LES "TAUBEN" A
NANCY
Du «
Réveil Méditerranéen » :
« Presque tous les Tauben sont noirs, parce qu'ils
viennent toujours quand le ciel est couvert. Ceux
quii desservent Nancy sont des L.V.G. et des
Aviatiks. Ils ont la coupe du Nieuport, mais en
biplan.
« Un jour cependant, rompant avec la tradition, un
Boches est venu par le ciel bleu. Il était
naturellement bien jaune. Avec une jumelle, j'ai
distingué les croix noires peintes sous les plans et
j'ai vu tomber les bombes. Ce sont des cylindres
brillants qui semblent avoir 30 centimètres de haut
Une longue bande aux couleurs allemandes en fait des
sortes de comètes. Elles mettent à peu près quatre
secondes pour disparaître derrière les maisons et
pour éclater.
« Il y a des Tauben silencieux, des Tauben qui ne
lancent pas de bombes. Ils ont l'air de ne vouloir
rien faire, mais on apprend qu'ils ont lancé des
fléchettes. Elles sont exactement la copie des
nôtres, mais voyez jusqu'où va la kultur : les
Boches ont eu la courtoisie d'écrire sur ces
fléchettes d'acier : « Invention française,
fabrication allemande. » C'est beau d'être franc,
surtout dans le Bochenland. »
LES OTAGES DE
BLAMONT
La menace du Conseil de guerre. - Les diverses
étapes du Calvaire. - Il faut payer sa pension au
Camp. - La Libération.
M.
Joseph-Léon Lhuillier, propriétaire à Blâmont, qui
vient de rentrer d'Allemagne avec sa famille,
composée de quatre personnes, a bien voulu nous
raconter son exode et les diverses péripéties de sa
captivité. C'est un document de plus à la charge de
la brutalité teutonne, et l'on y trouvera encore
quelques détails inédits :
« C'est le 14 août, vers sept heures du matin, que
je suis arrêté avec ma famille, nous raconte M.
Lhuillier. On nous accuse d'avoir tiré sur les
troupes allemandes, ce qui est faux. Mais allez donc
essayer de vous disculper ! On nous menace, on nous
brutalise et son nous emmène entre d'impitoyables
baïonnettes.
Notre première étape se termine à Gondrexange. La
journée avait été torride. On était exténué.
Qu'allait-on faire à présent de nous ? Les femmes et
les enfants ne pourraient certainement pas continuer
la route.
« Et de toutes parts, sur tous les chemins, dans les
champs voisins, c'était une bousculade
indescriptible de troupes de toutes armes. Les
Allemands reculaient évidemment devant l'offensive
française
« Cette retraite, on le comprend, n'était point
faite pour attendrir nos bourreaux. En revanche,
elle nous dédommageait amplement de nos misères.
« Nous couchons à Gondrexange. Mais c'est un repos
fort court. Avant l'aube, on tait l'appel, et notre
triste cortège, toujours escorté de baïonnettes, se
met en route pour une destination inconnue.
« Voici enfin Sarrebourg. On s'arrête. Longs
conciliabules, au cours desquels on n'oublie qu'une
chose, nous donner à manger. Mais les autorités ont
bien d'autres préoccupations. Sarrebourg n'est plus
désormais assez loin. On nous dirige sur
Wissembourg.
« Il fait nuit noire quand nous débarquons dans la
jolie petite ville alsacienne. Nous mourons de faim
et nous sommes en quelques minutes trempés jusqu'aux
os, car la pluie tombe maintenant à torrents. Minuit
vient de sonner. Où aller ? Que faire ?... On ne
semble pas plus qu'à Sarrebourg s'occuper de notre
nourriture, ni de notre gîte.
« Enfin, un ordre arrive. Les Français qui en ont
les moyens peuvent, sous la garde de gendarmes, se
mettre en quête d'un souper et d'un lit.
« Voici justement un hôtel où une lumière brille
encore. Nous frappons. C'est un officier qui
apparaît. A notre vue, il semble pris d'une
congestion, et d'un geste brutal il nous ferme la
porte au nez en hurlant :
« Aoust ! Sales Franzozen ! »
« Les gendarmes qui nous conduisent sont aussi
embarrassés que nous. Ils délibèrent un instant,
puis nous dirigent vers un poste de police, où l'on
nous case dans les violons.
« Tout le monde, hommes, femmes et enfants, est
entassé pêle-mêle, en attendant, nous dit-on, que
des locaux supplémentaires soient nettoyés.
« Le lendemain matin, la toilette annoncée est sans
doute faite, car les femmes et les enfants sont
dirigés vers des locaux séparés.
« Lorsque le triage est terminé, on nous apprend que
nous sommes en prévention de conseil de guerre. On
nous conduira sans retard à Haguenau, pour y
répondre de coups de feu tirés par nous sur des
sentinelles allemandes.
« Naturellement, les « Franzozen, capout ! »
abondent dans les réponses de nos geôliers, et c'est
là, d'ailleurs, pour la plupart d'entre nous, les
seuls mots de leurs conversations dont nous
saisissions bien le sens.
« Stupéfaction ! On nous relâche !... Qu'y a-t-il
donc de nouveau ? Est-ce la liberté définitivement
reconquise ?
« Hélas ! cet espoir est de bien courte durée. On
nous apprend, à la gare, qu'au lieu de nous laisser
revenir sur nos pas, il nous faut prendre nos
billets pour Strasbourg, car, j'ai oublié de le
dire, partout où nous avons voyagé en chemin de fer,
il nous a fallu payer notre billet.
« Et voyez-vous ces voyageurs « payants» enfermés
comme des malfaiteurs dans des wagons que gardent à
chaque portière des casques à pointe !...
« Nous sommes à peine arrivés dans la grande
capitale de l'Alsace que, sans nous permettre de
passer par le buffet, on nous conduit en prison, les
hommes d'un côté, et nos femmes de l'autre. On nous
numérote, on nous fouille, on nous prend notre
argent. Qu'allons-nous devenir ?
« Quatre heures d'incertitudes angoissantes,
d'interrogatoires menaçants. Soudain ordre arrive de
nous relâcher.
« - Et notre argent ? réclamons-nous.
« On nous le rend. Après quoi, on nous invite à nous
« débrouiller ».
« Nous complotons aussitôt de rentrer en France par
la Suisse, et nous demandons quelle est la gare
frontière la plus rapprochée ?
« Préoccupation inutile, espoir insensé ! On nous
conduit bien à la gare, on nous prend bien des
billets, avec notre argent, mais ces billets au lieu
d'être pour une localité suisse sont pour
Fribourg-en-Brisgau !
« - Ne nous désolons pas, me souffle à l'oreille un
compagnon. Noue allons en Suisse, mais on nous fait
prendre le chemin des écoliers.
« A 6 heures du matin, le train stoppe à
Fribourg-en-Brisgau. Nous ne savons plus si nous
sommes des prisonniers ou des citoyens libres.
Personne ne s'occupe de nous sur les quais, sauf
quelques méchants indigènes qui, en apprenant notre
nationalité, ou nous regardent comme des bêtes
curieuses, ou nous lancent leurs éternels «
Franzozen, capout ! » avec des gestes de couperet.
« Au dehors, temps de chien. Ce n'est pas l'averse,
c'est le déluge. Nous nous décidons à pénétrer dans
le buffet où l'on ne fait aucune difficulté pour
nous servir, argent comptant, bien entendu.
« Nous étions loin de nous douter de ce qui nous
menaçait. Pendant notre repas en effet, le buffetier
a fait du zèle patriotique. Il est allé prévenir les
autorités qu'une bande d'espions français était
attablée chez lui et nous en étions à peine aux
dernières bouchées que les gendarmes arrivent et
nous invitent à les suivre
« Et nous voici de nouveau en route, entre des
baïonnettes, à travers les rues pleines de menaces
et d'injures. Nous voici de nouveau dans un poste de
police et dans des geôles où nous passons le restant
de cette journée.
« Le soir, toujours escortés de gendarmes et des
soldats, nous regagnons la gare, où l'on nous achète
nos billets, cette fois pour Donaueschingen.
« Nous n'avons plus guère d'illusions à nous faire.
Donaueschingen est, en effet, on nous l'a appris
dans le train, un camp de concentration qui n'est
pas fait pour ne pas conserver ses prisonniers.
« Le trajet, de la gare au camp, s'opère entre une
double haie de soldats.
« On nous loge dans de grands baraquements
militaires. On nous interroge, on nous numérote une
fois de plus, et l'on nous prend notre argent, que,
je dois le dire, on nous rend presque aussitôt. Nous
en avons, au reste, besoin, car il nous faudra payer
notre... pension !
« Nous restons onze jours dans ce camp maudit, où la
nourriture est aussi infecte que sont infects la
paille et les copeaux qui nous servent de matelas !
« C'est un coup de sifflet qui annonce le repas de
midi. Chacun doit se hâter de prendre sa gamelle et
de se diriger vers les cuisines. On en revient avec
quelques pommes de terre cuites à l'eau et arrosées
de vinaigre rouge, ou bien avec une pâtée de farine
dénommée par nous « soupe à la colle » « Au réveil,
on recevait un quart de café de glands, et le soir,
un autre quart d'une boisson tiède, très fade, et
qu'on nous disait être du thé.
