NOS SUCCÈS entre MEUSE et MOSELLE
Plus de 1, 000 Allemands tués aux Eparges. - Les
seuls survivants d'une compagnie sont faits
prisonniers au bois de Morville. - Succès dans les
bois d'Ailly et de Mortmare.
De VERDUN au BOIS LE PRÊTRE
Paris, 8 avril, 15 heures.
Combats d'artillerie, en Belgique, dans la vallée de
l'Aisne et à l'est de Reims.
Les résultats obtenus entre Meuse et Moselle, et
signalés hier soir, sont confirmés.
Les pluies de ces jours derniers ont profondément
détrempé le sol argileux de la Woêvre, ce qui rend
les mouvements d'artillerie difficiles et empêche
les projectiles d'éclater.
Nos troupes ont consolidé les progrès faits la
veille. Nous avons maintenu tous nos gains, malgré
des contre-attaques extraordinairement violentes Aux
Eparges, notamment, la dernière contre-attaque des
Allemands, menée par un régiment et demi, a été
complètement repoussée.
Ils ont subi d'énormes pertes. Leurs cadavres
couvrent le terrain. Trois cents hommes, qui avaient
un moment pu progresser en avant des lignes
allemandes, ont été fauchés par nos mitrailleuses.
Aucun d'eux n'a échappé Au bois Brûlé, nous avons
enlevé une tranchée ennemie.
Communiqué officiel du 8 avril, 23 heures :
Malgré le mauvais temps persistant, nous avons à
enregistrer de nouveaux succès entre Meuse et
Moselle, dans la nuit du 7 au 8 avril et dans la
journée du 8.
Aux Eparges, une attaque de nuit nous a permis de
faire un nouveau bond en avant. Nous avons maintenu
notre progrès, malgré trois, violentes
contre-attaques.
Nous avons déjà compté sur le terrain plus de, mille
cadavres allemands.
Plus au sud, au bois de la Morville, dans une vive
action d'infanterie, nous avons détruit une
compagnie allemande dont il n'est resté que dix
survivants, qui ont été faits prisonniers par nous.
Au bois d'Ailly, nous avons enlevé de nouvelles
tranchées et repoussé deux contre-attaques.
Au bois de Mortmare, au nord de Flirey, nous avons
pris pied dans les organisations défensives de
l'ennemi et nous nous y sommes maintenus, en dépit
des efforts qu'il a faits pour les reconquérir.
Au nord-ouest de ce bois, à Pannes, un ballon captif
allemand a eu son câble coupé par un nos obus et
s'en est allé à la dérive dans nos lignes, vers le
sud-est.
En résumé, les reconnaissances offensives et les
attaques que nous poursuivons depuis le 4 avril
entre la Meuse et la Moselle, nous ont donné, dès
maintenant, les résultats, suivants :
1° Sur les fronts nord-est et est de Verdun, nous
avons gagné, sur un front de vingt kilomètres de
long, de un à trois kilomètres en profondeur. Nous
avons occupé les hauteurs qui dominent le cours, de
l'Orne et enlevé les villages de Gussainville et de
Fremezey ;
2° Sur les Hauts-de-Meuse, aux Eparges nous avons
conquis la presque totalité des fortes positions
tenues par l'ennemi sur le plateau qui domine
Combres, et conservé le terrain gagné, malgré des
contre-attaques nombreuses et extrêmement violentes
;
3° Plus au sud, près de Saint-Mihiel nous nous
sommes emparés de toute la partie sud-ouest du bois
d'Ailly, où les Allemands étaient fortement établis
et qu'ils n'ont pas pu reprendre, malgré des
contre-attaques répétées ;
4° Dans, la vallée de la Woëvre méridionale, entre
le bois de Mortmare et le bois Le Prêtre, nous avons
conquis, sur un front de sept à huit kilomètres de
long, trois kilomètres en profondeur et enlevé à
l'ennemi les villages de Fey-en-Haye et Régnieville.
Sur tous ces points, les Allemands ont subi des
pertes, dont le nombre des cadavres trouvés aux
Eparges permet d'apprécier l'importance.
DEVANT LE FRONT
LA GUERRE SOUS BOIS
Nous roulons à grande allure de Chalons vers Nancy.
L'activité militaire se manifeste sur les routes par
la rencontre de nombreux véhicules : tantôt ce sont
des trains de voitures régimentaires ou des convois
automobiles que nous croisons, tantôt nous longeons
dans les bourgs ou en pleine campagne de véritables
parcs de moyens de transport. De temps à autre on
rencontre des patrouilles de maréchaussée. Mais dans
ces régions de la zone des armées, on ne voit pas de
troupes en armes, on ne fend pas des flots de
soldats, contrairement à l'opinion populaire et à
l'image qu'on se fait de la guerre. Les soldats sont
à leurs postes. Ils semblent, cachés, même hors des
tranchées. Souvent, dans certains villages, on
trouve des cantonnements paisibles qui rappellent
plutôt les grandes manoeuvres. Des hommes pansent des
chevaux ; d'autres, les bras nus, en corps de
chemise, les ferrent, devant la porte d'une remise.
Dans les villes, toujours des voitures et des
voitures. On dirait d'une guerre de livraisons.
Nous avons constaté que partout on a remué de la
terre. Des travaux de défense nombreux s'échelonnent
et témoignent que les leçons de retranchements ont
été vite et bien apprises. Les fils de fer hérissés
étendent leurs réseaux inextricables autour de ces
terrassements profonds. En chemin, nous avons été
reçus par le général X..., qui commande une armée.
Installé dans une école, où l'on n'a jamais
travaillé avec autant de zèle, le général nous
accueille dans une salle tapissée de cartes
d'état-major rayées de larges traits. « Vous allez
au bois Le Prêtre, nous dit-il, vous verrez ce
qu'est la guerre sous bois, la guerre de sape. Vous
vous rendrez compte des difficultés que nous avons à
vaincre et de la valeur incomparable de nos soldats.
Le général R..., qui vous conduira - c'est lui qui
dirige les opérations du bois Le Prêtre - est
prévenu. Il vous attend.» La réception a été courte.
Nous reprenons la route détrempée, dans les ornières
de laquelle les autos font jaillir des gerbes ou
plutôt des faux de liquides boueux.
Voici Nancy. Les habitants vont et viennent comme en
temps normal ; et c'est une surprise de cette guerre
paradoxale que cette ville, qui « pouvait » être
prise dès le début dès, hostilités, qu'il fallait le
cas échéant, sacrifier à des nécessités
stratégiques, ait gardé sa physionomie, son calme et
sa force, tandis que Lille, qui n'est pas sur la
frontière allemande, connaît la dure loi de
l'occupation. Nancy, de fait, a une tenue admirable.
Chacun y reste à son poste, fier du rôle qu'il a à
remplir: les « coeurs inutiles » sont partis.
Il est midi quand nous arrivons dans la noble cité
lorraine. Deux heures après, nous repartions pour
Pont-à-Mousson et le bois Le Prêtre. Dans la partie
de Pont-à-Mousson que nous avons traversée, nous
n'avons pas vu les effets du bombardement presque
quotidien. Quelques, soldats et de rares civils
marchent le long des maisons, évitant le milieu de
la rue. A partir de Pont-à-Mousson, les autos qui
nous mènent ont la consigne de garder une assez
longue distance entre elles, par mesure de prudence.
Notre procession automobile s'égrène. A l'endroit
fixé, le général R..., accompagné de ses officiers
d'ordonnance, nous accueille très aimablement.
Nouvellement promu, sur place, le général, un «
sapeur », colonel du génie de la veille, porte un
uniforme sans indignes visibles : une longue capote
à une rangée de boutons de drap bleu sombre, un képi
de même couleur ; deux étoiles en acier bruni sar
les manches et le couvre-chef marquent le grade.
Elles n'attirent pas le regard. Aussi ai-je entendu
un soldat que le général interrogeait répondre : «
oui, mon... ». Le soldat voyait bien qu'il avait
affaire à un chef, mais il ne savait pas son grade.
Messieurs, nous dit le général, nous allons de ce
pas au bois Le-Prêtre. Nous monterons d'abord sur ce
plateau qui domine la position et d'où vous pourrez
voir tous les environs. Puis nous irons à la maison
du père Hilarion, qui a été le théâtre d'un combat
acharné.
Le Bois Le Prêtre
La contrée qui était devant nos yeux offrait,
quoique à une échelle réduite, tous les caractères
des pays de forêts et de montagnes. De grands
mouvements de terrain formaient des alternances de
vallées nues et de hauteurs boisées, espaces
labourés et masses noires de sapins. A notre gauche,
sur un flanc découvert, à mi-coteau, on apercevait
des ouvertures carrées de distance en distance,
entrée d'une ligne de tranchées ; devant nous une
forêt de haute futaie s'infléchissait vers un repli
de terrain, - où était tapie la maison du père
Hilarion - et sur notre droite la forêt se
redressait presque à pic et se terminait par une
croupe arrondie couverte d'arbres dont l'extrême
pointe touffue faisait « la corne» du Bois. Le ciel
était couvert ; le vent soufflait par rafales ; de
gros nuages noirs couraient au-dessus des collines
et semblaient s'accrocher et se déchirer aux piques
de sapins. Une pluie glaciale et drue nous fouettait
le visage. Une boue épaisse, gluante et glissante
gênait notre marche. Par un chemin montant, un
sentier plutôt, nous nous rendions sur le plateau
dont avait parlé le général. Le bruit des
détonations ne cessait de résonner, répercuté par
les échos. C'étaient des coups sourds ou éclatants,
non pas un roulement continu mai» des explosions
intermittentes qui donnaient à la solitude et au
silence de ce paysage grave je ne sais quoi de
tragique. Les officiers, nos guides, nous «
présentaient » ces détonations : « Celle-ci, c'est
une pièce lourde allemande ; celle-là c'est une
bombe boche ; ah ! voilà que notre grosse artillerie
répond. » Parfois un grondement qui ébranlait l'air
nous avertissait qu'une mine venait d'exploser.
Soudain, tout près, devant nous, à un détour du
sentier et se détachant sur l'horizon sombre,
apparurent quatre hommes portant une civière. Nos
regards se fixèrent sur deux pieds démesurés, sur
deux masses de boue qui dépassaient la couche
portative et qui avançaient, Nous nous rangeâmes sur
les côtés, ôtant nos chapeaux. Nous vîmes, alors,
quand il passa devant nous, un soldat étendu, la
tête bandée, le front et les joues avec des traînées
de sang frais, le nez pincé et blanc. Le pauvre
garçon venait d'être tué un instant auparavant dans
les tranchées voisines. La mort frappait dans ces
parages.
Sur le plateau, la pluie redoubla de violence. Le
général R... nous fit un petit « topo »
d'orientation. Il nous désigna tous les bois des
environs, toutes les crêtes et nous montra la
direction de nos lignes et celle des Allemands. «
Là-bas, derrière cette colline, c'est Xon, que nous
occupons, et plus loin les hauteurs de Norroy, d'où
l'ennemi bombarde journellement Pont-à-Mousson.
Devant nous s'étend le bois Le-Prêtre. Nous en
occupons la plus grande partie, à partir de la corne
du bois. Les Allemands l'ont tenue longtemps. Leur
première ligne de tranchées se trouvait presque à
l'entrée du bois.
Nous la verrons tout à l'heure. Ils y étaient
solidement retranchés, ainsi que vous pourrez en
juger. Mais nous les avons forcés à les évacuer
après une lutte terrible. Poursuivant notre
avantage; nous nous sommes avancés dans la même
direction à plusieurs centaines de mètres; nous
avons d'autre part, tandis que se produisait cette
attaque de front, attaqué la colline opposée,
prenant l'ennemi de flanc. Il a reculé, après des
alternatives d'attaques et de contre-attaques,
notamment dans le repli où s'élève la maison du père
Hilarion. Il s'est porté à plus d'un kilomètre en
arrière de la lisière de la forêt qui, étant donné
la nature du terrain, marque pour lui un gros échec.
Depuis, nous nous « moulons » sur les lignes
ennemies. Partout nous sommes nez à nez. Nous avons
entrepris un réseau de sape, dans lequel
l'ingéniosité de nos hommes et leur vaillance font
merveille. Ce sont sans cesse des épisodes qui
prouvent, que nous avons acquis l'ascendant sur
l'adversaire. » J'ai retracé d'une manière générale
et vague les paroles précises du général R... pour
une raison qui se comprend facilement. Du haut du
plateau, la vue embrassait l'ensemble de la vallée
et la lisière du bois. On voyait sortir de la forêt
des hommes qui suivaient les sentiers et les routes
en terrain découvert par petits groupes, à la file
indienne ou deux par deux. Et par un mouvement
inverse, d'autres hommes montaient de la vallée vers
la forêt. Ce tableau évoquait assez l'image des
cortèges de fourmis qui se croisent, mais qui
partent toutes d'une même fourmilière ou y
aboutissent. Ici on devinait sans peine ce qu'était
la fourmilière, le trou invisible qui déterminait
cette activité. Parmi ces hommes, les uns avaient
été relevés de leur poste, les autres étaient de
corvée. Ils montaient des seaux à incendie remplis
d'eau potable. Ils avaient des costumes étranges.
Certains revêtaient une façon d'imperméable qui
défie la description exacte. C'était un
caoutchouc-sac d'une couleur où se heurtaient toutes
les nuances du vert ou du jaune. Ni peau de lézard,
ni peau de grenouille, il semblait avoir été trempé
dans une décoction de mousse, de feuilles sèches
dorées, de frondaisons rouillée s, d'aiguilles de
sapin d'un vert cru, de fougères foncées. Par un
phénomène de mimétisme curieux, les habitants de ces
lieux avaient pris les couleurs variées d'un bois
épais, les couleurs de ses quatre saisons. D'autres
portaient des espèces de cuirasses de peau de mouton
: la toison était tournée à l'extérieur. Les bras
restaient libres et dégagés dans les manches de la
capote réglementaire. Ces soldats des bois avaient
vraiment un pittoresque hardi et une tournure
martiale.
La maison du père Hilarion
Nous pénétrons dans le bois. Une odeur lourde de
champignons moisis et des senteurs acides de
cyclamens vous frappent vivement. Nous suivons une
allée bordée de grands arbres qui découpent dans le
ciel comme un canal gris lumineux dans la masse de
la futaie obscure. Mais le canal déverse tout son
contenu sur nos têtes. Nous enfonçons de plus en
plus dans la boue. De droite et de gauche, partent
des layons jonchés de feuilles qui brillent. Nous
voici à la première tranchée allemande conquise par
nos troupes. Ce sont au ras du sol des trous
profonds qui vus du dehors, ne semblent pas
communiquer entre eux. Recouverts de branches et de
feuillage, ils ont formés de cavités larges pouvant
contenir sept ou huit hommes et séparés par un boyau
étroit. Derrière est le poste de commandement de
l'officier. Tout autour des arbres sont coupés. A
mesure que nous avançons, le concert de l'artillerie
paraît s'accentuer. Les coups succèdent aux coups,
les explosions aux explosions. Une note nouvelle
s'ajoute à cette bruyante orchestration. On croirait
s'approcher d'un stand. Le claquement sec des coups
de fusil larde les échos de la forêt. Nous arrivons
à la maison du père Hilarion. C'est une masure
rustique blanche et rose, rendez-vous des
Mussipontains pendant les beaux jours. Ils y
trouvaient des victuailles et à côté une source
fraîche et pure. C'est même pour la possession de
cette fontaine qu'on s'est battu avec tant
d'acharnement. Une inscription sur une planche de
sapin nous avertit qu'il est défendu de laver son
linge à cette fontaine. A gauche de la maison du
père Hilarion, une allée que coupe la première,
celle que nous avons déjà suivie, nous montre à deux
cents mètres une barrière, et, plus loin, une clarté
diffuse très pâle indique, ou une clairière ou la
lisière du bois. C'est à cet endroit clair que se
trouve la ligne allemande. De quatre à cinq cents
mètres nous en séparent. Les Allemands retranchés
sur la droite n'ont pas la vue de l'allée. Deux
balles sifflent dans les arbres. « C'est des Boches!
