il est fort difficile de donner
des détails bien précis. Les communications entre
Bruville et l'annexe d'Urcourt étaient interceptées,
et l'on ne pouvait pas voyager, en ces derniers
temps, de village à village.
« J'ai pu savoir cependant, de source certaine,
contrairement au bruit qui avait couru, qu'aucun
habitant de Mars-la-Tour n'avait été fusillé lors de
J'entrée des Prussiens en août. Il n'y avait pas
davantage de victime, au commencement de janvier.
« On avait aussi, je crois, annoncé la mort tragique
de l'abbé Mangin, directeur du grand séminaire de
Nancy. Cette nouvelle est également fausse. L'abbé
Mangin qui se trouvait en vacances dans sa famille à
Olley, a été évacué avec las habitants de cette
commune. Je viens de le rencontrer à Annemasse.
« L'origine de l'histoire de la fusillade
Mars-la-Tour, est peut-être dans les arrestations
qui y suivirent le prétendu attentat sur la voie
ferrée de Ville-sur-Yron. Quatre habitants de
Mars-la-Tour furent en effet, arrêtés à ce moment,
entre autres M. Lemoine fils, et Mme Renaud,
institutrice.
« Mais on n'alla pas heureusement jusqu'à les coller
au mur. Comme explications, les Boches se bornèrent
à leur dire qu'ils étaient trop curieux ».
« Mme Renaud fut conduite à Rastadt. J'ignore où
furent détenus ses compagnons.
« Les pauvres gens de nos villages de la frontière
ont passé par de dures épreuves. On leur a tout
pris. Plus de bois, plus de chevaux, plus de
voitures, plus de paille, plus de fourrages, rien...
C'est la grande misère et ce sera la misère pour
longtemps. Au moment de mon départ, Les Allemands
réquisitionnaient tous les objets en cuivre et en
bronze. Il est possible qu'ils aient descendu les
cloches. Ils l'ont bien fait pour de nombreux
clochers de la Woëvre !
« Aussi, sous la tristesse qui vous étreint
lorsqu'il faut abandonner tous ses biens, la maison
où l'on est venu au monde, où les siens ont vécu, où
ils sont morts, on n'aurait rien à regretter
lorsqu'il faut prendre le chemin de l'exil.
« Beaucoup sont partis de Bruville, de Mars-la-Tour
et d'ailleurs. Quelques-uns cependant sont restés,
mon frère entre autres. Mais quelles souffrances ne
doivent-ils pas endurer, souffrances morales et
souffrances physiques ; car on manque de nouvelles
de ceux qui vous sont chers, au pillage organisé
vient s'ajouter la mauvaise nourriture fournie par
l'exécrable pain allemand.
« Les troupes d'occupation souffrent elles-mêmes
beaucoup. Un certain nombre de soldats allemands
sont morts de la typhoïde à Mars-la-Tour.
« Ah ! quand donc pourrons-nous nous retrouver tous
réunis dans nos pauvres et chers villages ! Elle
finira bien par sonner l'heure de la délivrance,
l'heure de la victoire, et alors nous ne songerons
plus à gémir mais à chanter ! »
ET LE CIVIL ?
Nancy, 14 février.
Le civil accomplit aussi son devoir sinon avec
tranquillité, du moins avec une confiance que rien
n'altère.
C'est une préoccupation constante chez le soldat que
l'attitude du civil. Il y a une telle intimité de
vie entre la nation et l'armée qu'elles semblent
penser en même temps la même chose.
Les acclamations qui au début de la guerre saluaient
les troupes n'étaient pas pour rien dans
l'enthousiasme qui animait l'armée.
La sérénité avec laquelle la population attend la
victoire définitive apporte au coeur des combattants
la confiance indispensable à toute grande opération.
La patience que montre le pays pendant la longue
bataille des tranchées indique aux troupes qu'il se
rend compte des difficultés chaque jour surgies,
qu'il n'en est pas autrement ému, et qu'elles
peuvent compter sur la résistance du caractère
français retrempé.
La sollicitude dont partout est entouré le troupier
lui montre qu'il est l'espoir total de la nation, et
qu'il en est aussi la gloire.