« J'ignore le prix de revient de ce singulier régime
à l'administration prussienne, mais ce que je
n'ignore point, c'est le prix qu'il coûte aux
prisonniers.
« En effet, le onzième jour de notre séjour au camp,
l'officier qui remplit les fonctions de trésorier,
nous fait appeler et nous invite à passer à la
caisse pour payer... notre pension !
« Ma foi - permettez-moi l'expression, - on
rouspète. D'aucuns même allèguent qu'ils n'ont plus
d'argent, « - Ceux qui paieront, nous explique alors
le commandant du camp, seront aussitôt remis en
liberté. Quant aux autres...
« Cette nouvelle amène le résultat attendu. Tout le
monde s'arrange pour payer, et les plus pauvres
apprennent que les riches ne sont pas égoïstes.
« Ma note s'élève, pour onze jours et pour quatre
personnes, à 60 mk 67.
« Cela fait une moyenne de 1 mk 15 par jour et par
tête. Au prix où sont à présent farine et pommes de
terre en Allemagne, ce n'est franchement pas cher.
Il est vrai que, depuis, la pension aussi a
peut-être augmenté !
« Je possède, au reste, pour qu'aucun doute ne
puisse subsister à ce sujet, la quittance qui m'a
été délivrée. Elle est écrite, naturellement, en
allemand, mais en voici la traduction : « Famille
Joseph-Léon Lhuillier, de Blâmont, quatre personnes,
internée à Donaueschingen, a versé 60 mk 67 pour
onze jours de pension.
« Payé le 29 septembre 1914.
« J.-A. HOFFMANN, unteroffizier.
« Donaueschingen. »
« Au grand règlement des comptes, nous dit M.
Lhuillier, en riant, je déposerai ma quittance à la
préfecture.
« Mais nos étapes ne sont pas encore terminées. Au
lieu de nous expédier vers la Suisse, on nous
embarque pour Baden-Baden. Là, par exemple, nous
sommes à peu près libres, puisqu'il nous suffit de
déclarer notre adresse à la police.
« Nous vivons à nos frais, en garni à Baden, sans
être trop molestés, en attendant le jour heureux où
l'autorisation nous sera venue de partir pour de bon
vers la Suisse.
« Enfin, on nous convoque à la police et tous les
hommes non mobilisables sont autorisés à partir.
Pour mon compte, j'ai un mal inouï à faire croire
que je ne suis plus en âge de porter les armes. Mes
papiers, indiquent, en effet, cinquante et un ans,
et les Allemands veulent à tout prix que la France
incorpore ses hommes jusqu'à cinquante-cinq ans...
« Il est vrai que je suis devenu si maigre ! Je
passe au travers du crible ! Je suis libre, avec ma
femme et mes enfants. J'ai mes quatre sauf-conduits
!
« Le premier train pour la Suisse nous amène à
Leipoldsen. C'est là qu'est la douane et qu'est la
fin de nos maux.
« Je le croyais, du moins. Malheureusement, j'avais
compté trop tôt sans les gendarmes allemands.
L'un d'eux m'arrête et me demande mon âge.
« - Cinquante et un ans ! lui dis-je fièrement, en
lui montrant mes papiers.
« Le pandore teuton me braque ses yeux dans les yeux
et, me menaçant du doigt, me dit, en excellent
français, comme vous pouvez vous en convaincre :
« - Toi, si jamais je te rencontre sur le front, je
te brûle la gueule ! »
« Et nous passons ! Je suis sauvé ! Nous voici en
Suisse !.
« Ah ! nous ne saurons jamais être assez
reconnaissants pour nos bons amis les Suisses ! Quel
accueil chaleureux ! Quelles gâteries ! Quelles
sympathies pour la France ! Notre martyre a été vite
oublié ! »
M. Lhuillier et sa famille, après un court arrêt à
Saint-Julien (Haute-Savoie), ont séjourné plusieurs
mois dans le Gard, à Aubais, au milieu de
populations pleines de prévenances pour les
malheureux réfugiés des régions envahies.
Depuis quelques jours, ils sont revenus tous les
quatre dans leur Lorraine. Là, entourés de la douce
affection de parents retrouvés, ils attendent le
jour prochain où la chère petite ville de Blâmont
sera à tout jamais débarrassée des hordes du kaiser.
J. MORY.
Simplement la
Vérité
Nancy,
21 mars.
D ne faut point volontairement se leurrer ni sur nos
avantages, ni sur l'affaiblissement progressif de
l'ennemi.
C'est un jeu un peu puéril que de compter pour
grandes victoires les succès que nous avons, ni pour
irrémédiables défaites les insuccès de l'adversaire.
Nous avons toujours tenu ce raisonnement, qui nous
paraît la suprême sagesse. Et c'est grâce à cette
modération dans l'enthousiasme que nous avons sans
défaillance pu supporter les revers du début. On a
ainsi acquis une endurance merveilleuse, et cet
entraînement de la patience qui fait les corps
souples et les âmes robustes.
Notre situation est excellente à tous points de vue.
A quoi bon essayer de l'embellir par un verbalisme
outrancier ?
Nous avons opposé aux Allemands un mur formidable
dans lequel il semble impossible que soit ouverte
une brèche.
C'est un résultat que tout Français peut considérer
comme appréciable, et que la Lorraine, il y a encore
quelques mois menacée, doit estimer à sa valeur.
Notre ravitaillement est assuré par une méthode
précise, et nos soldats ne manquent de rien. La
générosité populaire se charge même d'envoyer le
superflu, si tant est que soit superflu un geste
aussi tendre que l'envoi de quelques douceurs aux
défenseurs de la France.
Les munitions sont abondantes. Les rafales
d'artillerie que nous entendons quotidiennement en
sont une preuve sonore.
Le courage, l'entrain, la gaîté même habitent les
cavernes où nos soldats attendent avec impatience
l'heure de courir sus à l'envahisseur.
Le pays vit dans une radieuse atmosphère de
confiance que depuis la bataille de la Marne aucun
nuage ne trouble.
Les partis ont cessé de se combattre. L'union
sacrée, si belle qu'on avait peine à espérer sa
durée, est plus étroitement scellée que jamais. Et
les polémistes les plus incontinents n'osent y
toucher de peur d'être unanimement déconsidérés.
Les alliés ont signé un pacte qui les rend
solidaires jusqu'à l'infini. Ils ont mis en commun
non point seulement leur volonté de vaincre, et
leurs ressources en hommes et en matériel, mais
aussi leurs aspirations, et jusqu'à leur crédit.
Que pouvons-nous désirer de plus ? Avons-nous, avec
tout cela, besoin d'entretenir des espoirs factices
?
Non. Bon pour les Allemands. Nos ennemis ont déclaré
la guerre. Il est nécessaire pour libérer
hypocritement ce qui leur sert de conscience, qu'ils
soient représentés comme luttant contre des
agresseurs. Leurs atrocités ont soulevé l'horreur
dans l'univers entier. Il convient que les
directeurs de l'opinion germaine faussement
protestent de leur innocence. Leurs plans ont échoué
devant Paris, devant Nancy, devant Verdun, devant
Calais. L'agence Wolff est chargée de faire
comprendre aux Austro-Boches que tous ces mouvements
ratés sont des triomphes inouïs.
Il en va ainsi de tout le reste, et c'est pitié de
voir la façon goulue dont les bourgeois d'outre-Rhin
engloutissent et digèrent ces énormes mensonges
pires que du pain K.K.
Nous avons heureusement des réalités plus
réconfortantes. Nous n'attachons pas à la diète
forcée des Allemands plus d'importance qu'il ne
sied, mais nous avons le droit de considérer que la
mauvaise nourriture dans un pays de goinfres n'est
pas sans avoir à la longue quelque influence sur le
moral. Sans prévoir que les Allemands viennent un
jour aux portes de nos citadelles demander à la fois
la paix et une miche, nous estimons que le défaut
d'approvisionnement affaiblira la résistance
désespérée du peuple de rapines.
Nous ne proclamons pas que l'ouverture des
Dardanelles et la prise de Constantinople nous
livreront pieds et poings liés l'Autriche et
l'Allemagne. Pourtant il nous est impossible
d'imaginer que le succès de ces opérations n'aura
pas quelque retentissement fâcheux pour nos ennemis.
Et si la Turquie, pour commencer, est écartée des
champs de bataille, ce ne sera pas pour la Duplice
un sujet de réjouissance.
Ni la famine ne nous livrera l'Allemagne, ni la
prise de Stamboul ne rendra l'Autriche à merci,
c'est entendu.
Cependant ces deux considérations jointes à notre
organisation; militaire bientôt parfaite, à
l'accroissement méthodique et ininterrompu des
forces alliées nous créeront une situation telle que
rien ne résistera plus à l'effort admirable de nos
soldats.
Voilà ce que nous devons dire, voilà ce que nous
pouvons espérer, parce que c'est simplement la
vérité.
René MERCIER.
A SAINT-MIHIEL
Nous
lisons dans l' « Information » cet intéressant récit
d'un envoyé spécial :
« C'est à ..., non loin de Saint-Mihiel ; l'unique
rue du village a le pitoyable aspect d'un chantier
de démolitions après un incendie. Pourtant, les
habitants commencent à revenir et font un peu de
commerce avec nos soldats campés non loin de là.