» nous dit l'officier. Nous sommes près du front et
cependant nous ne voyons pas un soldat à son poste.
Tout le travail se fait sous terre. Seuls les canons
nous signalent que les positions sont bombardées.
Nous revenons par le même chemin, sous la même pluie
glaciale, dans la même boue gluante et glissante.
Nous croisons des soldats, qui montent ou
descendent, en petits groupes séparés. Les uns ont
des fusils les autres des pelles. Qui dira jamais
l'admiration que méritent ces héros ? Quelle
endurance il leur faut pour lutter contre ces
éléments qui s'appellent la pluie, la boue, le froid
! Quelle énergie pour vivre sous terre, dans ce
bois, et pour mener une attaque incessante ! Dans
cette guerre de mines, l'engagement ne connaît ni
trêve, ni repos. L'action continue de jour et de
nuit. Et voilà des mois que cela dure. Mais quand on
a vu le terrain, on s'explique pourquoi un gain de
quelques mètres représente un fait d'armes
important. Soldats et chefs sont pleins d'entrain,
malgré leurs très dures épreuves. Ils ont de la
belle humeur et une confiance souriante. Je
remarquai des soldats qui se pressaient autour de
quelques-uns d'entre nous qui leur distribuaient du
tabac et des cigares. Ils avaient l'air d'écoliers
en vacances. A leur figure, on voit qu'ils ne
souffrent pas de la faim. Le service de
l'alimentation n'est certainement pas en défaut sur
cette partie du front. Le général R... nous a
invités à prendre le thé à son poste de
commandement. C'est une ferme fort simple : une
entrée étroite en forme de couloir que les hommes
balayent tant telle est envahie par l'eau; une assez
vaste pièce basse, éclairée modérément par une lampe
à pétrole, une cheminée monumentale en pierre à
tablier et à colonnes dans laquelle flambe un fagot
imposant. Sur la table, une table dressée, une nappe
blanche, au milieu une couronne de fleurs des bois,
et tout autour des bouteilles, des gâteaux, une
brioche, de grande pointure. De jeunes officiers
font les maîtresses de maison. La salle donne
directement sur l'écurie ; une autre porte ouverte
nous montre une pièce avec des tables rondes
chargées de cartes, de papiers et d'écritures ; un
téléphone brille sur un bureau. La fenêtre; de la
salle n'a plus qu'un ou deux carreaux de verre, des
carrés de papier blanc bouchent le reste de la
fenêtre. « Hier, nous dit le général, un obus est
tombé devant la fenêtre, à quelques mètres et a
brisé, les vitres. » Le son du canon nous rappelle
que nous sommes près des premières lignes. Tout à
l'heure d'ailleurs, à une croisée de chemins, tandis
que les autos étaient arrêtées, un obus a éclaté à
une vingtaine de mètres de la route, à côté d'un
abri dans lequel un soldat a eu juste le temps de se
glisser. Et plus tard, au retour, après avoir pris
congé du général, au moment où les chauffeurs
allumaient les phares, une détonation effroyable
nous avertissait qu'il n'était pas l'heure de
musarder en chemin.
Un autre aspect de forêt
Le décor change. Nous visitons un autre théâtre de
la guerre sous bois. Mais actuellement ce théâtre
fait relâche. Nous sommes dans une forêt aux
environs de Nancy, qu'il est inutile que je nomme. A
la pluie de la veille ont succédé un soleil éclatant
et un froid qui mord. Le sol est détrempé et cède
sous les roues des autos qui s'enfoncent. Des
artilleurs doivent désembourber une de nos voitures.
Partout le silence. Aucun coup de canon pas le
moindre coup de fusil. Avant d'entrer dans la forêt,
nous avons longé de nombreuses tombes, petits
tertres rectangulaires de terre surmontés d'une
croix portant un petit drapeau ou un képi. A un des
croisements de chemins qui s'appellent d'ordinaire
la « Croix du Grand-Veneur » ou la « Croix des
Gardes », nous mettons pied à terre. Nous entrons
sous bois. Nous voici dans un village d'une époque
primitive. Ce ne sont que des huttes, faites de
branches d'arbres. Je pénètre dans l'une d'elles
d'où s'échappe une fumée abondante. J'y trouve un «
poilu » devant un fourneau improvisé sur lequel bout
une grande marmite appétissante.
C'est un rata de pommes de terre. Les hommes qui
habitent ce village portent tous la capote grise.
Ils sont propres et ne ressemblent guère dans leur
uniforme clair aux « mineurs » du bois Le-Prêtre.
Nous avons visité la hutte du capitaine, qui loge
avec son lieutenant : il faut descendre une ou deux
marches ; la pièce n'est pas vaste ; une table sur
laquelle on voit une cuvette en caoutchouc, un
blaireau, une lampe, quelques livres ; un poêle et
au fond une espèce de lit de camp, plan, incliné où
on remarque un sommier à gauche et un matelas à
droite. Le premier est pour le capitaine, le second
pour le lieutenant. Nous visitons aussi une
hutte-abri pour les soldats : longue galerie divisée
en deux parties ; la première contient les sacs, les
fusils, c'est le refuge de jour ; l'autre couverte
de paille, est le couloir profond et sombre d'une
section. La tranchée où on nous conduit a été faite
d'après le dernier cri de règles de l'art : le toit
en est formé de branches solides, l'intérieur est
clayonné soigneusement, des sacs de terre extérieurs
encadrent les meurtrières. Une pompe d'épuisement
assure l'assèchement de la tranchée. Il nous a été
donné de voir un des gros canons de marine servi par
des canonniers de la flotte. L'engin formidable est
caché dans une coupole sur béton et recouvert d'une
carapace épaisse de terre. La première ligne de
tranchées est à peu de distance de la forêt. De la
lisière de celle-ci on aperçoit, en terrain
découvert, des villages de la Lorraine annexée, dont
les clochers se dressent dans le ciel bleu. Dans ce
coin qui appartient au « Grand-Couronné » de Nancy,
il n'y a pas, en c moment, d'activité offensive ou
défensive.
On y attend. Mais on y attend avec calme parce qu'on
sait qu'on est prêt. Les troupes qui occupent ces
postes avancés ne se sont pas croisé les bras. Les
travaux très importants qui ont été exécutés
permettent d'envisager l'avenir avec confiance. Tous
ceux, qui entrent dans cette forêt y trouvent
l'espérance.
(« Le Temps »). JOSEPH GALTIER.
LES BOMBARDEMENTS DE PONT-A-MOUSSON
ont-à-Mousson, 9 avril.
Au cours des derniers bombardements, notamment de
celui de mardi, la place du Paradis et l'avenue de
Metz ont encore une fois de plus souffert. Les
maisons Houpert et Renard sont inhabitables ; les
projectiles crevant le toit, ont tout bouleversé à
l'intérieur des maisons et les locataires ont dû
évacuer leurs appartements. Deux blessés, légèrement
toutefois, M. Claisse et Mme Gauthier, qui habitent
place du Paradis.
Toute, la position des Eparges
EST A NOUS
Quinze attaques allemandes au bois de Mortmare ont
abouti à quinze échecs et à des monceaux de morts
allemands.
Paris, 9 avril, 15 heures.
Les troupes britanniques ont repoussé, dans la nuit
du 7 au 8, une attaque allemande entre Kenimel et
Wulverghem.
Entre Meuse et Moselle, de nouveaux progrès ont été
réalisés. Aux Eparges nous avons encore gagné du
terrain, retourné, face à l'ennemi, les tranchées
allemandes qui étaient encombrées de cadavres, et
repoussé, à la fin de la journée, deux
contre-attaques.
Au bois d'Ailly, où nous avons pris six
mitrailleuses et deux lance-bombes, l'ennemi n'a
plus contre-attaqué depuis hier midi.
Au bois de Mortmare, tous nos progrès ont été
maintenus, malgré une très violente contre-attaque
qui s'est produite hier, à 19 heures.
Paris, 10 avril, 0 h. 58.
Voici le communiqué officiel du 9 avril, 23 heures :
Après une nouvelle et brillante attaque,
l'importante position des Eparges, qui domine la
plaine de la Woëvre, et que l'ennemi défendait
obstinément, est tout entière en notre pouvoir.
Nous avions enlevé, hier, plus de 1.500 mètres de
tranchées et, ce matin, les Allemands ne
conservaient plus, sur le plateau, que deux îlots de
quelques mètres encore fortement tenus.
Nous nous en sommes emparés cet après-midi, en
faisant 150 prisonniers ces derniers jours.
Plus au sud, au bois d'Ailly, nous avons maintenu
tout notre gain de deux cents mètres de profondeur
sur quatre cents mètres de front, et repoussé trois
contre-attaques.
Au bois de Mortmare, les Allemands ont prononcé
quinze attaques pour reprendre les tranchées que
nous leur avions enlevées hier. Ils ont été quinze
fois repoussés. Il y a sur le terrain des monceaux
de cadavres allemands.
Sur l'Yser, en Champagne et en Alsace
Sur le reste du front, les actions à signaler sont
les suivantes :
En Belgique, près de Driedgrachten, une attaque
allemande, a occupé un élément de tranchée sur la
rive gauche de l'Yser, tandis qu'une attaque belge,
débouchant non loin de là, sur la rive droite, y
installait une tête de pont.
En Champagne, une action d'infanterie, toute locale,
mais très vive, s'est déroulée au nord de
Beauséjour. Les Allemands ont essayé de reconquérir
une partie des tranchées perdues par eux le mois
dernier, mais leur attaque a été fauchée, sauf sur
un point, où ils ont réussi, hier soir, à
s'installer dans un élément avancé.
Aujourd'hui, nous les avons contre-attaqués. Nous
avons repris cet élément et ramené l'ennemi à son
point de départ en lui infligeant des pertes
sensibles.
Sur les pentes sud-est de Hartmansviler, le nombre
de prisonniers faits par nous dans la dernière
journée est de 150.
Nouvelles du Pays meusien
Pareid. - Un élève de l'école Saint-Louis, récemment
rapatrié, adresse de Grignon (Savoie), la lettre
suivante :
« Le 27 août, nous vîmes des dragons allemands qui
vinrent en éclaireurs et coupèrent les fils
télégraphiques. Durant huit jours, on les vit aussi
mais ils ne firent aucun mal à Pareid, mon pays
natal. A Maizeray, qui se trouve à 2 kilomètres
environ, le téléphoniste qui avait mal compris les
ordres de la receveuse des postes de Fresne fut tué
dans la plaine en tentant de rejoindre ce village
avec ses appareils.
Le 4 ou le 5 septembre, au soir, arriva le gros de
l'armée. Ce fut alors que commencèrent pour nous les
douleurs de l'invasion. Le lendemain, les Boches
réquisitionnèrent hommes, chevaux et voitures, et
enlevèrent toutes les poutres, planches, volets et
même les portes qu'ils purent trouver. Les maisons
inhabitées furent soumises à un pillage méthodique
et en règle. Il n'y resta que les quatre murs.
Ils commencèrent leurs tranchées couvertes dans la
plaine et, afin de faciliter leur besogne, ils
faisaient couper les avoines par des hommes qu'ils
conservaient ensuite comme otages. Ils arrêtèrent le
curé, le maire et plusieurs conseillers municipaux,
les enfermèrent dans une maison et ne les
relâchèrent qu'au bout de quelques jours.
Du matin au soir, des bandes de pillards entraient
dans toutes les maisons et y volaient tout ce qu'ils
voulaient. On n'avait rien à dire et ils nous
menaçaient lorsque nous n'étions pas contents. De
plus, nous avions continuellement des troupes à
loger. Ils nous réquisitionnaient tout. Le village
était sous une véritable terreur ; il fallait se
cacher pour manger, cuire le pain, etc... Il fallait
tout dissimuler, ou bien ils nous volaient tout.
Lorsqu'ils découvraient des provisions quelconques
ou tombaient sur des caves bien garnies, c'était une
maison mise à sac.
On vivait aussi sous la perpétuelle menace de se
voir tous fusillés et de voir en même temps le
village brûlé. Ils nous accusaient d'espionnage ou
de faire les francs-tireurs.
Cependant, ils ne fusillèrent personne à Pareid. Il
y eut des morts causées par une épidémie de faux
choléra, dont les Boches avaient une frousse
terrible. Leurs majors soignaient les malades.
Le village n'avait aucunement souffert avant mon
arrestation.
Le 30 septembre, on arrêta tous les hommes et on les
enferma dans l'église. On prit les noms et les âges.
Nous y passâmes la nuit et, à 2 heures du matin, un
sous-officier, qui parlait français, vint avec une
liste et nous appela à vingt. Nous partîmes pour
Metz.
On nous incarcéra. Nous allâmes ensuite à Darmstadt.
Les autres hommes, à partir de 48 ans, restèrent
enfermés à l'église, puis à la mairie. Ils durent
arracher les pommes de terre pour les Boches.
Ensuite, on évacua le village trois semaines après
notre arrestation. »
UN TAUBE SUR NANCY
Nancy, 11 avril.
Samedi, vers cinq heures du soir, plusieurs
détonations ont averti les habitants de Nancy que
nos braves artilleurs postés sur les collines
tiraient sur un « taube » qui essayait de venir
survoler la ville.
L'avion ennemi, s'apercevant qu'il était découvert,
s'empressait de faire demi-tour et de regagner les
lignes allemandes.
LEURS PERTES AUX ÉPARGES
Durant les deux derniers mois les pertes allemandes
auraient atteint là 30.000 hommes. - Nous avions en
face de nous leurs meilleures troupes.
Paris, 10 avril, 15 heures.
Rien à ajouter au communiqué d'hier soir.
Des rapports complémentaires arrivés dans la nuit
relatent que les deux attaques qui nous ont rendus
maîtres, hier, des dernières positions allemandes
aux Eparges, ont donné lieu à des combats acharnés à
la baïonnette.
Paris, 11 avril, 0 h. 58.
Communiqué officiel du 10 avril, 23 heures :
Entre Meuse et Moselle, nous avons conservé tout le
terrain gagné et fait de nouveaux progrès.
Entre l'Orne et la Meuse, il n'y a eu aucun
engagement.
Aux Eparges, l'ennemi n'a réagi ni par son
infanterie ni par son artillerie. La journée a été
calme. La totalité de la position est en notre
pouvoir.
Les déclarations des prisonniers soulignent
l'importance de notre succès.
Les Allemands, depuis la fin de février, avaient
engagé, sur cette partie du front, toute la 33e
division de réserve, puis vers la fin de mars, quand
cette division fut épuisée, ils y envoyaient la 10e
division active du 5e corps d'année, constituée avec
les meilleures troupes de leur armée. C'est cette
division qui vient de perdre une véritable
forteresse, édifiée sur l'éperon des Eparges.
Ces troupes avaient reçu, à diverses reprises,
l'ordre de tenir coûte que coûte. Il leur avait été
spécifié que la position était de la plus haute
importance et leur général avait dit que pour la
conserver il sacrifierait « la division, le corps
d'armée, cent mille hommes s'il le fallait ».
Les pertes subies aux Eparges par les Allemands,
dans les deux derniers mois, atteignent trente mille
hommes.