Les voix féminines qui célèbrent en mots simples et
touchants les sacrifices consentis et les héroïsmes
innombrables donnent aux soldats un élan plus
magnifique.
Oui, le civil accomplit son devoir suivant le rythme
qui lui est imposé.
Ce n'est pas seulement dans les exhortations, dans
la patience, dans la solidarité, dans la confiance,
dans l'espoir que s'exerce le courage du civil.
Le civil comprend que, la guerre étant longue, là
nation armée ne peut pas vivre sur les économies
accumulées. Il essaie, dans la mesure de ses moyens,
de créer des ressources. Il écoute le canon, il
regarde les oiseaux qui! sèment la mort dans les
villes. Mais il ne s'enferme pas dans une attente
stoïque.
Il travaille.
Il travaille pour donner à tous ce qui est
indispensable. Celui qui n'a pas l'honneur de
combattre cherche à se rendre utile. Les chefs
d'industrie rassemblent dans les usines les ouvriers
qui restent, et s'ingénient à produire. Les
commerçants tâchent d'éveiller-les échanges qui
s'engourdissaient. La vie reprend son cours normal,
offrant, par un exemple constant, comme un gage de
renaissance robuste.
C'est dans ce travail de tous les jours que se
régénèrent les activités.
Des pleureurs, des sceptiques, des désabusés, des
découragés, il n'y en a pas. Ou il y en a si peu que
ce n'est vraiment pas la peine d'en parler.
Chacun, après la première secousse qui a désorganisé
l'existence civile, s'est retrouvé à sa place. A sa
place il s'efforce de contribuer à la vie commune.
Cette guerre a tiré de l'obscurité les qualités
qu'avait cachées l'égoïsme de la paix. Chacun a
senti qué son voisin lui était indispensable. Et ce
sentiment a été si fort qu'une grande flamme de
solidarité s'est élevée où se sont réchauffés tous
les coeurs. Je ne parle pas de cette solidarité que
pratique d'habitude toute la Lorraine et qui va,
sous la forme de la charité, vers toutes les
douleurs pour les consoler, vers tous les malheurs
pour les apaiser.
Non. C'est un sentiment plus pur encore qui nous
unit à travers toutes nos discussions politiques,
sociales, religieuses, qui assainit l'atmosphère,
dont nous goûtons le charme inattendu dans l'oubli
des querelles anciennes.
Et ce sentiment qui nous a fait une âme ingénue et
vigoureuse, le soldat en sent aussi passer le charme
dans son âme, car la première question du combattant
est toujours celle-ci :
- Et le civil ?
Le civil accomplit son devoir. Il attend, il espère,
il a confiance, il affirme sa volonté de vivre.
Il travaille, et est prêt, s'il le faut, à déposer
l'outil pour prendre le fusil et se ranger à côté
des siens, qui combattent.
RENÉ MERCIER.
LES RÉFUGIÉS LORRAINS
AU CAMP D'AMBERG
GENÈVE, 7 février. - Quand tout aura été dit sur les
atrocités, les crimes, les infamies du Bocheland,
une page restera encore à écrire sur la vie dans les
camps d'internement ou de concentration.
Par trains entiers, l'Allemagne renvoie ses
victimes. Il en vient de Zwickau ; il en arrive de
Rastadt et d'Amberg, après que les citadelles et les
forteresses du Rhin, comme Ehrenbreistein, eurent
lâché leur proie. Et tous ceux, jeunes ou vieux, qui
sortent de ces enfers, ont dans la voix l'accent
d'une supplication, dans leurs yeux une source
intarissable de larmes et dans leur pauvre âme
l'ulcération profonde des tortures où s'exerça le
raffinement d'une cruauté sans exemple Le camp
d'Amberg est un modèle du genre. Les officiers s'y
muent en garde-chiourmes, les soldats en
tortionnaires. La faim est l'ordinaire supplice
qu'on aggrave par la vermine ; on cite des
malheureux dévorés par les poux, comme on signale
des malades abandonnés dans les baraquements où
l'eau tombait du toit comme d'un crible et qui
râlèrent sous l'abri d'un parapluie couvrant leur
tête.