Dans une baraque en planches, une femme vend des
cartes postales ; au pied d'un mur déchiqueté par
les balles, un vieillard a étalé des pissenlits
cueillis sous la neige, des pommes de terre et une
douzaine de belles carpes de la Meuse, couleur vieil
or.
Je m'approche.
- Il y a longtemps que vous êtes revenu ? dis-je
pour lier conversation.
- Trois jours seulement. J'étais à Saint-Mihiel ; je
suis resté toute une semaine dans la cave d'une
maison qui venait de s'effondrer sous les obus, les
Boches m'ont cru mort. Ah ! si vous saviez dans quel
état se trouve la ville ! Les Boches ont été jusqu'à
transporter des fauteuils dans leurs tranchées.
- Mais actuellement ?
- Ils n'en mènent pas large, car ils savent que la
ville ne sera plus longtemps en leur pouvoir. Pour
éviter les obus français, ils se sont installés dans
les caves ils y ont monté des poëles. Certaines rues
sont pleines de la fumée qui s'échappe par les
soupiraux, au ras du trottoir. Les façades noircies
donnent à la ville un aspect morne plus lamentable.
Et mon interlocuteur ajoute après un silence :
- Ah ! les bandits ! A Saint-Mihiel, comme à
Maubeuge, comme partout, ils avaient préparé leur
coup longtemps à l'avance. Il y a deux ans, des
ingénieurs allemands, sous prétexte de construire
une usine, édifièrent sur une des hauteurs qui
dominent la ville, une plate-forme en béton de 250
mètres de long sur 30 de large, puis il quittèrent
le pays, prétextant le manque de capitaux. La
plate-forme avait été recouverte d'une légère couche
de terre qu'ils n'ont eu qu'à enlever pour installer
les gros canons autrichiens de 420 qui, le 25
septembre dernier, forcèrent nos soldats à évacuer
la position, après une défense héroïque.
En écoutant le vieux paysan, j'ai été frappé de sa
physionomie empreinte de tristesse, de ses traits
émaciés. Je devine les privations et les sévices
qu'il a dû souffrir et je le questionne.
- Il y a bien de cela, me répond-il en hochant la
tête, c'est un miracle que je sois encore vivant.
Les Boches nous forçaient à coups de plat de sabre à
creuser des tranchées sous le feu de l'artillerie et
ils nous donnaient juste des pommes de terre mal
cuites et un peu de sale pain noir pour toute une
journée. Cela me serait égal, puisque j'ai réussi à
m'échapper, mais mon fils Georges, mon unique
enfant, est prisonnier là-bas, et si vous saviez...
»
LES TAUBES
Samedi
matin, 20 mars, vers huit heures un quart du matin,
un avion ennemi fut aperçu se dirigeant vers Nancy.
Les artilleurs placés sur les hauteurs des environs
le saluèrent de plusieurs coups de canon.
L'avion ennemi, se voyant découvert, s'empressa de
prendre de la hauteur pour échapper aux projectiles
et regagner les lignes allemandes.
A 9 h. 20, un autre avion arrivait à son tour dans
la direction de Nancy. Il fut également accueilli à
coups de canon et s'enfuit avec rapidité.
SANGLANTS
ÉCHECS ALLEMANDS
Paris,
20 mars, 14 h. 50.
Rien à signaler.
Paris, 21 mars, 0 h. 58.
Voici le communiqué officiel du 20 mars, 23 heures :
A Laboiselle, au nord-est d'Albert, les Allemands,
après un violent bombardement, ont tenté une attaque
de nuit qui a été repoussée.
Les Allemands ont subi des pertes sensibles.
En Champagne, dans la nuit de vendredi à samedi,
l'ennemi, a contre-attaqué à l'ouest de Perthes. Il
a été repoussé.
Samedi, aucune action d'infanterie.
Notre artillerie a pris sous son feu un
rassemblement allemand qui a beaucoup souffert. En
Argonne, vers Bolante, bombardement assez violent,
sans attaque d'infanterie.
Aux Eparges, nos progrès ont continué. Après avoir
repoussé deux contre-attaques, nous nous sommes
emparés de la plus grande partie de la position
allemande, disputée depuis deux jours. L'ennemi a
contre-attaqué à trois reprises, sans pouvoir rien
regagner. Il a laissé de très nombreux morts sur le
terrain et nous avons fait des prisonniers.
Au sud des Eparges, au bois Bouchot, nous avons
repoussé une contre-attaque.
En Woëvre, au bois Mortmare, notre artillerie a
détruit un blockhaus et a fait exploser plusieurs
caisses et dépôts de munitions, Au bois Le Prêtre,
nous avons réalisé quelques progrès.
COMMENT ILS
TRAITENT LES OTAGES
Le maire de
Remoncourt attaché à la selle de dragons allemands
Un jeune
cultivateur des environs de Remoncourt, canton de
Blamont, près de la frontière, et qui a des parents
en Allemagne, vient d'écrire à sa soeur une lettre
dans laquelle il raconte comment, pris par les
Allemands en même temps que le maire de son pays et
emmené en captivité, il a été traité par eux. Il
vient d'être libéré.
Voici cette lettre, dont nous respectons
scrupuleusement la teneur. Elle constitue un
document vécu à ajouter à tous ceux qui forment
contre la barbarie allemande le plus irréfutable des
réquisitoires :
« Ma chère Victorine, Comme tu vois, je ne suis pas
encore mort de cette fois, mais tu peux croire que
je croyais bien à mon dernier quart d'heure avec ces
Boches. Ils m'avaient réquisitionné pour conduire un
soldat tué dans la pièce (le champ) du Sorbier.
Lorsque j'ai été pour reprendre mes deux chevaux à
la lisière du bois, au-dessus de chez nous, ils
m'ont accusé, moi, de l'avoir tué.
Lors, ils ne m'ont plus laissé repartir à la maison,
tu peux penser le désespoir de tous à la maison.
Ils m'ont bandé les yeux. Avec une corde autour des
reins, ils m'ont attaché à la selle d'un cheval,
puis sept à huit dragons montent à cheval et nous
voilà partis à travers champs rejoindre le « fort de
Moussey » au trot. Lors, quand je ne courais pas
assez fort, ils me poussaient avec leurs lances dans
le dos, tu peux croire qu'ils gu... bien après moi,
en me disant qu'ils allaient me fusiller.
Alors, nous voilà arrivés au port, chez D... Là, ils
m'ont ligoté à un poteau sous un hangar auquel je
croyais bien qu'ils m' allaient faire mourir comme
ils me l'avaient dit. Vers le soir, et avec le maire
de Remoncourt qui a été traité comme moi, nous voilà
partis en auto pour Dieuze, ils n'ont même pas
daigné ouvrir la porte, ils ont tiré le maire
par-dessus et moi, après avoir traversé un long
couloir, une douzaine de soldats me tombent dessus à
coups de poing et de pied, auxquels j'ai eu des
noirs bien longtemps sur tout le corps et moi
toujours lié sans pouvoir parer les coups, mon
chapeau a été perdu et ils m'ont déchiré toute ma
chemise, je n'avais que cela sur le dos. Puis ils
nous ont flanqué en cellule. Le lendemain, deux
officiers viennent me rendre visite en me demandant
si j'étais catholique. Je leur réponds. Ils me
disent : « Avant de mourir, on vous donnera un
prêtre. » Juge quelles consolations et dans quel
état je pouvais être avec toutes ces promesses. Lors
nous sommes restés trois jours à Dieuze. Le
mercredi, ils nous font descendre. Il y avait un
curé en bas de l'escalier...
Ah ! mon Dieu, je croyais bien que ce curé était
pour nous confesser, mais non il était bel et bien
comme nous permissionnaire pour voyager en
Allemagne. Nous voilà partis tous les six, moi et
S... toujours liés avec chacun une corde. Faut
croire que nous étions plus terribles que les
autres. Nous passons par Benestrof, Sarreguemines,
Sarrebrück, Coblentz, VeiseL Là, deux jours de repos
en cellule, et moi en chemise déchirée et sans
chapeau. H..., en patins et sans casquette. Pense
comme tous les civils et soldats nous injuriant
comme francs-tireurs, entre quatre soldats et un
sous-officier baïonnette au canon, mais les pauvres
diables n'étaient pas encore trop mauvais, car ils
nous ont délié les mains et nous donnaient encore
bien à manger et boire de ce que les civils leur
passaient.
De Veisel, nous avons passé à Munster, ils nous ont
internés dans un camp où nous sommes restés quinze
jours. Lors, le Ie1 septembre, nous voilà repartis
pour Hanovre dans une forteresse militaire, toujours
en cellule. Moi, couché sur la planche, tu peux
croire, ma chère Victorine, que je n'ai pas eu trop
chaud entre ces quatre murs et pas le sou dans la
poche.
Lors, le 19 septembre, j'ai été déposer devant le
juge par trois reprises. Tu peux croire qu'il a
fallu lui en raconter ; depuis l'âge de dix-huit ans
! Alors, je lui ai demandé la permission de demander
de l'argent à H. Lors, Augustine m'a envoyé cent
mark pour m'acheter des effets, car j'étais gelé en
cellule.