Dans le bois de Mortmare, nous avons enlevé une
nouvelle ligne de tranchées et repoussé une
contre-attaque.
Au nord de Regniéville, nous avons consolidé et
élargi légèrement notre position.
En Lorraine, une demi-compagnie qui, dans la nuit du
9 au 10 avril, avait poussé jusqu'au village de
Bezange-la-Grande, situé entre nos lignes et les
lignes allemandes, a été enveloppée par des forces
supérieures et faite prisonnière.
A HOUDELAINCOURT
Nous recevons de M. Mage, notaire a Houdelaincourt,
la lettre suivante :
« Dans l'intérêt de la vérité, afin de rendre à un
bon Français la justice qui lui est due, je vous
serai obligé de rectifier l'article que vous avez
fait paraître dans votre journal, relatant
l'incendie à la ferme de Toulon.
Votre correspondant vous fait dire que cette ferme «
était affermée à un sieur Schmitt, sujet allemand,
qui, au début des hostilités, s'est empressé de
repasser la frontière ».
La vérité est toute autre.
Schmitt est Français, et bien Français. Il a fait
son service militaire en France, et, actuellement,
il est soldat et combat avec les nôtres contre
l'Allemagne, qu'il exècre, cela, je puis vous
l'assurer.
Son frère unique, qui a également fait son service
en France, combat aussi avec nous contre les
Allemands (le bruit a même couru qu'il était tué).
Quant aux père et mère Schmitt, qui sont encore
existants et habitent Horville, canton de
Gondrecourt (Meuse), ce sont de ces Alsaciens
réintégrés dans leur qualité de Français, qui
détestent nos ennemis, plus qu'aucun de nous.
Ce pauvre Schmitt n'est peut-être pas même assuré
contre l'incendie, ou l'est insuffisamment. Ce sera
assez pénible pour lui de faire cette perte et de
risquer sa vie tous les jours pour la France, que de
se voir encore traiter d'Allemand.
Je connais particulièrement Schmitt et sa famille.
C'est moi qui lui ai loué la ferme. C'est pourquoi
j'estime que je dois le défendre de cette
accusation, en son absence.
Le chiffre des pertes indiquées est bien inférieur à
la réalité, mais cela n'a pas d'importance. »
ENTRE MEUSE & MOSELLE
Progrès au Bois Le Prêtre et dans celui de Mortmare
Pas, 11 avril, 15 h 05.
En Belgique, sur l'Aisne et en Champagne, actions
d'artillerie.
Les progrès entre Meuse et Moselle, signalés dans le
communiqué de Ce matin, sont confirmés.
Au bois de Mortmare, le front conquis a été étendu
vers l'Est par l'enlèvement de nouvelles tranchées.
Plusieurs contre-attaques ont été repoussées.
Au Bois-le-Prêtre, une avance a été réalisée à la
lisière Ouest du te Quart en réserve ». Une
mitrailleuse allemande a été prise.
La neige, la pluie et le vent ont fait rage presque
toute la journée.
ÉCHECS ALLEMANDS
près d'Albert et dans l'Argonne
Paris, 12 avril, 3 heures.
Voici le communiqué officiel du 11 avril, 23 heures:
Au Nord d'Albert, les Allemands ont prononcé, dans
la nuit du 10 au 11 avril, une attaque sur les deux
rives de l'Ancre, au centre de nos tranchées de
Hamel et du bois de Thiepval. Ils ont été repoussés
après un combat corps à corps.
Dans l'Argonne, une lutte très vive s'est déroulée
pendant toute la nuit. Nous avons démoli un
blockhaus ennemi, pris trois cents mètres de
tranchées et maintenu notre gain, malgré deux
contre-attaques allemandes.
Entre Meuse et Moselle, aucune action d'infanterie
n'est signalée dans la région des Eparges et de
Combres depuis notre succès du 9 avril.
Au bois d'Ailly, une attaque lancée dans la soirée
du 10 avril, nous a rendus maîtres d'une nouvelle
ligne de tranchées.
Au bois de Mortmare, les Allemands ont réussi, dans
la nuit, à reconquérir les tranchées qu'ils avaient
perdues au cours de la journée, mais les positions
que nous avions conquises le 8 avril demeurent tout
entières en notre possession.
Dans le bois Le-Prêtre, à la lisière Ouest du «
Quart en réserve », deux violentes contre-attaques
ennemies ont échoué sous notre feu d'artillerie.
Nos avions ont lancé des obus de 155 sur la gare
maritime et sur la fonderie de Bruges.
UN ZEPPELIN m NANCY
Six bombes pour un incendie
Pas de victimes
Nancy, 12 avril.
Dans la nuit de dimanche à lundi, par un ciel
magnifiquement constellé d'étoiles, Nancy a eu sa
seconde, visite de zeppelin. Il y avait bien eu, on
le sait, depuis le 26 décembre, un certain nombre
d'autres tentatives, mais les mastodontes aériens
avaient toujours jugé prudent de ne pas dépasser les
points d'où l'on peut efficacement les canonner. Il
était un peu plus d'une heure, lorsque deux fortes
détonations, pour ainsi dire accouplées, et bientôt
suivies d'une troisième, réveillèrent, divers
quartiers de Nancy en sursaut.
On pourrait croire que, se conformant à de sages
recommandations, chacun s'était hâté de descendre à
la cave, ou de gagner du moins les étages
inférieurs.
Il n'en fut rien, pour la plupart des Nancéiens, qui
s'empressèrent, au contraires de se mettre à leurs
fenêtres., afin de jouir du spectacle.
On ne pouvait cependant avoir aucun doute sur la
nature de cette alerte nocturne. On entendait très
distinctement le bruit des moteurs, que l'on peut
comparer celui d'une batteuse ou encore d'une
locomotive haletant sur quelque plaque tournante mal
ajustée.
Nos réflecteurs inondaient le ciel d'immenses rubans
de clarté, tandis que les canons, tiraient de tous
côtés sur le bandit des airs.
Ce dernier jugea prudent de ne pas insister
davantage, et, sans prendre le temps de nous lancer
de nouveaux engins, il filait à toute vitesse vers
la frontière.
Un quart d'heure s'était à peine écoulé depuis son
apparition, que le bruit de ses moteurs
s'évanouissait dans le lointain.
Le zeppelin, pendant son cours passage au-dessus de
Nancy, avait donc envoyé six bombes. Hâtons-nous de
dire qu'elles n'ont fait heureusement aucune
victime. Mais elles ont provoqué un incendie, deux
commencements d'incendie et les dégâts matériels
sont, assez importants.
Rue Victor
L'incendie s'est déclaré rue Victor, 16, dans les
dépôts de M. Maurice, négociant en couleurs et
vernis, rue des Carmes. Là, dans un vaste enclos, se
trouvent trois constructions parallèles et
perpendiculaires à la rue. Elles renferment des
matières destinées à la préparation des couleurs :
des alcools et des essences de pétrole et de
térébenthine, le tout, on le comprend,
essentiellement inflammable.
C'est dans le bâtiment du milieu, construit en
planches, que la bombe incendiaire est tombée. En
peu d'instants, le feu s'est développé. Le
camionneur de M. Maurice, qui s'était, réveillé au
bruit de la détonation, s'est levé aussitôt - il
était alors 1 h. 25. Voyant que l'incendie prenait
des proportions, il s'est empressé d'appeler les
voisins, d'organiser les premiers secours et de
faire avertir les sapeurs-pompiers.
Ceux-ci, prévenus quelques minutes auparavant qu'un
commencement d'incendie s'était déclaré rue de la
Prairie, 13, dans les chantiers de MM. Bernanose et
Lhommée, entrepreneurs, s'étaient déjà rendu à cette
adresse, mais là, à leur arrivée, tout était éteint.
Le lieutenant Collignon, qui commande les sapeurs,
aperçut alors la vive lueur d'incendie des entrepôts
de M. Maurice. Il se dirigea immédiatement de ce
côté.
A son arrivée sur les lieux, il organisa les secours
avec l'effectif de la compagnie accouru avec le
matériel au complet.
Le feu fut rapidement combattu. Après une heure de
travail, nos braves sapeurs étaient maîtres du
sinistre, malgré la violence des flammes qui avaient
trouvé un aliment facile dans les matières enfermées
dans le bâtiment ; les autres constructions où se
trouvaient des matières aussi dangereuses avaient pu
être préservés. Il y avait notamment un petit
bâtiment, distant seulement de quelques mètres, et
où étaient emmagasinées plusieurs pipes d'alcool et
des fûts de benzine.
A deux heures et demie, les sapeurs rentraient à là
caserne, laissant sur les lieux un piquet pour
continuer à arroser les décombres.
Les dégâts sont assez importants. Ils peuvent être
évalués à cent mille francs environ.
A une trentaine de mètres des magasins de M.
Maurice, à l'angle de la rue du Progrès, une bombe
est tombée sur la chaussée, où elle a fait un trou
énorme d'une profondeur d'environ un mètre sur trois
mètres de diamètre.
L'explosion fut particulièrement violente. Un mur en
briques, élevé en façade de la rue du Progrès,
s'effondra, sur une longueur de trois mètres,
renversé, laissant apercevoir l'intérieur des
magasins de M. Henri Essig, fabricant de meules à
émeri.
La partie de la construction sur la rue Victor a été
disloquée, mais n'est pas tombée.
Fait qui mérite d'être constaté : en explosant, la
bombe n'a envoyé que très peu d'éclats, car les
maisons voisines ne portent presque pas de traces.
Une autre bombe explosive est tombée dans le pré
situé entre le boulevard d'Austrasie et la rue des
Chaligny, devant l'abattoir. Elle a creusé
simplement un énorme trou en terre.
Sur le quai du canal, devant les chantiers de M.
Kronberg, négociant en houilles, une bombe, en
explosant, a fait aussi au trou dans le sol,
soulevant les pavés, brisant les rails d'une petite
voie ferrée qui sert au déchargement des bateaux.
Un morceau de la bombe a été lancé avec une telle
force qu'il est allé retomber de l'autre côté du
canal, où il a été retrouvé.
Rue de la Prairie, n° 13, une bombe incendiaire est
venue tomber sur un petit appentis peu élevé,
construit en planches, en bordure de la rue. Elle a
traversé la toiture peur venir s'abattre sur le sol.
Au brait de la détonation, M. Bernanier, chef de
chantier de la maison Bernanose, qui habite la
maison voisine, s'est levé et avec le plus grand
sang-froid, a ouvert la porte de la maisonnette
atteinte. Apercevant sur le sol une bombe en train
de brûler en projetant une grande lueur, il l'a
saisie par l'anse, au risque de se brûler et s'en
est allé la placer sous une fontaine du voisinage.
L'engin, une fois bien détrempé, a pu être rapporté
dans le chantier de M. Bernanose. Ajoutons qu'à
l'aide de quelques seaux d'eau, on avait pu éteindre
le léger commencement d'incendie, avant même
l'arrivée des sapeurs-pompiers.
La dernière bombe est venue s'abattre près de la
panne faîtière du toit de l'école maternelle du quai
de la Bataille. Après avoir brisé quelques tuiles,
elle est allée heurter le plancher du grenier, où le
choc a provoqué l'explosion, qui la fit rouler près
du mur.
En achevant de brûler, elle a communiqué le feu au
plancher et au plafond de l'unique étage, qu'elle a
traversés pour s'abattre sur le plancher d'une
chambre à coucher, où fort heureusement, il n'y
avait personne.
Le plancher a brulé très lentement et c'est vers
quatre heures seulement que Mme Schwab la directrice
de l'école, qui couche dans une autre pièce, aperçut
la lueur et qu'elle donna l'alarme.
Les pompiers accoururent. Ils purent rapidement
conjurer tout danger. Les dégâts causés à cet
immeuble sont peu importants.
Mme Schwab, qui est déjà d'un certain âge, habite
seule à la maison maternelle. Un peu après une
heure, elle avait entendu la détonation produite par
la bombe, et avait cru que celle-ci était tombée
dans la cour ; justement, effrayée, elle n'avait pas
osé sortir de son lit. Ce n'est que lorsque
l'incendie se déclara qu'elle prit la résolution de
se lever.
Mme Schwab a déjà été éprouvée par la guerre, car un
de ses fils, capitaine d'infanterie, a été tué au
début de la campagne, et ses autres enfants sont
encore sur le front.
Aussi, lorsqu'elle nous eut raconté les incidents de
cette nuit terrible, elle ajouta: « Lorsque mes
enfants vont savoir cela, ils auront encore plus de
courage pour combattre et exterminer ces Allemands.
»
Puis, toute tremblante encore, Mme Schwab rentre
dans son logement, en maudissant les Barbares qui
commettent de tels méfaits, sans nécessité
militaire.
L'engin tombé sur le quai du canal devait être
particulièrement puissant, car un pavé en granit,
arraché du sol, fut en partie brisé et projeté
jusqu'à la rue Lasalle, où il tomba sur la toiture
de la maison portant le numéro 26.
Il traversa la toiture et vint s'abattra sur le sol
de la cage de l'escalier, sans causer d'autre dégât,
ni d'accident de personne. Ce morceau de pierre pèse
deux kilogrammes cinq cents grammes.
Beaucoup de Nancéiens étaient sortis dans la rue au
bruit des détonations. Ils ont pu constater que le
dirigeable ennemi avait été parfaitement repéré par
nos projecteurs, et c'est sans doute pour cela qu'il
s'éloigna sans avoir épuisé l'habituelle provision
de bombes.
Lundi matin, Nancy avait sa physionomie laborieuse
et calme de tous les jours.
Nous avons organisé nos gains
ENTRE MEUSE et MOSELLE
UNE BONNE PRISE
Paris, 12 avril, 15 heures.
Il n'a pas été signalé d'action d'infanterie pendant
la journée du 11 avril.
En Belgique, sur l'Ancre, entre l'Oise et l'Aisne et
en Champagne, canonnades de part et d'autre.
Entre Meuse et Moselle, nous nous sommes organisés
sur les positions conquises par nous au cours des
combats précédents. L'ennemi n'a pas contre-attaqué.
Nous avons, le 10 avril, au bois d'Ailly et au bois
Le-Prêtre, pris cinq mitrailleuses et un
lance-bombes.
Des Eparges au Bois Le Prêtre
ILS NOUS
contre-attaquent mais vainement
Paris, 13 avril, 0 h. 02.
Voici le communiqué du 12 avril, 23 heures :
Aux Eparges, pendant la nuit du 11 au 12 avril,
après une canonnade et une fusillade assez vives,
les Allemands ont contre-attaqué à 4 h 30 et ont été
repoussés.
Au bois d'Ailly, dans la région de Flirey, actions
d'artillerie violentes, mais sans engagement
d'infanterie.
A u bois Le-Prêtre, le 11 avrils vers vingt heures,
une tentative d'attaque de l'ennemi, dans la partie
du « Quart de réserve », a été facilement enrayée.
Au cours de la journée du 12 avril, nous avons
chassé les Allemands d'un élément de tranchée d'une
ligne précédemment conquise et dans lequel ils
avaient réussi à se maintenir.
Dans la nuit du 11 au 12 avril, vers 1 h. 30, un
dirigeable allemand a jeté sur Nancy sept bombes,
dont une est tombée près de l'hôpital civil et une
autre près d'une école. Deux commencements
d'incendie ont été rapidement éteints.
LE ZEPPELIN ET LES TAUBES
Nancy, 13 avril.
Dans la matinée de lundi, plusieurs habitants de
notre ville ont signalé qu'en plus des six bombes
dont on avait retrouvé les traces à la première
heure, d'autres engins avaient été lancés par le
zeppelin, pendant son court passage au-dessus de
Nancy.