Les cercueils élégants
Parqués dans une sordide promiscuité, sans
distinction d'âge ni de sexe, les internés d'Amberg
croupissaient parmi les ordures, les déjections. la
sanie. Une odeur méphitique chargeait de miasmes
l'atmosphère. La contagion s'abattait sur ces êtres
traites comme un bétail. Une mortalité de 25 % a
décimé le troupeau humain auquel furent refusés les
soins de la science, la sollicitude de la pitié, les
consolations d'une tendresse fidèle.
Mais les cercueils, par contre, étaient d'un style
élégant. Les Boches mettaient une certaine
coquetterie dans le choix du bois, le dessin des
ornements, la forme des poignées ; ils habillaient
la mort à la dernière mode - « made in Germany. »
La femme du maire de Combres, Mme Libor, fut tout de
blanc habillée sur le lit d'hôpital où elle succomba
aux suites d'une fièvre puerpérale.
En mainte occasion, on refusa, comme pour Mme Maria
Perruquier, du même village, l'autorisation
d'avertir du décès d'un de leurs membres les
familles restées en France.
La même journée réunit trois cercueils d'enfants,
mignons, ayant des dimensions et presque la grâce
d'un berceau, avec un solide cercueil de. chêne où
reposait, enfin délivré, un patriarche de la Woëvre.
En une semaine, on compta huit inhumations de
marmots arrachés au sein de leur mère par le croup
que les savants de Berlin appellent le « catarrhe
des bronches ».
Pour mieux caractériser l'identité entre le
traitement des animaux et celui des internés,
ceux-ci portaient au cou un numéro d'ordre. Une
institutrice de Saint-Dizier, Mlle Marguerite V...,
nous répétait le propos d'une de ses compagnes :
- On nous a amenées ici comme des vaches : on nous
renverra comme des cochons. »
En attendant leur libération. elles se nourrissaient
d'épluchures de pommes de terre bouillies, de
légumes en décomposition écrasés dans des récipients
abjects que jamais le moindre nettoyage n'avait
décrassés.
Silence dans les rangs !
Quand, pour constater une telle malpropreté, le
consul argentin visita le camp d'Amberg, quelques
femmes osèrent résister aux instructions des
officiers ordonnant le lavage des ustensiles de
cuisine : « Nous voulons montrer au représentant de
la France, déclarèrent-elles, comment fonctionne un
service dont nos bourreaux ont l'audace de se
féliciter. »
Hélas ! leurs protestations furent vite étouffées
sous les menaces d'un régime encore pire si le
consul ne retirait point de sa tournée une
satisfaction sans nuages.
La neige, en fondant sur le toit, tombait sur les
couchettes dont la paille germait, à moins qu'elle
ne pourrît de moisissure. Beaucoup d'hommes
s'étendaient sur le sol nu pour y dormir. Aucune
plainte ne s'élevait de ce vaste et monstrueux
taudis, où les sentinelles, baïonnette au canon,
montaient jour et nuit la garde, réprimant à coups
de botte ou à coups de crosse, toute parole, tout
geste de mécontentement.
Quant à la protection de la morale, il est évident
qu'elle n'avait absolument rien à voir avec
l'entassement de cette multitude pêle-mêle dans le
même baraquement. Un tel régime abolissait toute
pudeur.
- Vous repeuplerez la France, gouaillaient les
odieux tortionnaires... Votre pays manquera de
soldats après la guerre... Il faut bien que vous lui
refassiez une armée. »
Les plus abominables violences de la campagne, les
souillures qui ont déshonoré partout les barbares
trouvaient pour excuse chez ces brutes des
réflexions dans ce goût-là.
Les cas de folie se sont multipliés. La plume se
refuse à décrire les scènes de désespoir, de révolte
où s'effondrait la raison, les vociférations qui
clamaient l'épouvante dans ce cercle de damnés
devant lequel Alighieri eût frissonné d'horreur.
Non loin de là, sept cents soldats, des prisonniers,
gémissaient, tenaillés par les affres de la faim,
tués par l'inexorable supplice d'une agonie où
s'éteignait dans un suprême effort l'énergie d'une
jeunesse en lutte avec les spectres de la mort.