Le 1er octobre, ils nous ont donné un lit et chauffé
notre appartement et, Dieu du Ciel ! quelle
nourriture ! Pain noir, soupe à la morue, au hareng,
au rutabaga, il m'a fallu au moins trois semaines
pour me décider à manger de leur sale pain.
H... et H. ont été relâchés le 2 octobre. Lors, je
leur ait dit d'aller voir Marie et de lui raconter
notre situation, de donner mon adresse, car ma chère
femme me croyait bel et bien fusillé. J'ai reçu une
lettre le 2 octobre, mais, comme les lettres passent
toutes au bureau, l'on ne pouvait mettre que le
strict nécessaire.
Le 12 janvier, ils nous ont acquittés de notre
procès et nous ont envoyés-dans un camp, à
Holzminden.
Tu vois quelle partie de plaisir nous ont fait faire
aux frais de leur gouvernement... »
AUTOUR DE
VARENNES-EN-ARGONNE
Du «
Bulletin des Réfugiés meusiens » :
A Boureuilles, seules émergent encore quelques
maisons situées aux extrémités des rues : églises,
écoles, mairie, etc., etc., . ne sont plus.
A La Chalade, front avancé de notre ligne de
bataille dans la Grurie, la majorité des habitations
sont toutes par terre ; l'église, ce monument
admirable que nous ont légué les siècles et classé
depuis longtemps a beaucoup souffert, mais n'est pas
encore détruite.
De Montblainville, de Baulny, de Charpentry, il ne
reste presque plus rien, églises, mairies, écoles
comprises.
Véry conserve deux ou trois rues intactes, ce qui
permet au général prussien d'y maintenir son
quartier général ; mais que de décombres aux
alentours ! l'église est blessée en plusieurs
endroits.
Cheppy n'a plus que le tiers de ses maisons ;
mairie, écoles sont brûlées ; le château a assez
souffert, de même l'église qui a son clocher abattu
et des brèches dans .ses flancs.
Avocourt gît à terre, sauf quelques rares
habitations sauvées jusqu'à ce jour : mairie, école,
église ne sont plus.
Esnes a la grande moitié de ses maisons écrasées ;
l'église est détériorée.
Malancourt présente un spectacle lamentable ;
pourtant de ci de là, on aperçoit quelques maisons
épargnées, mais pas nombreuses : l'église est
endommagée.
Enfin Vauquois, de piton plus d'une fois historique,
n'offre plus à l'oeil qu'un chauve sommet, que les
Français viennent de réoccuper, bien que les
Allemands se soient retranchés dans les flancs du
pic abrupt au moyen de chemins couverts circulaires,
de tranchées et d'artillerie.
UN RAID DE
ZEPPELINS SUR PARIS ET LA BANLIEUE
PLUS DE BRUIT que
d'EFFET
Paris,
21 mars, 1-i h. 2'S.
La nuit dernière, entre 1 h. 15. et 3 heures, quatre
Zeppelins, suivant la vallée de l'Oise, se
dirigèrent sur Paris.
Deux durent faire demi-tour avant d'arriver, l'un à
Ecouen, l'autre à Mantes. Les deux autres, attaqués
par l'artillerie de la défense, passèrent sur les
quartiers nord-ouest de la périphérie de la banlieue
voisine. Ils se retirèrent après avoir lancé des
bombes, dont, plusieurs n'éclatèrent pas.
Les dégâts matériels sont peu importants.
Il y eut sept à huit personnes atteintes, dont une
sérieusement.
Un Zeppelin paraît avoir été touché.
En définitive, le raid sur Palis a échoué
complètement. Il a permis de constater le bon
fonctionnement de la défense. - Voici de complets
détails :
DANS LA VALLÉE DE L'OISE
Pendant leur retour les Zeppelins lancèrent douze
bombes incendiaires sur Compiègne. Les dégâts
matériels sont sans importance.
Ils jetèrent sans plus de résultats des bombes sur
Ribécourt et Dreslincourt, au nord de Compiègne. Il
y a des dégâts et des victimes.
DANS LA BANLIEUE PARISIENNE
A ASNIÈRES
A Asnières, huit bombes ont fait trois blessés.
A NEUILLY
A Neuilly, un incendie a été rapidement éteint dans
une petite maison où il s'était déclaré. Pas de
victimes.
A LEVALLOIS
A Levallois, une maison d'un étage démolie ; deux
jeunes gens, pris sous les décombres, ont eu la vie
sauve.
A COURBEVOIE
A Courbevoie, il y a deux blessés, dont un
grièvement.
A PARIS
A Paris, rue des Dames et rue Dulong, une bombe a
été lancée. Pas de victimes.
En Seine-et-Oise, à Saint-Germain, les Zeppelins,
signalés de Mantes, furent canonnés par les forts.
A Poissy, chute de trois bombes, dont une explosive.
Aucune victime.
Vers deux heures du matin, une bombe incendiaire
tomba sur la toiture de l'immeuble situé au 78 de la
rue Dulot, près de la gare des Batignolles.
La bombe, ayant mis le feu aux chevrons de la
toiture, un commencement d'incendie se déclara.
Les pompiers arrivèrent et constatèrent que la bombe
avait provoqué une perforation d'environ un mètre
carré. L'immeuble endommagé, comprenant six étages,
compte soixante-dix locataires. Aucun ne fut atteint
Quelques minutes après, deux autres bombes
incendiaires tombèrent, la première au coin de la
rue des Dames et de la rue Biot ne faisant que
mettre le feu à des poubelles. la seconde 7, rue des
Dames, sur un immeuble à cinq étages habité par plus
de deux cents locataires.
Il n'y a pas de victimes.
DÉTAILS
COMPLÉMENTAIRES
Paris,
21 mars, 14 h. 18.
Deux Zepelins arrivèrent sur Paris par l'Ouest.
Les feux de Paris étant éteints, les Zeppelins
furent trompés, et lancèrent de bombes sur Neuilly,
Levallois et les Batignolles, croyant se trouver sur
le centre de Paris.
Une première bombe a été jetée sur Neuilly, tomba
17, boulevard de Levallois, à la Grande-Jatte, sur
la voie publique, a côté d'une petite cabane habitée
par une vieille femme.
Il n'y a pas eu de dégâts.
Puis le zeppelin traversa la Seine, et jeta une
bombe qui tomba dans le fleuve.
La troisième bombe tomba rue Chauveau, sur un
pavillon habité.
La bombe traversa la voiture ; elle tomba au second
étage dans la chambre d'un enfant L'incendie, qui se
déclara, fut éteint en trois quarts d'heure.
Le zeppelin, qui venait dans la direction de
Maisons-Lafitte, avait été signalé à Compiègne. Il
passa au sud de la mairie de Neuilly, et arriva
jusque rue Angélique Derrien. Là, le moteur
s'arrêta. Le zeppelin semblait hésiter sur la
direction à suivre. Il avait alors le cap sur Paris.
Après deux minutes d'arrêt, il fit demi-tour, et
prit la direction de la porte Champerret pour aller
vers Levallois.
Une bombe, ramassée dans la rue. fut portée au
commissariat de police. Elle se compose d'un tube
cylindrique de 25 centimètres de hauteur, au bas
duquel se trouve une sorte d'entonnoir en métal
renfermant de la poudre incendiaire.
Une bombe tomba, à Levallois, sur un pavillon à un
étage ; elle traversa deux plafonds, et pénétra dans
la cave où elle est encore.
Le pavillon est habité par les familles Bonnaires,
locataire, et Chantron, propriétaire, dont les deux
fillettes furent légèrement blessées.
Les fils Bonnaires, fortement contusionnés, furent
retirés à grand'peine des débris des appartements.
Les dégâts sont importants.
Le pavillon est fort endommagé.
Le procureur de la; République ; M. Mouton,
directeur de la police judiciaire ; un attaché au
cabinet de M. Millerand ; le général Galliéni ; M.
Strauss, sénateur de la Seine ; M. Chevret,
président du conseil général, sont venus sur les
lieux.
Rue Poccard, une bombe tomba sur le toit d'une
maison à quatre étages, et pénétra dans la cuisine.
Le feu fut éteint par les voisins.
Les habitants du quartier virent nettement des
éclats de shrapnell dirigés sur l'aéronef qui fuyait
à grande vitesse vers Asnières.
Les dégâts furent plus importants à Asnières. Dix ou
douze bombes furent jetées.
Une bombe incendiaire tomba rue Amélie. Pas de
blessés.
Une autre dans le jardin du n° 81 de la rue
d'Argenteuil. Dégâts insignifiants.
Une troisième, qui était incendiaire, tomba au 70 de
l'avenue d'Argenteuil. Deux fillettes furent
légèrement blessées et un soldat réserviste assez
grièvement atteint.
Une bombe explosible tomba au n° 13 de la rue du
Congrès. Les dégâts sont assez importants. Il n'y a
pas de blessés. On croit que cette bombe serait en
réalité un obus, car on constata des traces de
balles sur les murs voisins. La déflagration
renversa le mur dont les gravats pénétrèrent dans le
local voisin, où étaient deux personnes qui ne
furent pas atteintes, et brisèrent aux fenêtres les
carreaux qui tombèrent dans le jardin à côté.
Une bombe incendiaire tomba également 20, rue du
Progrès, et causa un incendie qui fut rapidement
éteint.