Dans la rue du Maréchal-Oudinot, à l'angle du
boulevard d'Alsace Lorraine, une bombe est tombée
dans un jardin au pied d'un arbre en faisant un
simple trou en terre.
A peu de distance de là, dans la propriété de
Saurupt, appartenant à M. de Villars, un autre
projectile n'a également fait aucun mal.
Rue du Montet, n° 13, un engin a traversé la toiture
d'un atelier de la manufacture de chaussures de M.
Laurent. Il est allé s'abattre sur une table,
provoquant un commencement d'incendie, qui a été
rapidement éteint par M. Laurent à l'aide de
quelques seaux d'eau. La table et quelques paires de
chaussures ont été détruites ; plusieurs carreaux
ont été brisés.
Une autre bombe s'est abattue dans le jardin de
l'hospice Saint-Julien devant la chapelle. Là
encore, il n'y a eu qu'une petite excavation dans la
terre.
Enfin, près de la Meurthe, dans le prolongement du
boulevard d'Austrasie, un projectile a creusé aussi
son trou.
Sur le territoire de Tomblaine, au lieu dit La
Méchelle, plusieurs bombes sont tombées dans les
prés. Deux ont fait explosion. Le résultat a été des
excavations assez vastes.
Enfin, à Vandoeuvre et à Nabécor, deux bombes sont
venues s'abattre, l'une dans un jardin, l'autre dans
une cour près d'un bâtiment. Il n'y a eu aucun
dégât. Près de la ferme de Brichambeau, un
projectile a fait aussi une excavation dans un
champ.
Gomme on peut le constater, à part les dégâts causés
rue Victor et rue du Progrès, la visite du zeppelin
n'a eu pour les Allemands aucun résultat pratique.
Quant à la population de notre ville, on peut
répéter qu'elle a tout son sang-froid et n'a été
nullement impressionnée. Lundi, chacun échangeait
tranquillement ses impressions sur cette visite
nocturne.
Nous avons eu la visite des taubes.
Dans la matinée de lundi, vers sept heures et demie,
trois avions ennemis, qui essayaient de traverser
nos lignes du côté de Frouard ont été accueillis par
une vive canonnade. Tous trois se sont empressés de
regagner leurs hangars.
Dans l'après-midi, à quatre heures, un taube venant
du côté de Seichamps a été également canonné et
s'est empressé de fuir au plus vite, pour échapper à
nos projectiles, dans prendre le temps de nous
apporter les siens.
Lutte de mines et de grenades
DE TRANCHÉE A TRANCHÉE
Nos avions sur Vigneulles
Paris, 13 avril, 15 h. 05.
De la mer à l'Aisne, rien à signaler, si ce n'est
quelques actions d'artillerie.
A l'est de Berry-au-Bac, nous nous sommes emparés
d'une tranchée allemande.
En Argonne, luttes de mines et combats à coups de
bombes et de grenades d'une tranchée à l'autre.
Entre Meuse et Moselle, journée relativement calme.
Nos troupes sont parvenues en plusieurs points au
contact du réseau de fils de fer de la défense
ennemie.
Paris, 14 avril, 1 heure.
Le communiqué officiel du 13 avril, 23 heures, dit :
Journée calme sur l'ensemble du front.
Nous avons maintenu et consolidé nos positions sur
les divers points où nous avons progressé depuis
huit jours.
Nos avions ont bombardé, avec succès les hangars
militaires de Vigneulles-en-Woëvre, et dispersé non
loin de là un bataillon allemand en marche.
INTÉGRAL ?
Nancy, 14 avril.
Pendant que nos soldats combattent pour défendre la
Patrie, il est bon que les civils préparent ou
rétablissent pour eux les foyers délaissés et dont
quelques-uns ont été détruits.
Ce n'est pas une oeuvre vaine de polémique que l'on a
entreprise en sollicitant, en exigeant du
gouvernement, et des représentants du peuple la
réparation des dommages causés par la guerre. La
justice n'existerait pas si elle ne commandait à
tout le pays de donner aux combattants qui
reviendront et à leurs familles la possibilité de
reprendre avec courage et confiance le travail que
le salut national a interrompu.
La Lorraine a été pour une grande partie envahie,
bombardée, pillée, dévastée, brûlée. Il faut qu'elle
revive comme elle vivait avant, et que les cruels
sacrifices ardemment consentis ne soient pas
aggravés par la-perte de ce qui est le motif
principal de vivre.
Le principe a été adopté par le gouvernement. Mais
il a été entouré de telles réticences, d'une si
obscure explication que certaines personnes se
demandent avec angoisse si la promesse formelle aura
sa réalisation complète. Nous avons trop de foi en
la République pour en douter un seul instant.
Pourtant, afin que n'existe plus aucune ambiguïté,
ni aucune crainte, disons ce qui est nécessaire de
dire.
Certains s'effarent un peu devant le mot « intégral
» que nos amis veulent ajouter au mot « réparation
». Ils estiment que ce serait aller trop loin, qu'on
peut ainsi demander réparation non point seulement
des dommages matériels et constatés, mais aussi des
répercussions plus ou moins indirectes, et aussi du
« manque à gagner ».
- Prenons, disent-ils, l'exemple des chapeaux de
paille. Il n'est pas contestable que la guerre en a
arrêté la fabrication. Devrons-nous aussi payer ce
dommage ?
C'est pousser trop loin la logique. En demandant la
réparation intégrale des dommages causés par la
guerre, nous n'entendons pas que l'on rembourse à
tous les Français ce que la guerre leur a enlevé de
bénéfices à bon droit escomptés. Les commerçants que
la guerre aura enrichis n'ont nullement l'intention
de rendre l'argent qu'ils auront gagné. Il ne
saurait donc être question de débourser des millions
pour les commerçants ou les industriels qui auront
été pendant la campagne privés de leurs bénéfices
habituels.
Mais ce que nous demandons, c'est que le
propriétaire de toute maison incendiée, bombardée ou
pillée, soit dédommagé intégralement. C'est que le
possesseur ou le fermier d'un champ dont la récolte
a été ravagée par la bataille soit dédommagé
intégralement.
C'est que la famille dont le foyer a été détruit ou
détérioré soit dédommagée intégralement.
C'est que le soldat, après la victoire, ait à
nouveau en ses mains intégralement le bien qu'il
faisait fructifier, et les moyens de le travailler.
Il a donné son coeur, son corps, son sang à la
patrie. Il s'est voué entièrement à sa défense. La
patrie pendant la paix a en échange le devoir de le
défendre aussi.
- Mais alors, objecte-t-on, si un collectionneur a
été par l'envahisseur dépossédé de la collection de
timbres qu'il avait amoureusement rassemblée dans
son château maintenant incendié, il faudra lui payer
sa collection de timbres qu'il estimera un ou deux
millions ? Où irons-nous ?
Eh! oui il faudra lui payer ses timbres non pas au
prix qu'il estimera, mais à dire d'experts. Et on
n'ira pas plus loin que la justice.
Que comptent d'ailleurs les belles collections, dans
le règlement final, au regard de toutes les
chaumières, de toutes les fermes, de toutes les
maisons brûlées ou démolies, des récoltes perdues,
des sources nourricières taries dans les régions
envahies ? Quand vous aurez donné quelques millions
pour les collections, enlevées, cela n'ajoutera pas
grand'chose aux milliards que vous devez donner à
l'agriculture, au commerce, à l'industrie que les
Allemands ont réduits à rien dans certaines
contrées.
Ne laissons pas dévier une idée de justice vers
l'examen spécieux des sophismes.
Les propriétaires expulsés par la fusillade, la
canonnade ou les nécessités militaires, les
commerçants ruinés par la guerre, les industriels
dont les usines ont été arrêtées ont droit à la
justice. La justice, en cette circonstance, est la
réparation intégrale des dommages.
Que l'on remplace « intégral » par un autre mot, si
l'on veut. Nous ne tenons pas à la formule. Nous ne
réclamons que le droit, mais le droit précis, et
écrit dans une loi claire.
René MERCIER.
LA BATAILLE DU GRAND-COURONNÉ
Nancy, 14 avril.
Nous partons de Nancy à huit heures et demie du
matin. C'est le 4 mars. Le ciel, gris d'abord, un
petit soleil de premier printemps va l'éclairer. Des
automobiles militaires, servies par des chauffeurs
de l'état-major, sont mises à notre disposition.
Elles filent vers l'est sur la route nationale, qui
tend à la Lorraine annexée, et auraient bientôt
passé la frontière, nous conduisant à
Château-Salins, Morhange et Sarreguemines, si les
tranchées allemandes n'étaient pas là, sur l'autre
rive de la Seille.
Dès qu'on est sorti de la ville, le regard fouille
un vaste horizon. La contrée est très ouverte et
semée de collines de grand relief. Les prairies,
d'aspect maigre, alternent avec les bois défeuillés.
Les villages et les maisons isolées sont assez
rares. La vue est fermée devant nous à quinze ou
vingt kilomètres par une crête en demi-cercle,
qu'occupent encore les Allemands. Bien qu'aucun
engagement important ne se livre dans la journée, le
canon tonne à notre gauche, vers le bois Le Prêtre,
au nord de Pont-à-Mousson, devant nous, près de
Nomeny.
Nous faisons halte sur un tertre, où l'officier
d'état-major commis à ce soin nous explique la
bataille qui préserva Nancy de l'occupation
allemande. Il faut d'abord la situer dans l'histoire
de la guerre pour en montrer l'importance et les
résultats.
La deuxième et la troisième semaines d'août avaient
été, pour l'armée française, heureuses et presque
faciles. La double offensive prévue par l'état-major
progressait. L'armée du général Pau, après s'être
rendue maîtresse des défilés des Vosges, passait en
Alsace. Mulhouse avait été une seconde fois occupée
et Les avant-gardes avaient atteint les accès de
Colmar. Dans la Lorraine annexée, les armées du
général Sarrail et du général de Castelnau, une fois
le Donon, sommet septentrional des Vosges, en leurs
mains, avaient poussé hardiment dans le terrain qui
s'étend au sud de Metz. D'abord, tout alla bien ; au
delà de la Seille, les Français avaient, le 19 août
au soir, atteint Delme, Dieuze et Morhange. Ils ne
s'étaient heurtés qu'à des troupes de couverture.
C'est le 20 que commença la malemparée. Plusieurs
corps d'armée allemands attaquèrent tout à coup. La
droite française céda la première, entraînant après
elle le centre et la gauche, qui pouvaient être
débordés. Le grand état-major allemand lança le 21
août un bulletin triomphant :
Conduites par le prince héritier de Bavière, des
troupes appartenant à toutes les races germaniques
ont remporté hier une victoire dans des batailles
livrées avec des forces considérables entre Metz et
les Vosges.
L'ennemi s'avançant en Lorraine a été rejeté avec de
grosses pertes sur toute la ligne.
Le succès total ne peut pas être encore apprécié,
attendu que l'étendue du champ de bataille est plus
grande que ne le fut celle des luttes de toutes nos
armées en 1870-1871.
Animées d'un élan irrésistible, nos troupes
poursuivent l'ennemi et continuent à le combattre
aujourd'hui.
Le lendemain, 22 août :
Les troupes françaises battues hier entre Metz et
les Vosges ont été poursuivies et leur retraite a
dégénéré en fuite. Jusqu'ici, plus de dix mille
prisonniers ont été faits et au moins cinquante
canons pris. Les forces ennemies battues
comportaient plus de huit corps d'armée.
L'empereur adressait au roi de Bavière une dépêche
de félicitations pour les haut faits du prince
Ruprecht. A Munich, devant le palais des
Wittelsbach, ce fut un délire et, du haut de son
balcon, le roi Louis III haranguait la foule en ces
termes:
Je suis fier de voir mon fils remporter de si beaux
succès à la tête de ses vaillantes troupes ; mais
ceci n'est qu'un début. De grandes victoires nous
attendent encore. J'ai la confiance dans la qualité
de l'armée allemande, qui restera victorieuse quel
que soit le nombre des ennemis.
Eh bien ! la bataille du Couronné de Nancy devait
pourvoir à ce que les Allemands fussent arrêtés net,
sur la frontière même, après leur victoire de Metz,
comme ils disent, de Morhange, comme l'appellent les
Français.
Ce résultat allait permettre à Joffre de rallier son
armée sur la Marne, quand venant de Belgique les
Allemands eurent débordé sur le Nord de la France
après la bataille de Charleroi. Sans la résistance
du Grand-Couronné, ce formidable coup d'arrêt eût
été impossible. Avançant de l'Est à l'Ouest les
Allemands eussent franchi la trouée de Charmes et
débordé la droite du généralissime, rendant sa
position intenable, soit, qu'ils eussent marché
droit devant eux vers l'Ouest., soit qu'ils eussent
pris le plateau de Langres pour objectif. Joffre
aurait dû reculer au moins jusqu'à la ligne de la
Seine.
L'armée impériale comptait bien cueillir rapidement
les fruits de son succès du 20 août. Le premier qui
s'offrait était de choix : Nancy. Cette ville n'est
pas une forteresse. En 1870, elle fut occupée, sans
coup férir, par une avant-garde de uhlans. On la
considérait comme sacrifiée. Si les Allemands
prenaient l'offensive, c'est derrière la ligne
Epinal-Toul-Verdun et les Hauts-de-Meuse que l'armée
pourrait opposer une première résistance efficace.
La littérature militaire française ne le mettait pas
en doute. La littérature militaire allemande, moins
encore. Si bien que certaines catégories de
réservistes avaient, dès le début de la guerre, reçu
l'ordre de rejoindre leur corps à Nancy, dans les
derniers jours d'août. Une entrée triomphale sur la
place Stanislas, l'une des plus élégantes de
l'Europe avec sa ceinture de grilles dorées était
pour sourire à Guillaume II. Nancy, Nanzig, comme
ils disent, devait devenir, après la paix, une ville
allemande, capitale de la Westfranken, ou Franconie
occidentale. Le 22 août l'empereur arrivait à Delme,
avec le régiment des cuirassiers blancs, pour
préparer ce grand spectacle.
Qui donc eût imaginé qu'après huit mois de guerre se
déroulant en majeure partie sur le sol français,
Nancy serait encore inviolée et confiante? C'est une
surprise, presque un miracle. Comment la bataille du
Grand-Couronné, dont les résultats furent si
décisifs, n'a-t-elle pas, dès aujourd'hui, sa place
au rang des plus mémorables ?
J'avais cru que le Grand-Couronné était un ensemble
de travaux du génie construits à loisir en temps de
paix. Il n'en est rien. C'est une position naturelle
renforcée, où il fallait, par des ouvrages de
campagne hâtifs. Supposez une demi-lune, un
demi-cercle de hauteurs, les unes boisées, les
autres dénudées, protégeant Nancy du Nord au Sud, la
Meurthe sinueuse, large et lente en formant la
corde. Il commence au Nord, vers Pont-à-Mousson,
pour se fermer au Sud vers Saint-Nicolas-du-Port,
Dombasle et la forêt de Vitrimont. Les collines dont
il est fait sont élevées d'une centaine de mètres,
très allongées, à pentes symétriques, sans angles
morts, avec de grands champs de tir.
Le général de Castelnau avait pour mission de
défendre le Grand-Couronné.
Il disposait à cet effet de quatre corps d'armée,
ceux qui avaient combattu à Morhange, où les
dépêches officielles allemandes prétendaient en
avoir mis huit « en fuite ». C'étaient les 9e, 15e,
16e et 20e corps. Ils étaient appuyés par trois
divisions de réserve, la 68e, la 59e et une autre
dont le numéro m'échappe. Les Français étaient donc
un peu moins de deux cent mille.