Nos soldats prisonniers
Ecoutez ce récit d'un aux témoin, Mlle C..., de
Saint-Maurice-sous-les-Côtes: - Les prisonniers
grelottaient sous leur uniforme en loques. Ils
cherchaient à s'approcher de nous. Mais une terrible
consigne nous empêchait de leur dire un seul mot et
nous profitions du moment où les factionnaires
tournaient le dos pour jeter un morceau de notre
pain noir à ces bouches avides, à ces mains tendues
vers nous... »
D'autres se précipitaient, après chaque repas, sur
les détritus, les croûtes balayées dans un baquet
qu'ils fouillaient comme des chiens.
Les officiers riaient. Ils plaisantaient lâchement.
Ils disaient qu'en France, « où Poincaré crevait de
faim, il n'y avait plus rien pour eux, et qu'ils
devaient se réjouir d'une hospitalité qui leur
prodiguait toute sorte de délicatesses (sic). »
A leur grand regret, les internés ne purent, en
quittant le camp d'Amberg, se charger des lettres
que nos soldats voulaient leur confier. On les avait
prévenus qu'une perquisition serait pratiquée dans
leurs bagages, et que la découverte d'une
correspondance suspecte leur vaudrait d'implacables
châtiments Une chanson qui tournait en ridicule le
kaiser avait conduit devant le peloton d'exécution
une jeune femme, pour crime de lèse-majesté, et l'on
savait par expérience que la justice militaire ne
badinait jamais avec ce genre de délit.
Les prisonniers ont le droit d'écrire à leurs
parents une fois par mois. Les lettres, remises
avant la date du 15, sont expédiées le 25, soit dix
jours plus tard, afin de laisser à la censure le
loisir d'appliquer à son aise le « caviar » qui
supprime tous les renseignements ou les confidences
suspectes. Il fallait recommencer la lettre - un
mois après - où l'on avait la maladresse injurieuse
de trouver qu'on était seulement « assez bien » au
camp d'Amberg.
Une institutrice patriote
De regrettables défaillances se produisirent. Elles
constituent fort heureusement, hâtons-nous de le
dire, des cas isolés. C'est ainsi qu'une paysanne,
sans doute jalouse de l'opulence de leur chevelure,
désigna aux gardiens plusieurs de ses compagnes, en
observant qu'en certains pays d'aussi belles nattes
se vendaient fort cher.
Le lendemain, la parure naturelle de ces
malheureuses tombait sous les ciseaux.
Mais, à côté de ces coupables faiblesses, que de
traits touchants, parfois sublimes ! Mlle Collinet,
une institutrice de la Woëvre, rassemblait tous les
jours les enfants et continuait pour eux ses cours,
enseignant comme autrefois dans sa classe, qu'il
fallait aimer et servir la France de toute son âme.
- J'avais composé un répertoire de rondes et de
chansonnettes, m'a raconté Mlle Collinet... Oh ! des
oeuvres sans prétention littéraire... mais avec
quelle exaltation mes élèves chantaient de toute
leur âme la foi dans la victoire, la certitude du
salut. »
Les geôliers (car les reîtres du kaiser ne méritent
que ce nom) s'intéressaient à ces divertissements;
leurs chefs questionnaient les bambins et
affectaient de rire à leurs naïvetés :
- Pourtant mes petits élèves, ajoute Mlle Collinet,
mettaient dans leurs réponses l'audace de vrais
Lorrains ; ils avaient ma foi, l'air de crâner ; ils
annonçaient que notre drapeau était le plus glorieux
du monde. »
Il n'y en avait qu'un bon
Dans un milieu où sévissaient l'insolence et la
brutalité, un seul officier se révéla indulgent et
bon. Les internés lui rendent un hommage unanime. Le
lieutenant Hosman entourait d'attentions, de
prévenances, les enfants ; il se couchait le
dernier, après minuit, bien sûr qu'on n'avait plus
besoin de lui ; il s'empressait d'exaucer tous les
souhaits compatibles avec les exigences du service ;
il adoucissait les sévérités de la discipline :
- Jamais, m'a dit notamment une ménagère de Combres,
le lieutenant Hosman ne nous, a traités en ennemis.