Enfin une bombe d'explosifs tomba rue Chausson. Pas
de victimes.
Les autres bombes tombèrent dans les jardins, des
terrains vagues ou des champs sans causer aucun
dommage.
M. POINCARÉ
VISITE LES BLESSÉS
Paris,
21 mars, 18 h. 55.
Le président de la République, accompagné de Mme
Poincaré et des secrétaires généraux de la
présidence, a visité dans les hôpitaux d'Asnières,
de Courbevoie et de Levallois les victimes des
zeppelins.
Il s'est entretenu avec les blessés et a remis des
offrandes aux hôpitaux et des secours aux familles.
LES TAUBES SUR
NANCY
Lundi 22
mars, vers 8 heures du matin, un Taube s'est encore
aventuré jusque sur la banlieue nancéienne. Mais,
comme ses prédécesseurs, il a dû rapidement battre
en retraite pour éviter les obus qui commençaient à
éclater autour de lui.
Comme d'habitude, le public s'est fort intéressé à
cette chasse.
On croit que l'un des projectiles a atteint l'avion
ennemi, car des témoins ont pu constater que l'une
des ailes était repliée et que l'appareil semblait
descendre vers le sol comme s'il ne pouvait plus
être dirigé.
DEUX VICTOIRES
RUSSES.
Grave défaite
autrichienne
Paris,
21 mars, 14 h. 20.
PETROGRAD. - Nous avons rejeté les Allemands da
Taureggen au delà de la frontière. Nous nous sommes
emparés de Memel et avons contraint l'ennemi à
évacuer Pilwiski.
Nous avons repoussé, sur la rive droite de la Narew,
l'offensive ennemie qui a subi des pertes énormes.
Dans les Carpathes, nous avons infligé une grave
défaite à une division de honveds. Près de Moldawsko,
nous avons enlevé les hauteurs fortifiées de
Przemysl.
L'ennemi a tenté, le 18 mars, mais vainement, une
sortie. Nous avons fait trois mille prisonniers et
pris sept mitrailleuses.
La victoire russe devant Przemysl
PETROGRAD. - Un communiqué de l'état-major dit :
Suivant des renseignements complémentaires, la
sortie de la garnison de Przemysl a été effectuée
par la 23e division entière de honveds.
Nous avons repoussé cette sortie et fait prisonniers
107 officiers, dont un commandant du 2e régiment de
honveds, et 3.954 soldats. Nous avons pris 16
mitrailleuses.
Les prisonniers disent que les pertes de la susdite
division de honveds, en tués et en blessés, sont
énormes
La défaite allemande de Memel
La lutte dans les rues
Nos troupes parvinrent à Memel dans la soirée du 13
mars, après avoir passé la frontière près de Gordjda
et battu les Allemands, à qui elles enlevèrent des
canons, des mitrailleuses et des automobiles
chargées de munitions de guerre.
Memel fut défendu par deux régiments de la landsturn,
qui, repoussés, se confondirent avec la population.
Quand, à huit heures du soir, nous pénétrâmes dans
Memel, nous fûmes accueillis par des feux partant
des maisons. Barricadés, les habitants combattaient
avec les soldats.
Nous évacuâmes alors Memel, que nous soumîmes à un
feu d'artillerie de courte durée. ~Nous forçâmes
l'ennemi à cesser la résistance 6(L. la population
de Memel fut évacuée sur une langue de terre voisine
de Koenigsberg Sur la rive gauche de la Vistule,
notre artillerie a dispersé plusieurs bataillons qui
marchaient à découvert dans la région au sud de Rawa.
Menaces à la mode teutonne
L'état-major général publie la note suivante : Un
communiqué officiel du quartier général allemand du
19 mars concernant le mouvement des troupes russes à
Memel renferme des menaces de représailles contre
les villes et les villages russes occupés par
l'ennemi, pour les pertes que pourraient subir les
populations de la région de Memel.
L'état-major russe porte à la connaissance du public
que Memel fut défendu ouvertement par l'armée
ennemie. Un combat fut livré dans les rues de la
ville et la population civile ayant pris part à ce
combat, nos troupes furent forcées d'agir en
conséquence.
Si les Allemands réalisent leurs menaces contre la
population de cette ville et contre celle de la
région russe qu'ils occupent, il faudra considérer
leurs actes non comme des représailles, mais comme
des actes provenant de leur propre initiative et
dont la responsabilité morale et les conséquences
retomberont sur eux
LA CATHÉDRALE
DE SOISSONS BOMBARDÉE
Leurs échecs en
Champagne et aux Éparges
Paris,
21 mars, 14 h. 52.
Aucune modification n'est signalée dans la
situation.
Paris, 22 mars, 1 h. 18.
Voici le communiqué officiel du 21 mars, 23 heures:
L'ennemi a bombardé de nouveau (27 obus) la
cathédrale de Soissons, qui a souffert grièvement et
sur laquelle, contrairement aux assertions
allemandes, aucun poste ni observatoire ne fut
installé, pas plus que n'y fut arboré le drapeau de
la Croix-Rouge.
En Champagne, nous avons progressé légèrement dans
la soirée du 20 mars, à l'est de la cote 196,
nord-est de Mesnil.
Journée sans attaque d'infanterie.
Aux Eparges, nous avons maintenu nos gains d'hier,
malgré deux violentes contre-attaques qui ont été
repoussées avec de fortes pertes.
Dans les Vosges, après avoir perdu dans la journée
d'hier le grand et le petit Reichaakerkopf, nous
avons repris le petit Reichadkerkopf et avons
contre-attaqué pour reprendre le grand. Le combat
continue.
BRILLANTE
ATTAQUE EN ARGONNE
Paris,
22 mars, 15 h. 10.
Au nord d'Arras, à Notre-Dame-de-Lorette, une
contre-attaque allemande nous avait repris,
avant-hier soir, quelques éléments de tranchées.
Nous les avons reconquis hier.
A La Boisselle (nord-est d'Albert), la guerre de
mine continue. Après avoir fait exploser une galerie
ennemie, nous avons occupé la plus grande partie de
l'entonnoir.
Reims a reçu, dans la journée de dimanche, une
cinquantaine d'obus.
En Argonne, nous avons infligé à l'ennemi de sérieux
échecs. Près de Bagatelle, nous avons fait exploser
trois mines, et deux de nos compagnies ont enlevé
d'assaut une tranchée allemande où elles se sont
maintenues, malgré une forte contre-attaque.
A 500 mètres de là, l'ennemi, après avoir fait
exploser deux mines et bombardé nos tranchées, s'est
précipité à l'attaque sur un front de 250 mètres
environ. Après un corps à corps très chaud, les
assaillants ont été rejetés, malgré l'arrivée de
leurs renforts. Notre artillerie les a pris sous son
feu pendant qu'ils se repliaient et leur a infligé
de très grosses pertes.
Paris, 23 mars, 1 h. 10.
Voici le communiqué officiel du 22 mars, 23 heures :
Au plateau de Notre-Dame-de-Lorette, nous tenons la
totalité des tranchées disputées ces jours derniers,
sauf un élément de dix mètres, qui reste aux mains
des Allemands.
Aux Eparges, l'ennemi, a contre-attaqué cinq fois
pour reprendre les positions conquises par nous,
mais son échec a été complet.
Nous avons réalisé des progrès au nord de
Badonviller.
A VIC
Combat du 10
août, Ferme de Lagrange (TERRITOIRE DE VIC)
Une compagnie du 17e d'infanterie allemande contre
50 ou 60 chasseurs à pied. Vaillance d'un Hauptmann.
- Fuite éperdue de sa compagnie. - 167 hommes hors
de combat. - Comment ils en firent une victoire. -
Les Otages de Vic. - Occupation française. - En
attendant le retour définitif.
Dans l'
« Est républicain » du 8 mars, il a été question du
lâche assassinat d'un cavalier du 8e dragons, de
Lunéville, par un volontaire du régiment n° 138, de
Dieuze, cantonné à Vic, depuis le début de la
guerre. Cette victime, ainsi qu'on le verra plus
loin, a été bien vengée.
Le lendemain de cet assassinat, pendant tout
l'après-midi, une animation extraordinaire et un
effarement visible régnaient parmi les immigrés,
fonctionnaires et autres ; la tristesse était peinte
sur leur face décomposée et peu en harmonie avec
l'ordinaire et habituelle « bravade allemande », qui
est, comme chacun le sait, au-dessus de tout.
Vers cinq heures et demie du soir, le postier Sinner,
qui avait tremblé toute la journée, enfourchait sa
bicyclette et se dirigeait, en toute hâte, vers
Château-Salins.
Aussitôt après son départ, sa femme et sa
belle-mère, ferventes patriotes allemandes, quoique
Lorraines, fermaient le bureau, portes et fenêtres
étaient closes. Depuis deux ou trois heures, plus un
seul casque à pointe n'occupait la ville et les «
poux gris », si bien surnommés depuis, avaient
prestement décampé.
Le téléphone ou le télégraphe de campagne avait
annoncé l'approche des Français, et leur entrée
imminente dans la petite ville frontière - qui ne
s'y attendait pas si tôt - était l'objet de toutes
les conversations.
VOILA LES FRANÇAIS !