L'attaque allemande se produisit sur deux directions
principales. L'armée du prince royal de Bavière,
venant de Delme, avait pour objectif le secteur nord
du Grand-Couronné ; des éléments de la garnison de
Metz et l'armée du général Heeringen, venant de
Sarrebourg et de Dieuze, devaient attaquer, en
partie directement sur Nancy, par la forêt de
Champenoux, en partie plus au sud, par Cirey,
Blâmont, Badonviller, Baccarat, Gerbéviller,
tournant la droite de la position française.
Cette aile de l'armée était beaucoup la plus
avancée, puisque après un vif combat, elle occupa
Lunéville le 21 août.
Je ne puis retracer toutes les phases de la
bataille, qui, avec des accalmies, dura une douzaine
de jours et ne fut achevée que vers le 6 au 7
septembre, avant - notons-le bien - qu'eût commencé
la bataille de la Marne.
L'armée venant de Delme vint se heurter au sud de
Mousson, au mont Sainte-Geneviève, qui commande la
vallée de la Moselle. Après des combats répétés,
dont plusieurs corps à corps furieux, l'attaque fut
abandonnée le 7 septembre. Depuis lors, l'armée
allemande a reculé de quelques kilomètres. Les mêmes
troupes tiraillent encore chaque jour dans le bois
Le Prêtre, dont nous entendons distinctement le
canon.
Ce n'est pas cette partie du grand champ de bataille
que nous avons parcourue, mais la partie sud.
L'officier qui nous sert de guide la raconte de la
façon la plus saisissante, sans grand déballage de
détails tactiques, mais nous montrant ce qu'il a vu.
« Notre état-major était là. A l'aide de nos
jumelles, nous avons aperçu les premiers Allemands
sortant de la lisière de ce grand bois, là-bas, à
gauche. Alors nos 75, en batterie derrière cette
crête, ont ouvert le feu. » Et ainsi de suite.
Racontée de la sorte, sur les lieux, par un témoin
bien disant et expert; le récit prend vie et nous
voyons les principaux épisodes de la bataille.
A notre gauche, se dresse le Grand-Mont d'Amance,
avec un village entre le Petit et le Grand-Mont,
comme Monnetier entre le Petit et le Grand-Salève.
Il a joué pour le secteur sud le rôle sauveur du
mont Sainte-Geneviève pour le secteur nord, bien
qu'il ait été écrasé d'obus, plusieurs jours durant,
par des batteries lourdes allemandes qu'on
n'arrivait pas à repérer et auxquelles il eût été du
reste inutile de chercher à répondre, puisque leur
portée était plus longue que celle des pièces dont
les Français disposaient alors.
Un des épisodes les plus sanglante fut rentrée en
ligne de la brigade de Toul formée des 168° et 169e
de ligne.
« Elle était dans ce bas-fond. Elle a reçu l'ordre
de traverser là, à gauche de la route, ce saillant
de la forêt de Champenoux, puis, arrivée à l'autre
lisière, de gravir à couvert la pente qui aboutit au
petit plateau que vous voyez, de le traverser, de
franchir la route et de marcher sur le bois
d'Erbéviller, qui s'étend à droite. Nous suivions
d'ici tout ce mouvement La brigade s'est calmement
déployée: Nous l'avons vue peu à peu disparaître
sous bois. Pas un coup de canon. Pas un coup de
fusil. Après une longue attente, ses lignes ont
émergé de la forêt, à l'angle fixé. Après une
conversion bien exécutée pour prendre la nouvelle
direction, elle a gravi le coteau en ordre, toujours
sans être inquiétée. Mais, quand elle a débouché sur
le petit plateau, nous l'avons vue fauchée en
quelques minutes. A la lisière du bois d'Erbéviller,
les Allemands avaient soigneusement dissimulé douze
mitrailleuses qui, tout à coup, sans que rien eût
révélé leur présence, se mirent à cracher à trois ou
quatre cents mètres. Leurs gerbes de balles
balayaient le sol. En vain nos hommes se jetaient à
terre pour riposter. Ils étaient touchés à la tête.
Quelques-uns avaient mis leur sac devant eux.
Rempart illusoire. Presque tout ce qui avançait au
sommet du coteau est tombé. La terrasse était
encombrée de morts et de blessés qui se touchaient
tous sur plusieurs centaines de mètres carrés... »
Nous allons voir. Sept mois ont passé et les traces
du charnier restent toujours apparentes. D'abord ce
sont de longues, longues tombes anonymes, où des
centaines de jeunes hommes dorment côte à côte. Une
croix surmontée d'un képi rouge, parfois aussi d'une
ceinture bleue, et quelques inscriptions sommaires.
Nous nous découvrons, la gorge serrée.
Le canon du bois Le Prêtre, à quelques kilomètres,
nous rappelle qu'il s'agit, non d'un émouvant
spectacle d'histoire, mais de la réalité présente et
toute voisine.
(Journal de Genève) ALB. B.
LA FIN D'UN TAUBE
Nancy. 14 avril.
Mardi matin, un taube, venant de la frontière,
semblait se diriger sur Lunéville, Il fut aperçu par
un de nos avions, qui lui livra aussitôt line chasse
acharnée.
Le taube, atteint probablement dans son réservoir
d'essence, ne tarda pas à prendre feu et alla
s'abattre près de Croismare.
Les uns disent que les deux officiers qui le
montaient ont été carbonisés ; d'autres assurent
qu'ils sont seulement blessés et faits prisonniers.
CALME SUR LE FRONT D'OCCIDENT
Un Zeppelin a tué trois civils et nous avons abattu
trois avions allemands
Paris, 14 avril, 15 h. 15.
Rien à signaler depuis le communiqué de ce matin.
Un zeppelin a jeté des bombes au-dessus de Bailleul.
Il visait le terrain d'aviation qu'il n'a pas
atteint Trois civils ont été tués.
Deux avions allemands ont été obligés d'atterrir
dans nos lignes, l'un près de Braine, l'autre près
de Lunéville. Les aviateurs ont été faits
prisonniers.
Un troisième appareil ennemi, atteint par le feu de
nos avant postes, est tombé près d'Ornes (nord de
Verdun), à six cents mètres de nos lignes. Un des
aviateurs a été atteint par une balle.
CONTRE-ATTAQUE ALLEMANDE
Ils sont arrêtés et repoussés, à Perthes, aux
Eparges, au bois d'Ailly et au bois de Mortmare.
Paris, 15 avril, 0 h. 15.
Voici le communiqué officiel du 14 avril, 23 heures
:
Près de Berry-au-Bac, nous avons enlevé, hier soir,
une tranchée allemande que l'ennemi a reprise;
pendant la nuit. Nous avons pu nous installer à
proximité dans une tranchée nouvelle.
En Champagne, dans la région de Perthes, un
détachement d'infanterie allemande a tenté de sortir
de ses tranchées. Il a été arrêté sur place par
notre feu.
Aux Eparges, une contre-attaque allemande a
débouché, hier soir, de Cambres. Elle a été
immédiatement arrêtée par notre artillerie.
Dans le bois d'Ailly, nous avons élargi notre front
et repoussé une contre-attaque.
Dans le bois de Mortmare, nous avons progressé à
l'ouest de notre ligne et repoussé deux
contre-attaques. Nous avons fait des prisonniers,
pris un canon de 37 et beaucoup de fusils et de
munitions sont restés entre nos mains.
NOUVEAUX PROGRÈS DE L'ARGONNE à L'ALSACE
Paris, 15 avril, 15 h. 15.
Près de La Boisselle, notre artillerie lourde a
complètement bouleversé les tranchées et les abris
de l'ennemi, à Ovillers.
En Argonne, près de. Fontaine-aux- Charmes, une
action toute locale, de tranchées à tranchées, s'est
poursuivie à notre avantage. Notre ascendant sur
l'ennemi s'affirme de plus en plus dans ce secteur.
Aux Eparges, l'ennemi a bombardé nos positions, mais
n'a pas attaqué.
Au bois d'Ailly, nos derniers progrès nous ont
rendus maîtres d'une partie de la tranchée
principale allemande, et, au nord de cette tranchée,
d'une bande de terrain de 400 mètres de long sur 100
mètres de profondeur.
Près de la route Essey-Flirey-bois de Mortmare, la
nouvelle tranchée que nous avons conquise est
toujours en notre pouvoir.
Près de Fey-en-Haye, bombardement sans attaque
d'infanterie.
Au bois Le-Prêtre, après avoir conquis, le 13, une
partie de la ligne ennemie, nous avons, hier,
maintenu nos gains et arrêté une contre-attaque.
En Alsace, au nord le la Lauch, nous avons progressé
de quinze cents mètres dans la direction du
Schnepfenriethkopf, au sud-ouest de Metzeral.
BRILLANT SUCCÈS PRES DE NOTRE-DAME-DE-LORETTE
Leur acharnement inutile, de la Meuse à la Moselle,
surtout aux Eparges, dans le bois de Mortmare et au
bois Le Prêtre
Paris, 16 avril, 1 heure.
Communiqué officiel du 15 avril, 23 heures :
Au nord d'Arras, nous avons remporté un brillant
succès, qui complète celui du mois dernier. Tout
l'éperon sud-est de Notre-Dame-de-Lorette a été
enlevé à la baïonnette par nos troupes, qui tiennent
maintenant la totalité des pentes du sud-est,
jusqu'à lia lisière d'Ablain-Saint-Nazaire. Nous
avons fait 160 prisonniers, dont plusieurs
officiers, et pris trois lance-bombes et deux
mitrailleuses.
A Thiéval et à La Boisselle, dans la région
d'Albert, l'ennemi a tenté deux attaques, qui ont
été immédiatement arrêtées.
En Argonne, à Bagatelle, notre artillerie a démoli
la tranchée principale des Allemands.
Plus à l'est, aux Nourrissons, nous avons repoussé
une attaque.
Aux Eparges, l'ennemi a contre- attaqué trois fois,
dans la nuit de mercredi à jeudi, pour nous
reprendre le saillant est, mais il a été repoussé et
a subi de fortes pertes.
A midi, il a violemment bombardé nos positions, mais
il n'a pas attaqué.
Dans le bois de Mortmare, nous avons repoussé une
contre-attaque et poursuivi sur le terrain conquis
le 13, l'inventaire de notre butin qui se compose de
deux canons-revolvers, de deux lance-bombes, d'une
mitrailleuse, de plusieurs centaines de fusils et de
milliers de cartouches et de grenades.
Dans le bois Le-Prêtre, nous avons repoussé une
attaque et fait des prisonniers.
UN TAUBE ABATTU
Paris, 16 avril, 15 heures.
Aucune action nouvelle sur le front depuis le
communiqué de ce matin.
Notre artillerie a abattu, hier après-midi, un avion
qui est tombé, en face des lignes anglaises en
arrière des, tranchées allemandes, au nord d'Ypres.
LEUR RAGE INUTILE CONTRE
Notre-Dame-de-lorette et les Eparges
Succès d'artillerie à Mortmare
Paris, 17 avril, 0 h. 40.
Voici le communiqué officiel du 16 avril, 23 heures
:
A Notre-Dame-de-Lorette, les Allemands ont
contre-attaqué trois fois, en préparant chaque
contre-attaque par un violent bombardement. Ils ont
été toutes les fois arrêtés.
Ils ont échoué également dans une tentative de
contre-attaque aux Eparges, la nuit dernière.
Au bois de Mortmare, combat d'artillerie. Nous avons
réduit au silence trois batteries et fait sauter un
dépôt de munitions.
UN TAUBE SUR BELFORT
Pars, 17 avril, 18 h. 05.
BELFORT. - Ce matin, à neuf heures, un avion
allemand a survolé Belfort, à une très grande
hauteur. Il a jeté trois bombes. L'une d'elles, en
éclatant, a blessé mais peu grièvement un homme et
une femme. Les deux autres n'ont causé que des
dégâts matériels insignifiants.
Vivement canonné par les forts et pourchassé par un
de nos aviateurs, le taube a regagné vite les lignes
allemandes.
NOS VAILLANTS AVIATEURS
Ils bombardent une fabrique d'obus une poudrerie et
une usine d'électricité puis battent, au retour, 3
aviatiks
Paris, 17 avril.
Notre aviation s'est montrée très active. Dix bombes
ont été jetées sur les ateliers du chemin de fer à
la gare de Léopoldsthohe, à l'est de Huningue,
actuellement utilisés pour la fabrication des obus.
Dix obus mit été lancés sur la poudrerie de
Rothweil. Six ont porté. Une grande flamme rouge
s'est élevée, surmontée d'une épaisse fumée. Nos
aviateurs ont reçu des éclats d'obus dans leur
appareil mais ils sont rentrés sains et saufs.
Quarante obus, dont la plupart ont porté, ont été
jetés sur le central électrique de
Maizières-les-Metz, à quinze kilomètres au nord de
Metz, usine qui fournit la force et l'éclairage à la
ville et aux forts de Metz. Une épaisse fumée s'est
élevée du bâtiment central.
A leur retour, nos aviateurs rencontrant trois
aviatiks leur ont donné la chasse et les ont forcés
à atterrir.
Ils n'ont eu aucun accident, malgré la violente
canonnade des forts de Metz.
LE 88e BOMBARDEMENT DE PONT-A-MOUSSON
Pont-à-Mousson, 17 avril.
Un de nos confrères reçoit des détail sur le 88e
bombardement de Pont-à-Mouson, qui a eu lieu lundi :
« Lundi, vers six heures du soir, alors que les
habitants vaquaient tranquillement à leurs
occupations, des obus sifflèrent. Une dizaine de
projectiles de gros calibre (du 210) tombèrent sur
la ville, en différents endroits.
La maison qui abrite les bureaux de la régie eut sa
façade endommagée, ainsi que les maisons voisines.
Beaucoup de vitres brisées et quelques arbres
mutilés.
Un éclat d'obus fracassa le bras gauche du jeune
Baillard, âgé de 18 ans. Transporté à l'ambulance la
plus proche, ce jeune homme reçut les soins
nécessaires et son état est aussi satisfaisant que
possible.
Un projectile a éclaté dans une courette, causant
des dégâts matériels très importants dans les
maisons Maréchal, Demairon, Toussaint et Sellier, où
heureusement il n'y a pas eu de victimes. Les murs
sont en partie écroulés ou soufflés, gondolés comme
du carton. Les logements des étapes supérieurs sont
inhabitables, remplis des décombres de la toiture.
Mme Maréchal a dû évacuer son logement, qui ne
présente plus de sécurité, certaines cloisons étant
prêtes à tomber au moindre choc ; plusieurs poutres
des appartements ont été arrachées par la force de
l'explosion et projetées à quelques mètres plus
loin.
Mardi les Allemands ont encore bombardé
Pont-à-Mousson avec des pièces de gros calibre.
La malheureuse petite ville en est à son 88e
bombardement. »
NOS SUCCÈS DE LA SOMME A L'ALSACE.
Paris, 17 avril, 15 heures.
Rien n'a été signalé depuis le communiqué de ce
matin.
Paris, 18 avril, 1 h. 04
Communiqué officiel du 17 avril, 23 heures :
A Notre-Dame-de-Lorette, nous avons arrêté net, dans
la nuit de vendredi à samedi, trois contre-attaques,
moins fortes que celles de la nuit précédente.
Nos troupes se sont organisées solidement sur la
position conquise.
Dana la vallée de l'Aisne, notre artillerie lourde a
bombardé les grottes de Pasly, qui servent, d'abri
aux troupes allemandes. Des explosions successives
ont témoigné de l'effondrement de plusieurs d'entre
elles.