De même le docteur Marcius, l'infirmier Auguste
Scholtz, ia cuisinière que l'on appelait Pauline
tout court, se sont conformés strictement à
l'exemple charitable qu'il donnait dans le camp.
Les internés témoignent de leur gratitude. Ces
dévouements exceptionnels ont sauvé beaucoup
d'enfants dont on surveillait l'hygiène et la
nourriture.
Comme s'il sentait autour de lui monter la marée
d'un opprobre universel, le lieutenant Hosman
répétait aux internés d'Amberg, à l'heure des adieux
:
- Vous retournez en France... J'en suis heureux. Bon
voyage, mes chers amis ! On croit dans le monde que
nous agissons en sauvages ; oui, les journaux nous
traitent de Barbares. Promettez-moi de dire que je
vous ai toujours soignés avec humanité... »
Lui, peut-être. Mais les autres, tous les autres,
depuis Guillaume II jusqu'au dernier de ses uhlans !
ACHILLE LIEGEOIS
A MAZERULLES
Nous recevons la lettre suivante : Dans tous les
villages nommés déjà par votre journal ayant subi le
joug et la brutalité allemands, je n'ai pas encore
vu celui que l'on nomme Mazerulles.
Ce coquet et hospitalier village, situé sur la
grande route, entre Champenoux et Moncel, vit
l'apparition des premiers uhlans au lendemain de
Morhange, le 22 août. Un des leurs ayant été blessé
et un autre tué dans la côte qui va à Champenoux, M.
le maire de Mazerulles fit atteler un tombereau,
afin de ramasser le blessé et l'emmener du côté des
troupes françaises. Quelques uhlans arrivèrent au
galop et firent faire demi-tour au conducteur.
Au village, il fallut trouver une voiture avec un
matelas, car le tombereau ne convenait pas, et on
l'emmena du côté de Moncel.
Alors commença l'arrivée de leurs soldats. Tout de
suite on fit prévenir les habitants de n'avoir pas à
maltraiter les soldats allemands, de leur donner
tout ce qu'ils demandaient, de ne pas tirer sur eux,
sans quoi on fusillerait les otages.
M. le maire et M. le curé (ce dernier très malade,
ayant eu une crises d'appendicite quelques jours
avant) avaient été requis pour être prisonniers à la
mairie dès l'arrivée des Boches. Ils en avaient
chassé l'instituteur et sa femme afin d'être plus
libres. Les otages ne devaient pas sortir. Ils
étaient gardés et ne devaient correspondre avec
personne, sous peine d'être fusillés.
Puis la horde germanique fit sa promenade dans
toutes les maisons du village, entrant dans les
cafés, maisons de commerce et particulières, le
revolver toujours à la main, terrorisant les femmes.
Il leur fallait de tout. Cela dura quatre jours. Une
nuit il passait plus que d'habitude de l'infanterie
et de l'artillerie. Il en venait par tous les coins,
hurlant d'un bout à l'autre du village, demandant
pour les chevaux paille, foin et avoine.
Les chefs et soldats étaient arrogants. Il leur
fallait des oeufs, des poulets, du pain blanc, du
vin, qu'ils faisaient même goûter par peur d'être
empoisonnés. Ils mirent à sac toutes les maisons
qu'ils purent, puisant dans tout ce qui leur
convenait. Le soir du mardi, alerte. L'ambulance
établie à la mairie déménagea subitement, laissant
les otages là.
Le vendredi matin, le bombardement, qui n'avait pas
cessé depuis quelques jours de chaque côté, mit le
feu à des maisons. Bien du monde partit et se rendit
à Nancy.
La veille, il y avait eu un uhlan tué au village par
un de nos sergents d'infanterie.
Il n'y avait pas longtemps que la plupart étaient
partis, laissant à peu près une trentaine de
personnes au village, quand les uhlans revinrent,
furieux de ne plus retrouver les otages, qui ne les
avaient sûrement pas attendus ; ils mirent à sac
tout ce qui restait, enfermant dans l'église les
rares personnes qui étaient restées là. Ils prirent
les bêtes, le linge, le mobilier, l'argenterie ;
ensuite vidèrent les caves. Ils firent la fête
durant dix jours.