Vers sept heures du soir, j'étais - ainsi que depuis
plusieurs jours - à mon observatoire, dans le
grenier de ma maison, dominant la ville et d'où
j'avais vue sur toute la campagne, aux quatre points
cardinaux.
Tout à coup, au tournant de la route d'Arracourt, je
vis s'avancer une colonne sombre suivie de cavaliers
aux uniformes sur la rature desquels il était
impossible de se méprendre. Je criai de mon toit :
- Voici les Français !
Une halte de quelques secondes à la porte de Nancy,
puis une avant-garde de dragons, lance en main,
suivie d'une compagnie cycliste, commandant en tête,
et d'un escadron de dragons entre comme une trombe
par la Grand'Rue.
C'étaient une compagnie du 4e bataillon de chasseurs
à pied, commandant Boussat, promu depuis
lieutenant-colonel, et un escadron du 8e dragons, de
Lunéville, qui, les premiers, pénétraient à Vic,
après avoir abattu le poteau-frontière entre
Arracourt et Vic.
Pendant qu'une partie de la petite troupe qui avait
aperçu le « kaiserlich postamt », mettait pied à
terre, rue Dampierre, le surplus allait prendre
possession de l'hôtel de ville. A la poste, tout
était fermé. Le commandant des chasseurs à pied,
figure énergique et l'air martial que tout le monde
lui connaît, s'avança le premier et s'adressant à la
femme du postier, la pria de lui ouvrir la porte du
bureau. C'est alors qu'à ce moment un énergumène, le
fils du percepteur Eyles, qui s'était imposé malgré
nous tous, comme membre de la Croix-Rouge,
s'interposa et insolemment répondit :
- Vous n'entrerez pas ! Je suis le maître ici.
On dit même qu'il adressa à cet officier des paroles
grossières. Je ne puis le certifier, j'étais trop
loin pour les entendre ; mais je vis clairement
qu'il se débattait fortement. En un instant, il fut
enlevé, soulevé de terre par la poigne vigoureuse du
commandant, dont l'indignation et la colère, faciles
à comprendre, étaient peintes sur son visage.
Une persienne et une fenêtre volèrent en éclats, et
leurs ouvertures donnèrent le libre accès du bureau
aux soldats qui détruisirent les appareils.
La femme et la belle-mère du postier se lamentaient
et suppliaient qu'on ne leur fît pas de mal. Un
lieutenant leur répondit fort courtoisement :
- Mesdames, vous n'avez rien à craindre de nous ;
nous ne sommes pas des sauvages, nous ne maltraitons
pas les femmes et nous n'achevons pas les blessés,
comme les vôtres l'ont fait hier ! »
L'officier conseilla à ces dames de rentrer dans
leurs appartements privés, de se tenir tranquilles
et qu'il ne leur serait rien fait.
Ce fut une joie pour tous les indigènes de voir
empoigner et emmener le drôle du percepteur, qui
était bien connu de certains officiers de la
garnison de Lunéville, où il se, rendait fréquemment
et où il affectait volontiers des airs tranchants
d'officier allemand, avec ses bottes en cuir fauve
et suivant, avec persistance, la revue du 14
juillet.
Pendant ce temps, le commandant Boussat haranguait
la foule et disait en substance :
Lorrains, nos frères
« Lorrains, nos amis, nos frères, nous venons pour
vous délivrer. Etes-vous heureux ? Etes-vous avec
nous ?... Répondez donc !.... »
On était heureux, mais toutes les lèvres étaient
closes. Toutes les bouches, qui auraient voulu
s'ouvrir pour remercier et exhaler leur joie et leur
bonheur, se taisaient. Elles restaient silencieuses,
dans la crainte de voir les bourreaux rentrer le
lendemain et exercer de terribles représailles.
Un officier, entre autres, prenant pour un tout
autre sentiment ce silence, qui n'était que la
terreur d'une vengeance que les habitants
redoutaient, eut une remarque qui me fit de la
peine. M'approchant alors, je lui dis à l'oreille :
- Pardon, mon lieutenant, comme Français je puis
vous parler en toute sincérité : vous vous trompez !
Mais pouvez-vous nous promettre de nous garder ?
Etes-vous sûrs de rester et nous défendre ? Dites un
mot et vous verrez !... Mais nous sommes environnés
d'espions et d'espionnes !... »
Cet officier comprit et changea d'attitude.
J'ajoutai :
- Surtout, gardez-vous bien ! Vous n'êtes pas
beaucoup ! Les « autres » ne sont pas loin ! Je
crains une surprise pendant la nuit. »
On se garda bien, en effet. Les Boches ne revinrent
pas dans la nuit ; mais, dès le lendemain matin, de
fortes colonnes étaient signalées, vers
Château-Salins, Morville-les-Vic et la forêt de
Hampont.
ON SE REPLIE
Il fallut se replier.
Le téléphone d'une Bavaroise avait fait son oeuvre.
Vers 10 heures du matin, les derniers dragons
français reprenaient la route d'Arracourt. De
nombreux casques à pointe reparurent : cavaliers,
fantassins parcouraient les rues en tous sens. Ils
roulaient des yeux féroces. Barthellang avait l'air
d'un dompteur prêt à entrer en scène avec sa
cravache.
Lui et ses douaniers, qui s'étaient probablement
terrés, depuis la veille au soir, réapparaissaient
au grand jour, ainsi que le vaillant postier -
retour de Château-Salins - et la vie de tous les
jours recommença : Vic anxieuse ! Silencieuse pour
nous, triomphante pour les « Bel uns ! »
C'est alors qu'on peut se demander ce qui serait
advenu de nous tous si notre patriotisme débordant
s'était manifesté au gré fort compréhensible de nos
officiers qui se déclaraient nos libérateurs !...
LES OTAGES
Nous avions encore présent à la mémoire le souvenir
récent de l'arrestation dies otages en pleine nuit :
celle de la déclaration de guerre. Ces otages, qui
furent arrachés brutalement de leur lit, eurent à
peine le temps de se vêtir et il leur fallut prendre
le chemin de la captivité.
Ces otages sont : 1° M. Alfred Lamy, conseiller
général ; 2° M. Auguste Beaudouin, adjoint au maire
; 3° M. Aimé Chamant père ; 4° M. Aimé Chamant fils,
négociants en vins ; 5° M. Adrien Grégoire, chef de
musique ; 6° M. Hauck, son beau-frère ; 7° M.
Parisot, charcutier ; 8° M. Moriau,
arpenteur-géomètre. Ils avaient voulu arrêter aussi
le vénérable chanoine Humbert, ancien archiprêtre de
Château-Salins, retiré à Vic, mais ce malheureux
vieillard octogénaire était alité, dangereusement
malade. Ils se contentèrent d'installer près de ce
moribond un factionnaire baïonnette au canon (Gott
mit uns!) Depuis, ils procédèrent aussi à
l'arrestation des deux filles de M. Lamy, Mlle
Louise et Mme veuve Brunotte.
Le notaire Stevert fut aussi arrêté, mais il fut
relaxé depuis.
Le lendemain de la rentrée des siens, le percepteur
Eyles, ivre de bière et de colère, furieux de
l'arrestation de son fils, s'en prit à toute la
population en général et à moi en particulier.
Etant au café de la Gare en train de payer à boire à
un sous-off, dans le seul but de l'exciter contre la
population, il lui dit en me montrant : - Noch ein
schwein hundt qu'il faudrait écrasirt !... »
Puis s'adressant directement à moi, il me dit :
- Si vos officiers reviennent ici, vous leur direz
que ce sont des lâches et des voyous comme vous et
comme toute la population de Vic !. »
Je lui répondis :
- Les lâches sont ceux qui se cachent derrière le
mur de la gare pendant que nous allons - même sous
le feu - pour sauver les blessés, aussi bien les
vôtres.
Vous n'en feriez pas autant. »
A ce moment intervinrent des jeunes gens de la
localité. Peu s'en fallut, qu'il ne se fit
écharper...
UNE PETITE EXPÉDITION
Le 10 août, vers 3 heures du soir, par une chaleur
torride, un herr hauptmann, qui ne dessaoulait pas
de la sainte journée et qui avait, naturellement,
comme ami, confident et compagnon de beuverie, le
percepteur, aussi grand et aussi gros qu'il était
brutal, aussi brutal qu'il était goinfre, décida de
faire une petite expédition à la ferme de La Grange,
située à proximité de la ville, pour capturer des
chasseurs à pied qui lui avaient été signalés comme
y séjournant.
Plein des fumées de l'alcool, qu'il ne cessait de
s'ingurgiter et que son alambic n'avait pu distiller
complètement, il partit avec sa compagnie, forte de
218 hommes, à la conquête des Français qu'on lui
avait dit être en train de se restaurer d'un mouton
rôti qui leur avait été offert par le fermier. Je
demandai :
- Où vont-ils donc par une chaleur pareille ?
- Ils vont à La Grange. Le capitaine est saoûl ; son
lieutenant a dit : « Il nous conduit au suicide !...
(sic). »
Pour me rendre compte de ce qui allait se passer, je
montai, en toute hâte, à mon observatoire d'où on
découvre parfaitement la gare de Vic et la ferme de
La Grange, située à environ 600 mètres de la gare, à
vol d'oiseau. Il paraît qu'avant de s'engager plus
loin, » Herr Hauptmann » entra encore au café de la
Gare et s'ingurgita quelques « halben » pour
étancher la soif qui le dévorait. Enfin. les voilà
partis !...