En Champagne, au nord-ouest de Perthes, l'ennemi a
fait exploser deux mines à proximité de nos
tranchées. Il a occupé les deux entonnoirs, mais
nous l'avons chassé de l'un d'eux aussitôt. Il a
conservé l'autre et aucune partie de nos tranchées
n'a été occupée par lui.
Non loin de là, au nord de Mesnil, une attaque
contre un des saillants de notre ligne a été
facilement repoussée.
Dans la Woëvre, combat d'artillerie, notamment dans
la région du bois de Mortmare, mais aucune action
d'infanterie ni hier, ni aujourd'hui.
Dans les Vosges, nous avons réalisé des progrès
sensibles sur les deux rives de la Fecht.
Sur la rive nord, nous nous sommes emparés de
l'éperon ouest de Sillakerwasen, à l'ouest, de
Metzeral, et nous avons débouché dons le ravin qui
descend vers la Fecht.
Sur la rive sud, nos chasseurs, après une attaque
brillante, ont enlevé le somment du
Schnepfenriethkopf, qui a 1.235 mètres d'altitude au
point culminant du massif qui sépare les deux
vallées aboutissant à Metzeral
Un Taube abattu
Un de nos dirigeables sur Fribourg
Un avion anglais a abattu un avion allemand en
Belgique, près de Boesinghe. L'appareil est tombé
dans nos lignes. Le pilote a été tué et
l'observateur fait prisonnier.
Un de ros dirigeables a bombardé la gare et les
hangars d'aviation de Fribourg-en-Brisgau.
HUIT OBUS SUR SAINT-DIÉ
Saint-Dié, 18 avril.
On nous écrit :
« Depuis plusieurs semaines, notre ville semblait
devoir être tranquille, et ne recevait plus que
quelques visites de Taubes ou d'Aviatiks.
« Jeudi soir, vers 1 heures de l'après-midi, huit
obus de petit calibre sifflaient au-dessus de nos
têtes. En un clin d'oeil, les rues étaient désertes.
Les obus tombèrent sur plusieurs points, la plupart
sans éclater : rien que des dégâts matériels. C'est
le 26° bombardement. »
HOMMAGE AUX FEMMES DE LORRAINE
Nancy, 18 avril.
Notre ami Louis Michel, maire de Tomblaine,
président de la Société centrale d'agriculture de
Meurthe-et-Moselle, fait aux Fédérations agricoles
et à la presse, sous le titre : « Rendons hommage
aux femmes des agriculteurs lorrains », la
communication suivante :
Les habitants du Centre, du Midi ou de l'Ouest de la
France seraient très étonnés s'ils visitaient le
département de Meurthe-et-Moselle, en voyant
l'activité déployée dans les campagnes par les
femmes de nos agriculteurs mobilisés.
Le département de Meurthe-et-Moselle comprend 600
communes, dont 171 sont occupées ou évacuées. Sur
les 429 communes, actuellement libres, 145 ont été
sinistrées et ont touché de l'Etat, à titre d'avance
sur les indemnités qui leur seront versées plus
tard, des semences de printemps et quelques
instruments agricoles pour leur permette de
travailler.
Le département de Meurthe-et-Moselle ensemence, en
année normale, environ 70.000 hectares d'avoine, ce
qui représente sensiblement 100.000 quintaux de
semences.
Dans les communes qui n'ont pas été touchées par la
guerre, les ensemencements sont faits complètement,
aussi bien en blé qu'en avoine, malgré le manque
d'hommes et de chevaux.
Aux 145 communes sinistrées, il a été distribué
12.000 quintaux d'avoine, et l'on estime qu'un
certain nombre de cultivateurs de ces régions,
pouvant se passer du concours de l'Etat, en ont semé
environ 4.000 quintaux. Ces 145 communes ont donc
ensemencé 16.000 quintaux, c'est-à-dire 70 % de leur
ensemencement normal, qui nécessite 23.000 quintaux.
Comment ne pas admirer ces femmes, dont les maris
sont mobilisés, dont les maisons sont brûlées pour
la plupart, et qui ont pris la direction de leurs
fermes ?
Les hommes sont dans les tranchées, le canon tonne
de toute part, la charrue, en traçant son sillon,
descend fréquemment dans les trous creusés par les
obus ; peu importe, le travail se fait normalement.
A cinq heures du matin, les femmes de nos
cultivateurs sont dans les champs ; elles
surveillent les ouvriers d'occasion, que le hasard
leur a mis sous la main, les leurs étant mobilisés.
Elles déploient une énergie que l'on ne rencontre
pas souvent, même chez les hommes.
Si, dans quelques coins de la France, se trouvent
des personnes impatientes ou découragées, qu'elles
jettent un regard sur nos vaillantes femmes
lorraines, leurs coeurs se raffermiront en présence
de tant de courage et d'abnégation.
Un pays qui possède de telles forces ne peut être
vaincu.
Louis MICHEL,
Président de la Société Centrale d'Agriculture de
Meurthe-et-Moselle et des Fédérations agricoles du
Nord-Est de la France.
Les Français que les affaires conduisent en Lorraine
ou la curiosité de savoir ce qui se passe « presque
» sur le front, ont maintes fois manifesté leur
étonnement de la prodigieuse vitalité qu'ils
rencontrent à Nancy visité par les Zeppelins, à
Pont-à-Mousson bientôt à son centième bombardement,
à Lunéville que les Allemands occupèrent pendant
vingt jours, et où ils assassinèrent et brûlèrent,
de ci de là. Ils n'ont, pas assez de termes
admiratifs pour rendre leur surprise et aussi leur
émotion.
Ce calme stoïque et cette souriante tranquillité
sous les obus, sous les bombes, sous la menace
germaine, seront, quand on écrira plus tard
l'histoire de la grande guerre, les titres de gloire
les plus éclatants pour la Lorraine.
Le courage des femmes dans nos grandes cités est
partout cité en exemple. Mais nos visiteurs d'un
jour ou d'une semaine, si on leur procure la
possibilité de s'approcher des tranchées, n'ont pas
le temps de voir la vie dans les villages. Ils ne
savent pas que nos évacués allaient parfois, parmi
la mitraille, regarder leurs champs, les cultiver,
arracher la récolte abandonnée, et que, par amour de
la terre où ils sont nés, où ils travaillent, ils
bravaient tous les périls pour aller quelques heures
la toucher de leurs mains calleuses, la caresser de
leur regard reconnaissant.
Il fallait qu'une parole autorisée rendît aux femmes
des cultivateurs l'hommage qui leur est dû. M. Louis
Michel, qui connaît et qui aime d'une profonde
affection le sol lorrain et tous ceux et toutes
celles qui vivent sur ce sol, a voulu que la
vaillance des villageoises lorraines fût connue de
toute la France.
Et il a cité devant le pays le noble travail des
Lorraines de la campagne comme on cite devant
l'armée les exploits héroïques des combattants.
Il n'est pas besoin de chercher des mots magiques
pour glorifier les actes en temps de guerre. La
parole se sent faible devant le regard tranquille
qui dit : « Je fais mon devoir ».
Ainsi que nos soldats les femmes des cultivateurs
accomplissent leur devoir, qui est fait de ferme
volonté et d'indestructible espérance.
Honneur à celles qui aux mains des hommes réclamés
par le salut de la patrie ont saisi la robuste
charrue, et, dans le tumulte de la bataille qui
s'éloigne, continuent à tracer sans peur le sillon,
un jour interrompu, au creux de notre terre deux
fois sacrée par le sang et par le travail !
RENÉ MERCIER.
POURQUOI UN ZEPPELIN
a bombardé Nancy
Nancy, 18 avril
Le communiqué officiel allemand du 12 avril nous
apprend pourquoi un zeppelin est venu jeter quelques
bombes sur Nancy, dans la nuit de dimanche à lundi.
Il dit :
« A titre de représailles de l'attaque aérienne du 5
avril, contre la ville ouverte de Mulheim, où trois
femmes ont été tuées, un de nos dirigeables a arrosé
abondamment de bombes incendiaires Nancy, centre du
groupe des fortifications de ce nom. »
Le communiqué aurait bien dû ajouter, le lendemain,
pour la plus grande joie des Boches, que le « centre
des fortifications de Nancy » avait, dû beaucoup
souffrir, puisque les bombes avaient atteint une
école maternelle et failli toucher un hôpital et
l'abattoir !
UN TAUBE A NANCY
Nancy, 18 avril.
Les Nancéiens ont eu le plaisir, vendredi soir, vers
heures, de voir un Taube de tout près. Mais il ne
survolait pas les maisons pour leur lancer des
bombes, car chargé sur une auto spéciale, solidement
enchaîné, le sinistre oiseau était conduit de la
gare vers Toul, d'où il ira, dit-on, à Paris.
Cet avion boche, dont les ailes étaient disposées
sur le chariot de façon à bien montrer leur grand
croix noire, était celui descendu ces jours derniers
près de Croismare, et qu'on avait dit d'abord avoir
été incendié.
LES BOMBARDEMENTS DE PONT-A-MOUSSON
Pont-à-Mousson, 18 avril.
Pont-à-Mousson a encore été bombardé à deux
reprises, dans l'après-midi et la nuit de mardi avec
des projectiles de gros calibre. Fort heureusement
il n'y a eu aucune victime.
Le fond du jardin de M. Bonnette père fut
copieusement labouré et la toiture de la loge de ce
jardin fut projetée sur les arbres des environs. Un
obus alla se perdre dans l'île d'Esch.
Les maisons situées entre le café Janin et la
boulangerie Kauffmann furent sérieusement atteintes.
Il en fut de même, sur un autre point, de la maison
de M. Marchal, dont le propriétaire et sa femme
réfutés dans le couloir furent littéralement
soulevés par l'explosion.
Les obus du second bombardement éclatèrent à peu
près aux mêmes points que ceux du premier. Un cheval
fut enseveli sous les décombres de l'écurie de M.
Gaudiot. Les maisons de M. Lejaille, conducteur des
ponts et chaussées, de M. Isler, de Mme Dieudonne et
la boulangerie Benoît ont beaucoup souffert. Il n'y
a eu heureusement, pas d'accidents de personnes, et
pourtant, à cette beure (1 h. 10, ainsi qu'en
témoigne la pendule de M. Lejaille, qui s'est
arrêtée), tout le monde était couché, ses lits
occupés furent, traversés, on a retrouvé des éclats
dans les sommiers, les paillasses, etc.
Enfin, le dernier obus éclata sur le groupe scolaire
Saint-Charles, causant aussi des dégâts aux maisons
avoisinantes.
VIOLENTE ATTAQUE REPOUSSÉE
près d'Orbey, en Alsace
Paris, 18 avril, 15 heures
Une attable allemande préparée par un violent
bombardement, a été prononcée par un bataillon
contre nos positions au nord-ouest d'Orbey (Alsace).
Elle a été repoussée. L'ennemi a laissé de nombreux
morts devant nos tranchées. Nous avons fait une
quarantaine de prisonniers.
Un avion belge a abattu un avion allemand près de
Roulers.
Dans la même région, une de nos escadrilles a
efficacement bombardé un terrain d'aviation.
UNE JOURNÉE D'ÉCHECS ALLEMANDS
Dans l'Aisne, en Champagne en Lorraine et en Alsace
Paris, 19 avril, 6 h. 40.
Communiqué officiel du 18 avril, 23 heures :
Journée relativement calme, marquée surtout par des
combats d'artillerie et par quelques action
d'infanterie toutes locales. Dans la vallée de
l'Aisne, au bois de Maintmard, l'ennemi a attaqué
nos tranchées sur la fin de l'après-midi. Notre
artillerie l'a arrêté net puis une charge à là
baïonnette lui a infligé des pertes sérieuses.
En Champagne, au nord-ouest de Perthes, les
Allemands ont dû évacuer un entonnoir qu'ils
occupaient encore, à proximité de nos lignes.
Par explosion de mines, suivie d'une attaque, nous
avons enlevé soixante mètres de tranchées ennemies.
Dans la Woëvre, simple canonnade.
L'ennemi à prononcé, en Lorraine aux environs de la
forêt de Parroy, plusieurs petites attaques, avec de
faibles effectifs, notamment près de Bures,
Mouacourt, Emberménil et Saint-Martin. Toutes, ces
tentatives ont été facilement repoussées. En Alsace,
les Allemands ont attaqué trois fois, sans aucun
succès, nos tranchées du petit Reichackerkopf. Nous
avons fait de nouveaux progrès dans la région de
Schnepfenrieth.
PROGRÈS EN BELGIQUE
ET SUR LES DEUX RIVES DE LA FECHT
Paris, 19 avril, 15 heures.
Les troupes britanniques ont enlevé hier, en
Belgique près de Zvartelen, deux cents mètres de
tranchées allemandes. Malgré plusieurs
contre-attaques, elles ont conservé le terrain gagné
et consolidé leurs positions.
En Alsace, progrès sensibles. Notre avance se
poursuit sur les deux rives de la Fecht.
Sur la rive nord, nous avons occupé la crête du
Burgkopfte (sud-ouest du Schilleckervassen), qui
commande directement la vallée.
Sur la rive sud, dans la région de Schnepfenrietch,
nous avons notamment progressé en marchant du sud au
nord.
Dans la direction de la Fecht et de Metzeral, nous
avons occupé notamment une série de hauteurs dont la
plus septentrionale commande le cours de la Fecht,
face au Burgkopfle. Au cours de cette action, nous
avons pris une section d'artillerie de montagne,
deux canons de 74 et deux mitrailleuses.
Les Taubes sur Belfort
es avions allemands qui ont survolé Belfort ont
jeté quatre bombes. Celles-ci ont endommagé deux
hangars et mis le feu à quelques caisses de poudre.
Il n'y a au ni accidents de personnes ni dégâts
sérieux.
ATTAQUE VAINE CONTRE LES ÉPARGES
Nos progrès en Alsace
Paris, 30 avril, 1 h. 10.
Voici le communiqué officiel du 19 avril, 23 heures
:
Dans la nuit du 18 avril, à 3 h. 30, une
contre-attaque allemande s'est produite aux Eparges.
Elle a été complètement repoussée.
Au bois de Mortmare, action d'infanterie, sans
résultat appréciable, ni d'une part ni de l'autre.
Dans la région de Regniéville, lutte d'artillerie
assez violente, où nous avons pris nettement
l'avantage.
Dans les Vosges, nos attaques menées sur les deux
rives de la Fecht, ont accentué nos progrès et forcé
l'ennemi à évacuer précipitamment Eselsbrucke, en
amont de Metzeral, où il a abandonné un nombreux
matériel.
Garros prisonnier
'aviateur Garros, obligé d'atterrir à lngelmunster,
à dix kilomètres au nord de Courtrai, a été fait
prisonnier dans la soirée du 18 avril.
Nouvelles du Pays meusien
Braquis. - Trésauvaux. - Beauzée. -
Ménil-sous-les-Côtes. - Moranville. -
Mont-sous-les-Côtes.-L'autorité militaire a fait
évacuer en ces derniers temps les villages ci-dessus
par leurs habitants qui ont été dirigés sur Verdun
où ils furent hospitalisés dans les meilleures
conditions possibles.
Cette mesure fut prise pour faciliter nos opérations
dans la Woëvre qui étaient entravée par la présence
de ces populations.
Les Allemands mettent en sûreté les, merveilles
dérobées aux Français. - On a transporté à Metz,
dans la chapelle des Templiers, les oeuvres d'art
provenant des localités françaises situées à
proximité du front.
On y remarque surtout une statue gothique de
Ligier-Richier, datant de 1523 et un panneau sculpté
détaché d'une chaire. Ces deux objets proviennent de
Hattonchâtel.