Mais les jours se suivent et ne se rassemblent pas.
C'est vers ce moment qu'eut lieu leur défaite à
Amance. Ils convertirent un café en ambulance,
mettant des blessés partout, jusque dans la cour et
le jardin. Il fallut reculer. La défaite de
Champenoux vint après Ne voulant laisser personne
derrière eux, ils emmenèrent tout le monde,
vieillards, femmes et enfants, baïonnette au canon,
devant eux, les poussant vers Moncel.
Là on les enferma dans la salle de bal de Mme
Fonbanck, où quelques personnes compatissantes et
généreuses leur apportèrent de la soupe et du pain
qu'ils n'avaient pas vu depuis dix jours.
Il fallut encore battre en retraite sans doute très
vite. cette nuit du 12 au 13 septembre, car on les
entendit qui défilaient rapidement du côté de
Château-Salins.
Quelques prisonniers s'étant risqués à regarder
dehors, virent qu'il n'y avait plus de gardiens et
s'en retournèrent du côte de Mazerulles où ils
virent la grande rue (à part quelques maisons)
entièrement en feu. Quarante-six maisons ont été
brûlées à Mazerulles.
Comme les habitants de Moncel, quelques personnes de
Mazerulles ont cru voir, après la défaite d'Amance,
le Barbare qui voulait à tout prix offrir la ville
de Nancy à sa femme.
En attendant de voir nos villages reconstruits et
florissants comme autrefois, pensons à tous ces
héros si vaillants et si courageux tombés pour la
défense de Nancy et l'honneur de la patrie.
LES ALLEMANDS A BLAMONT
M. Fernand Burrus nous écrit qu'il n'a jamais donné
un kilo de chocolat aux Allemands pour préserver son
usine. Dès leur arrivée en masse à Blâmont, le 8
août, la chocolaterie, Burrus a été mise au pillage,
les voitures de ravitaillement chargées en plein
jour ; lorsque, tout fut volé, afin de compléter
l'oeuvre de destruction, le matériel et les machines
furent saccagés, et cela finit, malgré les
protestations de M. Burrus, par l'incendie de la
pauvre usine.
Plusieurs centaines de kilos de chocolat furent en
effet donnés par M. Burrus avec plaisir, mais ce fut
aux soldats français et aux ambulances de Blâmont.
ÉCHECS ALLEMANDS EN LORRAINE
INUTILE RANDONNÉE
d'avions allemands sur Verdun
Paris, 13 février, 16 h. 20.
De la mer à la Lys, les Allemands ont violemment
bombardé Nieuport et la région de la dune. Leur
artillerie a tiré sur Ypres, dans la nuit du 11 au
12, et sur nos positions à l'est d'Ypres pendant la
journée du 12. La nôtre a efficacement répondu.
De la Lys à la Somme, canonnades intermittentes.
Dans la région d'Arras, près de Carency, nous avons
fait exploser deux fourneaux de mines dans les
petits postes ennemis.
Sur la Somme, entre l'Oise et l'Aisne, ainsi qu'en
Champagne, grande activité de l'artillerie des deux
côtés.
Une dizaine d'avions ont survolé la région de
Verdun. Les bombes qu'ils ont lancées n'ont causé
aucun dommage.
Dans la nuit du 11 au 12, deux attaques allemandes
sur nos tranchées du bois des Caures, au nord de
Verdun, ont été repoussées.
En Lorraine, l'attaque allemande sur nos postes
d'Arracourt, signalée dans le communiqué d'hier
soir, a été menée par une compagnie, tandis qu'une
autre compagnie essayait, sans plus de succès,
d'enlever nos postes de Ranzey.
En Alsace, l'ennemi a canonné les positions que nous
avons conquises, le 12 février, dans la région de
Sudelkopf. En raison de l'organisation de nos
tranchées, les effets de ce bombardement ont été
insignifiants.
Paris, 14 février, 0 h. 53.
En Belgique, quelques actions d'artillerie.
A La Boisselle, nous avons fait sauter un fourneau
de mine, dont nous avons occupé l'entonnoir.
Devant Dompierre, au sud-ouest de Péronne,
l'explosion d'une de nos mines a surpris les
pionniers bavarois en train de travailler.