Ils suivirent la ligne du chemin de fer jusqu'au
passage à niveau, à environ 250 mètres de la gare ;
puis la compagnie se déploya en tirailleurs : un
tiers à droite, un tiers à gauche de la voie, entre
cette dernière et la route de Nancy. Le dernier
tiers, avec le capitaine, suivit la voie, moins
exposée, dans une tranchée. Puis à environ 80 à 100
mètres de la ferme on s'élança. De droite, de
gauche, en arrière, et tout autour, la ferme était
cernée. Les Français étaient pris. Non, car les
malins, s'étant repliés en voyant venir les Boches,
cinq fois plus nombreux. Donc, désappointement,
visite minutieuse, interrogatoire du fermier. Mais
de Français, point.
« Der Hauptmann » décida alors de pousser sa
reconnaissance au delà de la ferme, quand, à peine
sortis et bien découverts, les Boches furent
accueillis par des feux de salve qui partaient d'une
pièce d'avoine, à l'ouest des bâtiments. Puis nos
chasseurs à pied, au nombre de cinquante à soixante
au plus, se levèrent comme un seul homme et
s'élancèrent à la baïonnette. Les premières
décharges avaient déjà fait de la bonne besogne et «
Rosalie » se disposait à parfaire le reste, quand je
vis le vaillant « hauptmann » jeter sabre et
fourreau pour se sauver plus vite ! Ses hommes
jetèrent sacs et fusils pour courir plus fort. Le
lieutenant et plusieurs hommes furent tués à la
première décharge. Ceux-là tombèrent face en avant.
Quant aux autres. c'était plaisir de voir cette
horde de « sangliers domestiques » fuir... fuir...
de tous côtés, rampant, se couchant, se relevant et
courant, s'étalant dans l'eau, car il faut dire que,
dès la déclaration de guerre, les Boches, pour gêner
les Français, avaient levé les écluses de l'étang de
Lindre-Basse, près Dieuze, ce qui avait eu pour
effet d'inonder toute la vallée de la Seille, de
Dieuze à Metz.
Mais cette malice tourna à leur désavantage, car,
sur le point d'être cernés par le sud, ils n'avaient
de chance de salut qu'en se repliant sur Vic, en
empruntant, comme à l'aller, la ligne du chemin de
fer ou fuir par le nord, du côté de Château-Salins.
C'est précisément ce que l'inondation ne leur permit
pas de faire. La prairie étant couverte d'eau sur
les deux rives de la Seille, ils pataugeaient
jusqu'à mi-corps.
Ils tombaient mais les fossés, dont les prés sont
sillonnés, à cause des marais salins, puis se
relevant, poursuivis par les balles qui les
abattaient définitivement. La Seille qu'ils ne
pouvaient distinguer, en raison du niveau uniforme
de ses eaux et de celles de la prairie, en engloutit
plusieurs. On les voyait se débattre, puis surnager,
se débattre encore, enfin faire le plongeon final.
C'était un spectacle magnifique dans son horreur.
Par le soleil qui réverbérait ses rayons à la
surface des eaux, on distinguait parfaitement la
chute des balles qui pouvaient dru sur les fuyards
et tout autour d'eux.
Je puis dire que ce fut un coup d'oeil inoubliable,
et que cet après-midi du 10 août fut un des
meilleurs et des plus beaux moments qu'il me sera
permis de vivre !
D'autres spectateurs que moi ont été les témoins du
fait. Quand on se revoit, on ne peut s'empêcher de
reparler - je le répète - de ce spectacle magnifique
dans son horreur pour des coeurs patriotes !
Résultat, a-t-on dit : 167 hommes hors de combat,
dont 21 rapportés et alignés côte à côte devant la
gare et qui n'avaient aucune blessure ! Ils étaient
tout « simplement tombés évanouis ! »...
Il parait qu'ils avaient pris nos chasseurs à pied
pour des nègres !... Il est vrai qu'ils étaient
fortement bronzés. Pour mon compte, je puis assurer
- et je ne suis pas le seul qui l'ait remarqué - que
le sergent qui fut tué - non par les assaillants -
mais par une mitrailleuse mise en batterie de
l'autre côté de la Seille, sur la crête des vignes,
avait la figure barbouillée de cirage. Sachant
quelle terreur inspiraient, dès le début de la
guerre, les troupes noires au « Poux gris », nos
chasseurs à pied usèrent quelquefois de ce
stratagème.
J'ai dit que, seuls quelques hommes, dont le
lieutenant allemand, avaient été tués face en avant.
Tous les autres avaient leurs blessures dans le dos
ou dans le gras des fesses, car ils fuyaient à
quatre pattes dans les eaux et sous Les fils de fer
en ronce artificielle qui entouraient les parcs.
Nous en avons retrouvé, le lendemain et le
surlendemain, qui, avant de mourir, avaient coupé
les tiges de leurs bottes et leurs pantalons.
Les Teutons ne se donnèrent même pas la peine de
ramasser leurs morts et leurs blessés et nous
obligèrent à y aller.
Herr hauptmann, en se sauvant et en rampant au
travers de la haie qui entoure la ligne de chemin de
fer, s'était fait, sous le menton, une jolie petite
égratignure, très superficielle (probablement
l'éraflure d'une épine, qui le rendit très
intéressant ! On le vit les jours suivants
déambuler, par les rues de la ville, avec deux ou
trois petites bandelettes de tafetas qu'il s'était
fait appliquer par le docteur Luttwig, maire de Vic
; cela faisait très bien, je vous assure. surtout
vis-à-vis de nous tous qui connaissions la nature de
sa blessure !...
Le lendemain, ce héros, de la poudre d'escampette
n'avait-il pas la prétention de commander à mes
hommes de la Croix-Rouge d'aller battre la plaine à
la recherche de son sabre et du fourreau semés dans
sa fuite. Je m'y suis opposé - non ouvertement -
mais je leur donnai le conseil de n'en rien faire et
surtout de ne pas lui rendre son épée, dans le cas
où ils la retrouveraient.
Ce fut un chasseur à pied qui, entré un des premiers
à Vic, la rapporta, mais il ne put la rendre au
hauptmann, celui-ci ayant jugé prudent de ne pas
attendre nos troupiers.
Pour donner une idée de la créance qu'il faut
ajouter à leurs journaux et à leurs communiqués,
voici un des premiers échantillons de leur sincérité
: Le récit qu'ils firent de l'engagement de La
Grange est rapporté dans la « Gazette de Lorraine »,
journal officiel, paraissant à Metz, numéro du 13 ou
du 14 août, et il y est dit à peu près ceci :
« Il y a trois jours, à Vic, une vaillante «
compagnie du rég. n° 17 fut attaquée par environ
quatre mille Français, qui « prirent la fuite après
avoir subi des pertes considérables. »
LE COLONEL DUBOIS
Or, j'ai dit que leurs pertes étaient de 167 hommes
hors de combat. Les nôtres étaient de trois tués,
les nommés Franiatte, Lanne et Bonhomme, du 4e
bataillon de chasseurs à pied, parmi lesquels le
sergent dont j'ai parlé plus haut.
Nos soldats furent ramenés et inhumés au cimetière
de Vic, sur la tombe desquels notre vaillant colonel
Dubois, du 160e régiment d'infanterie, prononça
quelques jours plus tard un vibrant discours, qui
arracha des larmes aux yeux de tous les assistants.
Malheureusement, cet officier supérieur, qui avait
tant de foi et de courage, fut tué quelques jours
plus tard vers Lunéville, aux environs de Crévic, je
crois.
Toujours est-il que ce brave soldat, entré un des
premiers avec son régiment dans notre localité si
heureuse de revoir nos troupiers, eut le coeur
réconforté par la façon enthousiaste dont il fut
reçu quand, au passage du drapeau déployé de son
régiment, un long cri de « Vive la France »
abasourdit les têtes de Boches qui nous
mouchardaient de tous côtés !...
Ce combat, je l'ai dit, eut lieu le 10 août.
Tous les jours suivants, nous avons été requis pour
aller rechercher leurs morts et enterrer les chevaux
tués. Nous trouvions les cadavres de leurs hommes,
soit dans les avoines au sud de la ferme, soit sur
la crête au sud de la route de Nancy, soit dans les
fossés marécageux au nord-est de la ferme, soit
enfin dans le lit de la Seille.
Ils furent, pour la plupart, enterrés sur place, en
raison de la décomposition des cadavres, qui était
fortement avancée par une chaleur torride comme
celle de cette période.
LA PEUR DES DIABLES BLEUS
Pendant les journées qui suivirent le 10 août, les
Allemands étaient sur les dents.
Toutes les nuits ils se croyaient attaqués par les
Français. Ils voyaient partout des « Diables bleus »
et plus particulièrement des « Diables noirs ».
C'était pour eux un cauchemar, une véritable
terreur.