A Etain, les Allemands ont enlevé un groupe de
pierre, par Ligier-Richier, datant die 1528 et
représentant Marie devant le cadavre du Christ,
ainsi qu'un splendide bénitier en bronze avec
inscription gothique.
Les Boches disent bien qu'ils ont procédé à
l'enlèvement de ces oeuvres d'art, afin de les
préserver d'une destruction imminente, mais il est
peu probable qu'ils aient l'intention de les
restituer.
APRÈS LES OBUS, LES BOMBES
Saint-Dié, 20 avril.
Samedi, à 2 heures 25 de l'après-midi, un Taube, qui
survolait la ville, lança simultanément deux bombes
qui tombèrent dans un jardin, sans causer aucun
dégât, ni faire de victimes, fort heureusement.
DES BOMBES DANS LES PRÉS
Bruyères, 20 avril.
Vendredi, vers 9 heures du matin, un Taube a lancé
six bombes, qui sont toutes heureusement tombées
dans un pré. Les pissenlits ont beaucoup souffert.
L'oiseau boche a dû souffrir aussi, car il tanguait
fortement en fuyant sous nos obus.
LES TAUBES
Verdun, 20 avril.
Deux Taubes ont lancé cette semaine des bombes sur
Verdun. Pas de victimes et d'insignifiants dégâts.
Un de ces engins est entré dans l'hôtel du «
Coq-Hardi » par la verrière de la salle à manger, où
il a brisé une demi-douzaine d'assiettes et fait une
grosse tache d'huile sur le parquet. L'autre est
tombée sur le bateau « Jeune-Augusta », au
Pont-Chaussée, et a démoli divers ustensiles de
cuisine. Décidément, les bombes boches, comme leurs
propriétaires, en veulent à nos salles à manger.
Ajoutons que quelques autres bombes sont tombées
dans les champs, où elles ont fait un petit trou.
LA RÉPARATION DES DOMMAGES DE GUERRE
Une tournée de conférences
La première a lieu à l'Hôtel de Ville de Nancy
Nancy, 20 avril.
On sait que la Société d'assistance aux réfugiés
évacués et sinistrés de Meurthe-et-Moselle a
organisé une série de conférences sur la très
intéressante question de la réparation des dommages
causés par la guerre. Il convient, en effet, que les
populations éprouvées soient mises au courant de
leurs droits et qu'elles connaissent exactement la
façon la plus efficace de les faire valoir.
Telle est la double tâche, entreprise par les
conférenciers.
La première de ces conférences a eu lieu dimanche, à
quatre heures et demie de l'après-midi, dans le
grand salon de l'hôtel de ville, mis obligeamment à
la disposition des organisateurs par la municipalité
de Nancy.
Notre chambre de commerce, que l'on trouve toujours
à la tête des oeuvres sociales, si intimement liées a
la prospérité économique du pays, avait accordé son
haut patronage à cette réunion Aussi, pouvait-on
remarquer, parmi la nombreuse assistance, plusieurs
des grands noms de l'industrie de l'agriculture et
du commence de notre Lorraine .
M. Vilgrain, président de la Chambre de Commerce,
préside avant à sa droite M. le préfet et à sa
gauche M. Simon, maire de Nancy.
On remarque en outre sur l'estrade : MM. Chapuis et
de Langenhagen, sénateurs ; Marin et de Ludre,
députés ; M. Escavy, avoué à Senlis, vice-président
de la Fédération des Associations départementales
des sinistrés, un des orateurs que nous allons
entendre ; M. Maurice de Wendel, secrétaire de cette
Fédération : M. Jambois, conseiller général,
président du Comité d'assistance des réfugiés de
Meurthe-et-Moselle ; M. Michel, maire de Tomblaine,
président de la Société d'agriculture : M. Keller
maire de Lunéville; MM. Krug, Bertrand-Oser,
Dannhauser ; Rolland, professeur à la Faculté de
droit de Nancy, qui voudra bien remplacer l'un des
conférenciers annoncés, M. Jèze, processeur à la
Faculté de droit de Paris, que la mobilisation a
empêché de venir ; M. Mavaile, l'actif secrétaire
général de la Chambre de Commerce, etc., etc.
M. VILGRAIN
Avant de donner la parole aux conférenciers, M.
Vilgrain tient à remercier tous les concours qui ont
afflué au premier appel.
« Quand il apprît que la première conférence de la
Fédération aurait lieu à Nancy, près de la
frontière, son impression fut qu'on allait venir ici
prêcher des convertis. En effet si la vaillance de
nos soldats et l'habileté de leurs chefs ont
heureusement préservé la ville de Nancy des horreurs
de l'occupation et du pillage, systématique, nous
sommes trop près des régions dévastées pour ne pas
compatir profondément à la détresse des populations
éprouvées. Je suis certain qu'il ne viendrait à la
pensée d'aucun Nancéien, d'aucun Lorrain, de se
refuser à accepter sa part des charges qu'imposera
la réparation des dommages subis. »
L'honorable président de la Chambre de Commerce fait
connaître les excuses de MM. Lebrun de Wendel et
Fringant, députés, et il donne lecture d'une lettre
où M. Lebrun, après s'être excusé d'être retenu
ailleurs par la mobilisation, écrit :
« Il y a ici un corps d'armée de l'extrême-Midi J'ai
eu souvent l'occasion de parler à des soldats, leur
réponse a été unanime : « Comment voudriez-vous que
nous restions insensibles aux malheurs qui vous
accablent ? Et quand la guerre sera finie, que nous
aurons retrouvé nos village intacts et nos foyers
inviolés, il nous sera impossible, dans notre
bonheur, d oublier ce que nous avons vu ici.
L'union se poursuivra à ce moment pour le
redressement des ruines, comme elle s'est faite pour
la résistance à l'envahisseur, et nous dirons à nos
représentants de consentir en notre nom tous les
sacrifices nécessaires. »
Cette promesse de solidarité nationale est saluée de
vigoureux applaudissements.
M. Maurice de WENDEL
M. Maurice de Wendel, secrétaire de la Fédération,
expose en quelques phrases précises les raisons pour
lesquelles doivent s'unir tous ceux qui ont eu à
subir un préjudice matériel de la guerre. Quand les
soldats de nos régions rentreront vainqueurs, dans
leurs communes, il ne faut pas qu'ils n'y retrouvent
qu'un foyer dévasté. La France entière sera à
l'honneur. Il faut aussi que toutes les régions
paient leur part de cette gloire. Il faut une
solidarité nationale.
M. ROLLAND
M Rolland a bien voulu se charger de la partie
essentiellement juridique. Chaque phrase est un
argument. L'ancienne jurisprudence n'admettait pas
d'indemnité légale aux victimes de la guerre. Mais,
depuis, le principe de l'égalité a été inscrit dans
la Constitution. Si la collectivité, c'et-à-dire
l'Etat, ne supportait pas les dommages de guerre
subis par les particuliers, l'égalité des citoyens
d'une même nation serait rompue. Et n'est-il pas
inadmissible en effet, alors que tous les
contribuables sont égaux devant les charges
collectives, qu'une certaine catégorie de ces
contribuables ait à supporter toute la part des
dommages nationaux ?
Or, ceux qui supporteraient, seuls, ces dommages
matériels auraient par dessus le marché à subir des
dommages moraux ? Non... L'égalité ne serait plus
qu'un vain mot.
Le partage des dégâts entre tous les citoyens n'est
pas une idée sentimentale. C'est une idée de justice
et de raison.
M. ESCAVY
M. Escavy est un orateur remarquable. Les aridités
de la jurisprudence ne l'empêchent point de trouver
les images qui frappent et les périodes qui émeuvent
jusqu'aux larmes.
Il y a une certaine élégance, dit-il, à discuter les
dommages de la guerre, à quelques kilomètres des
tranchées, au bruit de ce canon qui cause les
désastres.
Que nous ayons droit à la réparation intégrale, la
question ne fait pas de doute. La Chambre de
commerce et le Conseil municipal de Nancy ont émis
des voeux dans ce sens.
La question d'évaluation est délicate. Pour mon
compte, je serai intransigeant. Je n'admettrai pas
qu'on nous parle de vétusté. Et comment pourra-t-on
jamais nous rendre les mille objets familiers, dont
la perte, si sensible à nos coeurs, remplacera au
centuple le coefficient de vétusté ? Quand les joies
et quand les gloires sont partagées intégralement
par un pays tout entier, il est juste que ce pays
tout entier partage les pertes et les souffrances.
Aujourd'hui, la guerre est une oeuvre nationale. Ce
sont les enfants de tout un pays qui défendent un
même sol et un même idéal, et les départements
envahis sont devenus comparables à un vaste champ de
manoeuvres choisi pour la défense nationale.
La loi n'a pas admis, jusqu'ici, la réparation
intégrale. Son texte parle simplement de réparation.
Il faudra qu'on la modifie, et à bref délai dans le
sens que la justice exige. Il ne faut pas nous
contenter de promesses, car ce n'est pas sur des
promesses que les banques consentiront à nous faire
des avances.
Il faut que la loi soit complétée au cours des
hostilités. Un bon tien vaut mieux que deux tu
l'auras. Si nous nous contentons de promesses, il
est à craindre que nos ruines ne restent des ruines
après la guerre.
Je sais bien qu'on vous invite à rentrer dans vos
foyers et à recommencer la culture de vos terres,
mais vos foyers restent en ruines, où vous
abriterez-vous ? Mais vos écuries sont vides et vos
instruments de travail sont détruits. Quels chevaux
s'attelleront donc à la charrue et quelle charrue
tracera le sillon ? Il faut donc que l'on vous donne
d'abord les moyens de vous abriter et ceux de
cultiver vos terres.
M. Escavy termine par urne émouvante invocation à la
Patrie, qui mouille de larmes bien des yeux.
M. MARIN
M. Louis Marin compte dans sa circonscription de
nombreux villages dévastés. Il rappelle que, dans
notre département, on trouve encore des communes qui
payent des centimes additionnels imposés lors de
l'occupation de 1870-73.
Il n'est pas juste que la Lorraine, parce qu'elle
est à la frontière, alors que tous ses enfants, tous
ses hommes de 20 à 48 ans, sont partis depuis le
début de la guerre, subisse encore des dommages
matériels particuliers.
Beaucoup de parlementaires des régions éloignées ne
comprenaient pus autrefois cette dette nationale,
mais les temps sont aujourd'hui changés et l'union
de tous s'est faite aussi sur ce point. Aujourd'hui,
l'égoïsme a disparu.
La France a des capacités financières insoupçonnées.
On ne saurait donc parler d'impuissance du Trésor.
Au point de vue législatif, la loi doit fixer les
conditions des réparations. Il faut nous unir pour
que nos réclamations aient plus d'autorité.
Les évaluations exactes seront difficiles, et qui
pourra évaluer ? Les commissions officielles
seront-elles suffisamment compétentes ? Elles
s'attacheront peut-être beaucoup plus à des
questions d'hygiène, d'alignement, d'esthétique qu'à
des questions d'aisances pour le travail agricole. A
côté de ces commissions, il en faut d'autres,
composées d'hommes connaissant les aspirations et
les besoins de l'agriculture.
M. Marin dit ensuite qu'il faut se mettre au travail
sans tarder, car chaque saison qui passe est une
récolte perdue. Il faut que la loi permette des
acomptes sur l'indemnité globale, pour que le paysan
se construise des logements provisoires, remonte son
cheptel, achète ses chevaux et ses instruments
agricoles.
Où trouvera-t-on assez de maçons pour reconstruire
d'un coup tant de villages ? Où trouvera-t-on assez
de matières premières et comment les
transportera-t-on, avec des canaux et des chemins de
fer aux ponts démolis ?
M. Marin conclut que c'est pour le droit que la
France s'est jetée dans la mêlée. Il faut donc que
l'on rende à chacun ses droits.
On remarque avec plaisir l'allusion qu'il fait à
l'entrée prochaine, très prochaine d'une grande
puissance dans le conflit aux côtés des alliés.
M. LE PRÉFET
M. le préfet souhaite aussi la constitution de
commissions cantonales, qui pourront fournir des
évaluations précises aux commissions officielles.
Mais, ajoute-t-il, il convient, de ne pas manifester
d'impatience, et de laisser l'Etat maître de
l'heure. Et l'Etat ne faillira pas à son devoir.
Il faut surtout que l'ennemi sache que toutes nos
aspirations se tournent d'abord vers la victoire et
que nous faisons passer l'honneur avant la
réparation.
Ces patriotiques paroles sont accueillies par les
bravos prolongés de cette immense assistance de
réfugiés, qui n'a pu trouver place tout entière dans
la vaste salle des fêtes de l'hôtel de ville.
J. MORY.
REIMS PAIE UNE SÉRIE D'ÉCHECS ALLEMANDS
Partout où l'ennemi a prononcé des attaques, en
Champagne, dans l'Aisne, en Argonne, en Woëvre, en
Alsace, il a été repoussé
Paris, 20 avril, 15 heures.
Rien à ajouter au communiqué de ce matin en ce qui
concerne les opérations en lorraine et dans les
Vosges.
Sur le reste du front, actions d'artillerie
particulièrement vives dans la région de Soissons,
le secteur de Reims et l'Argonne.
Paris, 21 avril, 0 h. 35.
Voici le communiqué officiel du 20 avril.
23 heures : Cinquante obus incendiaires ont été
lancés sur Reims.
En Champagne, en Argonne, lutte d'artillerie sans
intervention d'infanterie.
Entre la Meuse et la Moselle, au bois de Mortmare,
près de la route de Flirey à Essey, nos attaques ont
progressé légèrement.
Au bois Le Prêtres l'ennemi, après avoir violemment
bombardé nos positions dans la région de la
Croix-des-Carmes, a esquissé une tentative d'attaque
qui a été aussitôt enrayée par notre artillerie.
Canonnade assez vive et combats d'avant-postes à la
lisière de la forêt de Parroy.
Dans la soirée du 19 avril, deux contre-attaques
allemandes contre Hartmansvilerkopf ont été
repoussées.
Condamnés pour espionnage
Nancy, 20 avril.
Dans l'extrait des condamnations prononcées par le
conseil de guerre permanent de la 20e région de
corps d'armée pendant la cours du premier trimestre
de l'année 1915, on relève les condamnations
suivantes : Le 7 janvier 1915, Charles-Marie-Emile
Lallemand, ouvrier d'usine à Champigneulle, a été
condamné pour espionnage à la déportation dans une
enceinte fortifiée. Le 13 février,
Gaston-Marie-Louis Papelier, comptable à Leyr, a été
condamné à la déportation dans une enceinte
fortifiée. Le 11 février également, Ida Jérôme,
femme Papetier, ménagère à Leyr, a été condamnée
pour complicité d'espionnage à dix ans de détention.
LES TAUBES
Nancy, 21 avril.
Lundi matin, les avions ennemis ont essayé à deux
reprises de venir sur Nancy, du côté de Malzéville.
La première fois, vers 7 heures moins un quart, le «
taube », accueilli à coups de canon, s'est empressé
de faire demi-tour.
Une heure après, un autre avion a essayé également
de venir sur Nancy, mais les artilleurs lui ont
barré le chemin par des projectiles bien dirigés.
Comme le précèdent, il s'est enfui aussitôt.
LA VICTOIRE DES ÉPARGES.
RÉCIT OFFICIEL
La magnifique action qui nous a rendu: maîtres, le 9
avril au soir, de la totalité de la crête des
Eparges, est la conclusion d'un effort prolongé et
violent.
C'est une victoire, analogue par la sûreté de La
méthode et l'intensité de l'offensive, à celle qui
nous a conduits au sommet de l'Hartmasviller, plus
importante, si l'on considère le chiffre des
effectifs engagés et l'accumulation des moyens
réalisés par l'ennemi.