L'ennemi a bombardé les villages de Bailly et de
Tracy-le-Val. Notre artillerie a atteint la gare de
Noyon.
En Champagne, dans la région de Souain, l'un de nos
bataillons avait réussi à s'emparer d'un bois en
avant de nos tranchées, mais il ne put pas s'y
maintenir, une tempête de neige n'ayant pas permis à
notre artillerie de l'appuyer d'une façon efficace.
M. POINCARÉ EN ALSACE
Sa rencontre avec son ancien bataillon d'Alpins
L'accueil touchant de l'Alsace
ON PLEURE, MAIS C'EST DE JOIE
Paris, 13 février, 15 h. 45.
Au cours de son voyage sur le front des armées
françaises, le président de a République a visité
plus particulièrement, avec M. Millierand, ministre
de la guerre, les troupes qui opèrent dans les
Vosges et en Alsace.
M. Poincaré et M. Millerand ont inspecté les
ouvrages avancés des camps retranchés d'Epinal et de
Belfort. Ils ont constaté le bon fonctionnement des
services de ravitaillement, des vivres, des
munitions; des postes et des services sanitaires.
Le président de la République a visité longuement de
nombreuses ambulances.
Il s'est entretenu avec les blessés, dont il a
constaté l'admirable état moral. Il a adressé à tous
des paroles de réconfort.
Le président a rencontré le bataillon de chasseurs
alpins auquel il a appartenu comme capitaine de
réserve. Il a remis, sur la proposition du général
Joffre, la croix de la Légion d'honneur à un
officier et la médaille militaire à un sous-officier
de ce bataillon.
Les chasseurs ont fait à leur ancien capitaine un
accueil extrêmement touchant.
M. Poincaré a visité ensuite nos troupes d'Alsace,
sur trois points différents.
Quand il est arrivé à Urbès, la première commune
alsacienne, le bruit de sa présente s'étant répandu,
habitants et soldats se sont précipités à sa
rencontre, en poussant les cris de « Vive la France
! Vive l'Alsace française ! ». Dans toutes les
localités qu'il a traversées, le président de la
République a dû descendre de son automobile et
parcourir à pied les rues principales, au milieu des
acclamations.
Les vieilles femmes pleuraient de joie. Les jeunes
filles agitaient leurs mouchoirs. De temps en temps,
des femmes ou des enfants remettaient au président
des bouquets.
De nombreuses maisons étaient pavoisées aux couleurs
françaises.
M. Poincaré a parcouru ainsi une vingtaine de
communes alsaciennes. Partout.
la réception a été émouvante. Dans l'une -l'elles,
le président a remercié le conseil municipal de
l'adresse qu'il lui avait envoyée, lui assurant que
les habitants étaient heureux d'être enfin rattachés
à la France.
Dans une autre commune, M. Poincaré est entré à
l'école, où une petite fille lui a lu un compliment,
dans lequel elle a remercié le président des jouets
que leur a adressés Mme Poincaré, puis 200, enfants
environ ont chanté la « Marseillaise ».
A Massevaux, la manifestation a été particulièrement
enthousiaste.
Toutes les maisons étaient pavoisées. Le maire, les
conseillers municipaux, le curé, les notables ont
exprimé au président leur joie de voir leur ville
redevenue française.
M. Poincaré a répondu par des paroles émues. Tous
les assistants avaient les larmes aux yeux.
Il a remis des décorations, notamment à deux
Alsaciens qui portent déjà la médaille de 1870.
Ceux-ci ont éclaté en sanglots, quand le président
leur a donné l'accolade.
Le président de la République a laissé 2 000 francs
pour les pauvres.
Il est reparti ensuite pour Belfort, qu'il a quitté
dans la soirée, longuement acclamé.
ATTAQUES ALLEMANDES
en Lorraine et en Alsace
ILS ONT ENCORE BOMBARDÉ REIMS
Paris, 14 février, 15 heures.
En Belgique, bombardement de Nieuport, de nos
tranchées de la Dune et de la ville d'Ypres. Notre
artillerie a contrebattu les batteries ennemies.