UNE FORTERESSE FORMIDABLE
La crête des Eparges est un long éperon de 1400
mètres, d'une altitude de 346 mètres, qui domine à
l'est des Hauts-de-Meuse, l'immense plaine de la
Woëvre. Les flancs en sont abrupts et glissants. De
nombreuses sources les sillonnent. Il y pleut
souvent. C'est une montagne de boue.
Cette montagne est particulièrement importante par
sa situation. Qui tient les Eparges voit chez nous,
a nos routes sous son feu, nous interdit toute
action sur la partie sud-ouest de la Woëvre. C'est
pourquoi, s'étant saisis des Eparges, le 21
septembre dernier les Allemands s'y étaient aussitôt
formidablement organisés.
Du sommet, ils dominaient les vallées de 70 à 80
mètres de hauteur. Entre le sommet et les vallées,
ils avaient installé plusieurs lignes de tranchées.
En certains points, cinq étages de feux se
superposaient les uns aux autres. Partout ailleurs,
il y en avait au moins deux.
Par leurs canons, leurs mitrailleuses et leurs
fusils, les Allemands nous condamnaient à
l'immobilité tant sur la croupe de Montgirmont (nord
des Eparges) que dans les villages du pays bas, les
Eparges, Mesnils-sous-les Côtes,
Mont-sous-les-Côtes, Bonzée et Tresauvaux.
Pour notre sécurité comme pour le développement
ultérieur des opérations, il était indispensable
d'enlever la crête, véritable tour de Malaloff
dressée aux lisières de la Woévre.
LA PRÉPARATION DE L'ATTAQUE
Le début de notre action offensive nous trouvait à
la lisière du village des Eparges, à 600 mètres
environ des premières tranchées allemandes, faisant
face, par conséquent, aux pentes ouest de la
position.
Du plateau de Montgirmont, que nous tenions, nous
faisions face aux pentes nord. Entre Montgirmont et
ces pentes, un chemin de terre traverse le col qui
sépare les deux massifs.
Nous étions obligés d'attaquer d'abord la partie
ouest du massif (A). Mais notre attaque ne pouvait
avoir de résultat décisif que si nous atteignions
aussi le point culminant situé à l'est (D)
Nous ne pouvions, par conséquent, procéder que
lentement, car un assaut de vive force sur ces
pentes boueuses, hérissées de fortifications, nous
eût coûté très cher sans nous rien donner.
Dès la fin d'octobre, pas à pas, à la sape, nous
nous rapprochions des tranchées Allemandes de
l'ouest. En même temps nous nous infiltrions dans
les bois, assez épais, qui, dans la partie nord-est,
couvrent les francs d'un ravin creusé au coeur du
massif.
Les Allemands, confiants dans la valeur de leur
position, nous laissèrent procéder à ces premières
approches sans réagir très violemment Mais, par de
nouveaux travaux, ils rattachèrent fortement la
partie ouest de leurs défenses au point culminant
dont ils firent un formidable bastion.
De notre côté, nous perfectionnions nos tranchées,
surplombées par les travaux ennemis. On atteignit
ainsi la mi-février.
LA BATAILLE DE FÉVRIER
Le 17, nos mines, poussées sous le secteur ouest, y
provoquèrent une explosion si formidable que, sans
coup férir, nous pûmes nous installer dans la
première ligne ennemie. Les Allemands, d'abord
surpris, se ressaisirent et, le 18, dévalant les
pentes, ils contre-attaquèrent furieusement.
Un combat acharné s'engagea, qui dura jusqu'au 21 au
soir, marqué par des contre-attaques violentes de la
part de nos adversaires, par des attaques répétées
de notre part.
Le 18, dans la journée, nous avions presque tout
reperdu de notre gain du 17. Mais le 18 au soir,
nous avions tout repris.
Le 19, deux nouvelles sorties des Allemands furent
repoussées. Nous tenions la partie ouest (A). Mais
l'exiguïté de notre position nous soumettait à une
concentration de feux qui la rendait intenable. Il
fallait ou reculer ou nous donner de l'air et, sur
un front élargi, nous mettre à même de faire plus
aisément face aux retours offensifs.
Cette extension fut l'oeuvre des journées du 20 et du
21. Par une attaque brusque, nous débouchions du
ravin boisé ci-dessus décrit vers un bois de sapins,
qui nous rapprochait du sommet.
La lutte fut sauvage. Le colonel Bacquet, commandant
le régiment d'infanterie, chargé de l'attaque, fut
blessé mortellement à la tête de ses troupes. Nous
ne pûmes pas enlever la totalité du bois de sapins.
Mais les Allemands ne purent pas nous en faire
sortir.
A la fin de ces cinq jours de combat, la situation
était la suivante. Nous tenions tout le bastion
ouest et vers le bastion est (point culminant D)
nous avions commencé à progresser en enlevant aux
Allemands 300 mètres de tranchées.
Nos acquisitions sur ces deux points avaient été
aussitôt reliées, face aux défenses ennemies, par
des tranchées, des boyaux et des places d'armes.
C'était une base pour de nouvelles attaques.
Le renforcement continu des ouvrages ennemis,
l'entrée en action de 16 batteries lourdes
allemandes disséminées dans la plaine nous
renseignaient pleinement sur les difficultés de la
tâche qui restait à accomplir.
L'ASSAUT DE MARS
Un nouveau bond en avant fut réalisé à la mi-mars.
Une préparation d'artillerie minutieuse et violente
y avait préludé.
Le 18 mars, avec trois bataillons, nous reprîmes
l'offensive. La première ligne ennemie fut enlevée
en partie, notre artillerie ayant, avec un plein
succès, interdit aux Allemands de la garnir. Mais,
de la deuxième ligne, de violentes contre-attaques
débouchèrent aussitôt.
Ce fut le début d'une lutte plus âpre encore que
celle de février et qui dura jour et nuit jusqu'au
21 au soir.
A l'issue de cette bataille, notre droite avait
gagné 100 mètres seulement. Mais notre gauche,
visant le sommet, avait enlevé 350 mètres de
tranchées allemandes, en infligeant à l'ennemi des
pertes élevées.
Dès ce jour, - les prisonniers furent unanimes à le
constater, - nos adversaires, bien que
remarquablement braver, eurent le sentiment que la
partie était perdue et que la position leur
échapperait tôt ou tard.
Une nouvelle division allemande, une division
active, la 10e, toute fraîche et recomplétée, vint
prendre la suite des opérations ; c'est à elle que
devait échoir la tâche ingrate de perdre les
Eparges.
Avant d'obtenir le résultat total, un nouvel effort
préparatoire va pourtant nous être nécessaire : ce
sera l'attaque du 27 mars. Il s'agit toujours de
nous rapprocher du sommet.
Un bataillon de chasseurs mène cette fois l'attaque
principale. Son commandant et, tous les capitaines
de compagnies engagées sont blessés. Mais de plus en
plus nous serrons de près le bastion ennemi et ce
progrès a une grosse importance.
Nous avions constaté, en effet, dans les précédentes
attaques, que les Allemands avaient eu le temps,
pendant notre marche d'approche, de quitter avec
fusils et mitrailleuses leurs abris de bombardement
et de venir par des galeries souterraines garnir
leurs parapets bouleversés.
A l'avenir, la zone à parcourir par nos troupes
étant sensiblement réduite, cette faculté leur sera
interdite.
L'ASSAUT DÉCISIF D'AVRIL
C'est dans ces conditions que, le 5 avril, à 16
heures, nous tentons l'effort décisif. Deux
régiments sont engagés. Il s'agit d'enlever la
partie de la crête à l'ouest du sommet D et la
partie, légèrement descendante, qui s'étend à l'est
de ce commet jusqu'à l'extrémité du plateau.
A l'heure prescrite, nos troupes débouchent. Il
pleut et le terrain est encore plus impraticable que
de coutume. Nos fantassins avancent pourtant sous le
feu de l'ennemi, sortant avec effort leurs pieds de
la boue où ils enfoncent jusqu'aux cuisses.
Par un corps à corps violent, ils pénètrent et
s'installent dans les tranchées allemandes. Le soir,
ils en tiennent une partie importante. A l'est
seulement, ils ont été arrêtés par les torpilles
aériennes, que l'ennemi a lancées sur eux,
pulvérisant parfois des rangs entiers avec un seul
projectile.
Le 6, à 4 h. 30 du matin, les Allemands
contre-attaquent. Les troupes fraîches qu'ils ont
amenées se battent admirablement. Nos hommes, sous
le feu depuis la veille, résistent, mais finalement
reculent. L'affaire est à recommencer.
Elle recommence, en effet, - et le soir même. A
l'extrémité est du plateau, nous enlevons une
tranchée que nous retournons aussitôt face à
l'ennemi. Au centre, nous ne gagnons rien. A
l'ouest, nous progressons vers le sommet.
LA CHARGE DANS LA NUIT
Nos magnifiques soldats n'entendent pas en rester
là. La nuit, sous la pluie, qui tombe toujours, ils
chargent à la baïonnette et pied à pied refoulent
les Allemands. Le 7, au matin, trempés, boueux,
enlisés, mais victorieux, ils font le compte de
leurs gains depuis le 5 : 500 mètres de tranchées et
plus de 100 prisonniers, dont plusieurs officiers.
Nous approchons du but : mais nous n'y sommes pas
encore. L'ennemi contre-attaque constamment Il est
repoussé tantôt par des charges, tantôt par des tirs
de barrage.
A 5 heures du matin, le 7, il tente un nouvel
effort. Son attaque est fauchée avant d'atteindre
nos tranchées. Il arrive alors du village de Combres
de gros renforts. Il va de toute évidence
contre-attaquer à fond.
Mais alors intervient de nouveau notre artillerie.
Dès que les rassemblements sont signalés, elle les
prend sous son feu et les empêche en partie de
déboucher. Nous ne reculons que sur un point, malgré
la violence de l'attaque, la plus forte qu'on eût
encore vue.
Nos renforts pourtant ont grand'peine à arriver.
Les boyaux sont effondrés, encombrés, canonnés Il
nous faut attendre au lendemain pour continuer
l'opération. L'ennemi, qui a reçu un coup sérieux,
ne contre-attaque pas de toute la nuit.
NOUS APPROCHONS DU SOMMET
Le 8, dès neuf heures du matin, nous reprenons
l'attaque. Deux régiments d'infanterie et un
bataillon de chasseurs ont l'ordre d'enlever le
sommet. Il pleut toujours. Les culasses sont
encrassées. A la baïonnette, par conséquent !
A dix heures, le sommet et la crête à l'ouest sont à
nous. Nous poussons sur la crête qui est à l'est du
sommet. Partout nous progressons et, sous le feu,
nous retournons les tranchées allemandes.
A minuit, après quinze heures ininterrompues d'une
lutte furieuse, la presque totalité de la position
des Eparges nous appartient. L'ennemi ne tient plus
qu'un petit triangle à l'extrémité est (X). Il
contre-attaque mollement. Nous avons enlevé quinze
cents mètres de tranchées, dont le bastion
formidable du sommet (D), qui est la clef de la
position.
La nuit du 8 au 9 et la matinée du 9 sont calmes.
Nous réussissons à opérer sans incident la relève de
nos troupes. Un régiment frais est amené. Pour le
mettre, en place, il faut quatorze heures, tant le
terrain est impraticable.
C'est à lui qu'est confiée la mission de mettre le
point final à notre victoire.
LES ÉPARGES SONT A NOUS
A quinze heures, nous attaquons, le sol est creusé
de cuvettes profondes où les hommes disparaissent
parfois. La pluie fait rage, ainsi que le vent.
Nos fantassins, précédés par le feu absolument
précis de nos canons, avancent pourtant et ils
atteignent l'extrémité est du plateau. Mais, à ce
moment, une calotte de brouillard s'abat sur les
Eparges. Nos canons ne peuvent plus tirer. L'ennemi
contre-attaque et nous reculons.
Ce n'est d'ailleurs qu'un recul provisoire. Une
demi-heure plus tard, une charge furieuse nous rend
la totalité de notre gain. A dix heures du soir,
nous tenons tout le massif des Eparges. Notre long
effort est couronné de succès. Le 10, l'ennemi,
écrasé, ne bouge plus.
Il contre-attaque dans la nuit du 11 au 12. Il est
repoussé. Les Eparges sont définitivement perdues
pour lui.
Une seule ressource lui reste, et il en use : c'est
de débaptiser la crête et de donner son nom aux
hauteurs plus au sud qu'il tient et que nous n'avons
pas attaquées.
Le grand éperon, qui domine la Woëvre dans toutes
les directions, est en notre pouvoir. Nul ne nous en
délogera.
L'IMPORTANCE DE NOTRE VICTOIRE
Pour garder cette position, les Allemands n'ont rien
négligé. On a vu quelle était la puissance de leur
organisation défensive. On a vu qu'à la fin de mars
ils ont amené aux Eparges une de leurs meilleures
divisons.
Ils y avaient joint cinq bataillons de pionniers,
les mitrailleuses de la place de Metz, un grand
nombre de lance-bombes de 21 et 24. Leurs
abris-cavernes, creusés à loisir, comportaient un
chemin de fer à voie étroite, des chambres de repos,
un cercle pour les officiers. Leurs renforts
échappaient à nos vues. Les nôtres étaient sous le
feu de leurs canons, de leurs mitrailleuses, voire
même de leurs fusils, et l'on conçoit quelles,
étaient pour nous les difficultés du ravitaillement
tant en vivres qu'en munitions.
C'étaient là les indices certains d'une volonté
arrêtée de tenir tête à toutes nos attaques.
Effectivement, nous avons trouvé sur les officiers
prisonniers les ordres qui prescrivaient de tenir à
tout prix. L'état-major allemand était résolu à tout
sacrifier pour garder cette crête maîtresse. Il a
fourni le maximum de résistance. Les troupes qu'il a
engagées ont eu une conduite magnifique. Pour
s'assurer de leur fermeté, rien n'a été négligé, et
pour éviter aux mitrailleurs la tentation de cesser
le feu, on est allé jusqu'à les enchaîner à leurs
pièces. Malgré tout, nous avons été vainqueurs.
La nature des choses pourtant favorisait
singulièrement la résistance allemande. Pentes
abruptes, sol détrempé opposaient à nos attaques le
plus redoutable des obstacles. Nous avons eu des
hommes non blessés noyés dans la boue. Quant aux
blessés, beaucoup n'ont pu être sauvés à temps de la
fondrière où ils étaient tombés. Les obusiers et les
lance-torpilles allemands nous visaient à coup sûr,
puisque l'ennemi tenait les sommets. Malgré tout,
nous avons été vainqueurs.
Il y a deux mois, les Allemands, des Eparges,
voyaient chez nous. Désormais, nous voyons chez eux.
La hauteur même de Combres, qu'ils tiennent, est
réduite à l'état d'îlot entre nos mitrailleuses des
Eparges et de Saint-Rémy. Et nous avons obtenu ce
résultat en infligeant à l'ennemi des pertes doubles
que celles que nous avons subies.
Qu'est-ce à dire, sinon que la victoire des Eparges
démontre, après tant d'autres, la supériorité
croissante de notre armée ?
Nous attaquons ; l'ennemi se défend. Il tient les
hauteurs ; nous les lui enlevons. Il a l'avantage de
la position ; nous le chassons de ses tranchées.
Quand on a vécu ces combats, on sait, que notre
triomphe est sûr et qu'il a déjà commencé. Cette
certitude est le plus bel hommage que la France
reconnaissante puisse offrir aux morts héroïques des
Eparges.
(Journal Officiel).
(à
suivre) |