De la Lys à l'Aisne, canonnades intermittentes. Près
de Noulettes, une fraction ennemie, qui essayait de
se porter vers nos tranchées, a été arrêtée net par
le feu de notre infanterie.
En Champagne, activité assez intense de l'artillerie
ennemie sur notre front, devant Reims. La ville a de
nouveau été bombardée. Notre tir sur les tranchées
allemandes a paru donner de bons résultats.
De l'Argonne à la Moselle, journée calme.
En Lorraine, des forces allemandes se sont portées
contre ceux de nos éléments avancés qui occupaient
le signal de Xon (nord-est de Pont-à-Mousson). Les
résultats du combat ne sont pas encore connus.
En Alsace, l'ennemi a pris l'offensive par la vallée
de la Lauch, avec deux colonnes s'avançant sur les
rives sud et nord de la rivière. La marche de ces
troupes a été signalée, retardée et entravée par nos
patrouilles de skieurs. Elles sont actuellement au
contact de notre ligne la plus avancée.
Une violente tempête de neige règne dans les Vosges.
COMMENT VIT SAINT-MIHIEL SOUS LA BOTTE
Paris, 14 février, 17 h. 30.
Un habitant de Saint-Mihiel, qui a pu gagner Paris,
malgré mille dangers, a raconté que les dégâts
occasionnés par les obus de l'artillerie sont assez
sérieux.
L'église des Halles est épargnée. L'église
Saint-Etienne est endommagée. L'immeuble du cercle
militaire est en ruines. Le monument du Souvenir
Français est intact.
Cent-dix habitants environ sont restés à
Saint-Mihiel. Ils se sont réfugiés dans les caves,
où ils ont installe des fourneaux dont les tuyaux
débouchent dans les rues par les soupiraux.
L'imposition de la ville a pu être versée par les
habitants.
La maison du docteur Thierry, maire, a été
entièrement dévalisée. Les Allemands ont attaché une
écharpe à une fenêtre.
Les communes de Rambucourt, Bouconville,
Broussey-en-Woëvre sont chaque jour bombardées.
Elles ne sont plus que ruines.
.Les habitants de Raulécourt, exposés aux obus de
l'armée allemande, sont isolés du monde entier.
Une ligne de chemin de fer
Thiaucourt-Vigneulles-Saint-Mihiel, établie par les
Allemands, passe non loin de cette commune. Elle est
réservée exclusivement à leurs transports.
L'OCCUPATION ALLEMANDE A PIERREPONT
Ces nouvelles remontent au début de décembre.
Jusqu'à cette époque, et après les crimes et les
brutalités des premiers jours, les habitants ne
souffraient pas trop de l'occupation allemande : ils
avaient la nourriture assurée, grâce au dévouement
de M. Colas, conseiller municipal. Le maire fut pris
comme otage, puis relâché. La ville est en partie
détruite par le bombardement, qui dura trois jours,
du 22 au 25 août. Français et Allemands se battent
d'un bout à l'autre du pays. La manufacture de drap
fut incendiée, bien qu'une ambulance y ait été
installée.
Il y aurait eu dans la population peu ce victimes,
parmi lesquelles se trouvent le garde-champêtre
Zeute et un ouvrier italien, Severino Detona, qui
furent fusillés sur la route de Baslieux, et dont on
retrouva, quinze jours plus tard, les cadavres liés
ensemble par le bras ; les deux fils Léonard, Mme
Pingard, deux jeunes gens du Fayel et on nomma même,
paraît-il, M. Colas ; mais il n'y a pas de
certitude, et souhaitons que le distingué directeur
de la manufacture vive tranquille au milieu des
siens.
Ont été emmenés comme prisonniers civils :
M. et Mme Lacrisse, rentiers ; Mme Maudhuy, femme du
chef de gare, et sa fille ; Mme Prévot et ses deux
fils ; Mmes Lhuillier et Nicolas (familles
d'employés de la Compagnie de l'Est) ; Mme Chrétien
; M. et Mme Pauly, avec deux jeunes Parisiens qui se
trouvaient chez eux. Ce sont les seuls noms connus.
La poste fonctionne seulement pour les militaires
allemands, qui y tiennent garnison au nombre de 150
environ.
(à
suivre) |