Par une belle nuit, un officier, un « herr leut'nant
» fit une patrouille accompagné d'un sous-off et
d'un soldat. Il fut accueilli par une fusillade qui
l'abattit net, ainsi que son sous-off. Le lendemain,
grande rumeur en ville. Ils accusèrent les voisins
d'abriter et de cacher des Français chez eux ! Ils
firent des perquisitions, fouillèrent les maisons et
naturellement ils ne trouvèrent rien. Ils
prétendirent alors que des chasseurs à pied étaient
venus depuis Salonnes, avaient remonté le cours de
la Seille jusqu'au pont des Moulins, aidés par M.
Marchand, plâtrier, qui les avait cachés chez lui...
Ils l'arrêtèrent, ainsi que sa femme et ne parlaient
rien moins que de les fusiller tous les deux !...
Le maire leur démontra que leur accusation ne tenait
pas debout. C'est à peine s'ils pouvaient dire ce
qui s'était passé.
Après bien des pourparlers et des semblants
d'enquêtes, ils mirent M. et Mme Marchand en
liberté. Le lendemain, nouvelle enquête et menace de
fusillade. On leur avait coupé leur fil
télégraphique ou téléphonique reliant Vic à
Château-Salins et Morhange ?
M. Courtois Edouard fui arrêté et menacé également
d'être fusillé. L'enquête n'aboutit à rien et il
s'en tira, mais il jugea prudent, quelques jours
plus tard, de suivre la retraite française pour se
mettre en sûreté. Et je crois qu'il fit bien. Toutes
les nuits les patrouilles à pied et à cheval
sillonnaient les rues et les alentours de la ville.
Les sabots des chevaux et la botte des fantassins
résonnaient sans cesse sur le pavé des rues de la
petite cité. Des coups de feu éclataient
continuellement au sud et à l'ouest de la ville,
surtout vers la gare et la porte de Nancy, par où il
était naturel d'attendre l'arrivée des Français qui
harcelaient sans cesse les patrouilles et les
avant-postes allemands.
AUTRES COMBATS
Le 14 août, de bon matin. une canonnade furieuse se
faisait entendre au sud et au sud-est de Vic et de
mon observatoire on distinguait parfaitement, même
sans le secours de la lunette, le tir de nos pièces,
l'éclatement de nos obus et leur effet terrible dans
leurs tranchées et sur leurs batteries entre
Juvelize, Blanche-Eglise, la ferme de Bourrache, à
l'est de Marsal et au sud-ouest de Mulcey. Nos
pièces arrosèrent d'obus sans répit toute la plaine
entre Marsal, Juvelize, Guéblange et les casernes de
Dieuze.
Le lendemain, plus au nord de Dieuze, vers Vergnille,
une action offensive de notre part, importante,
devait être engagée tendant à la possession de la
ligne d'Avricourt-Dieuze-Bénestroff.
Le bruit du canon s'y faisait entendre d'une façon
ininterrompue et on devait s'y battre avec
acharnement. De loin, surtout vers le soir, c'était
un spectacle d'une beauté grandiose.
Le 15 et le 16 il y eut un combat violent
d'artillerie entre nos batteries, en position à la
frontière d'Arracourt, au-dessus du bois Samt-Pyant,
près de Juvrecourt, et les hauteurs de la frontière
près du chemin international du Champ-Vautrin, et
les batteries allemandes. sur le grand plateau de
Jérusalem, au-dessus de Vic, entre Morville-les-Vic,
Salival, vers les forêts de Hampont et le mont
Saint-Jean, qui domine Moyenvic, Marsal et une
immense plaine.
De ces hauteurs, le point de vue est splendide. On y
aperçoit le Donon et les Vosges. Les Allemands
avaient donc l'avantage de la position.
Dès le 15, la canonnade commença assez matin et, du
haut de mon observatoire, je distinguais fort bien
l'effet foudroyant de notre artillerie dans les
tranchées nouvelles des Allemands, construites en
toute hâte à la crête de nos vignes, aux trois
quarts de la hauteur des côtes.
Leurs tranchées, profondes, bien organisées,
défendues par de solides gabions construits avec des
bottes d'échalas qu'ils raflaient dans nos vignes
ravagées, renforcées par tous les arbres fruitiers
qu'ils abattaient pour les consolider, furent en
état en très peu de temps, car ils y travaillaient
avec acharnement Leurs tranchées-abris, les réduits
inexpugnables à l'infanterie qui aurait voulu monter
à l'assaut de ces redoutes terriblement dangereuses,
furent anéanties en moins de temps qu'il n'en faut
pour l'écrire.
Entre dix heures et onze heures du matin, un biplan
venant du côté de Moncel vint survoler et repérer
toutes ces positions.
Malgré des centaines de coups de canon et des
milliers de coups de fusil, dont il se moqua
grandement, notre avion repéra si exactement les
positions de l'infanterie et de leur artillerie,
qu'au bout de quelques secondes, après avoir laissé
tomber ses fusées, une bordée infernale d'obus
s'abattait sur les pauvres Boches. Ce fut un
désarroi, un sauve-qui-peut général parmi
l'infanterie des tranchées derrière la ville. On
voyait distinctement les corps, les bottes
d'échalas, les sacs de terre, les bras, les jambes
qui étaient projetés en l'air au-dessus des
tranchées, à une hauteur de quatre ou cinq mètres.
Ah ! ils n'y firent pas long feu !
L'artillerie dut en recevoir sa bonne part, car les
batteries lourdes installées au mont Saint-Jean, qui
tiraient par dessus la ville dans la direction d'Arracourt
et surtout de la ferme de Haute-Burthecourt et qui
étaient contre-battues par nos batteries du «
Haut-des-Monts », finirent par rester silencieuses.
Leur feu éteint, les pièces en partie démolies, les
servants tués ou blessés, tout fut abandonné et nous
y avons trouvé, m'a-t-on dit, quinze cents obus de
gros calibre non tirés et abandonnés avec les
pièces.
LES ALERTES DES BOCHES
Ce fut le signal du repli des Boches...
Notre petite ville, qui avait été survolée par les
obus et la mitraille pendant deux jours consécutifs,
commença a respirer. Les bonnes femmes et ceux qui
avaient cherché refuge dans les caves, jour et nuit,
finirent par mettre le nez dehors. On ne voyait plus
que, de temps en temps, quelques casques à pointe
qui, tous, se dirigeaient du côté opposé à la
frontière.
Ce n'étaient plus les chants et les rires des
premiers jours...
Ce soir-là, ils firent évacuer la maison de M.
Victor Marchal, qui fait face à la place du Parc,
jolie promenade ombragée de marronniers, au milieu
de laquelle se trouvaient encore des voitures de
forains qui y séjournaient depuis la
Saint-Christophe, 25 juillet, qui est, comme chacun
sait, une grande fête dans le pays de la Seille.
C'est ce jour-là qu'on établit le prix des houblons
de la récolte à venir. On y fait aussi de véritables
hécatombes d'écrevisses, arrosées d'un excellent vin
gris mousseux qui échauffe les têtes et les esprits,
et il n'est pas rare d'y entendre chanter la «
Marseillaise », sous l'oeil paternel des gendarmes
qui, eux-mêmes, ont souvent de la peine à se tenir
debout.
Mais je m'écarte de mon sujet et ce n'es pas l'heure
de faire des dissertations de ce genre...
Je disais donc que, vers le soir, ils firent évacuer
la maison Marchal. Ils en prirent entièrement
possession. Ils obligèrent Mme Marchal et ses
enfants à chercher un gîte ailleurs. Ils en firent
autant dans la maison Jacquot, cultivateur, faisant
face à la porte de Nancy, cependant bien barricadée
avec des voitures, des fils de fer barbelés, des
ronces artificielles enchevêtrées et inextricables.
A la tombée de la nuit du 15 au 16, une fusillade
nourrie éclata derrière les volets et persiennes de
la maison Jacquet. Les occupants avaient vu une
troupe à cheval s'élancer pour rentrer en ville,
probablement poursuivis par les nôtres. Ils avaient
cru que c'étaient des Français. Dans leur
énervement, ils ne reconnurent même pas leurs
uhlans, sur lesquels ils tirèrent. Plusieurs chevaux
s'abattirent devant la barricade. Les cavaliers
s'enfuirent.
Ainsi qu'on peut le supposer, les uhlans rentrant de
patrouille crurent que, pendant leur absence, les
Français avaient pris possession de la ville et
s'étaient fortifiés dans cette maison. Aussi,
s'enfuirent-ils à fond de train.
Un peu avant onze heures du soir, tout le monde fut,
non pas réveillé, car on ne dormait plus, mais mis
en émoi par une nouvelle fusillade, partant, cette
fois, de la maison de M. Marchal, puis tout retomba
dans le silence.
Néanmoins, cette alerte nouvelle, n'était pas faite
pour nous endormir...
Aussi, dès la pointe du jour, le lendemain matin,
tout le monde debout cherchait à s'enquérir des
causes du combat nocturne.
Les Boches racontèrent que des Français avaient pu
passer sans être vus des sentinelles et s'étaient
avancés en rampant sous les voitures foraines.
Les voitures foraines, en effet, avaient reçu des
décharges de mousqueterie ; les voitures blindées
étaient même trouées par place. Heureusement que les
forains avaient découché depuis plusieurs jours,
sans quoi ils auraient été transpercés dans leurs
lits...
Or, les fameux chasseurs à pied, ou diables bleus,
qui se promenaient ainsi sous les voitures, étaient
tout simplement deux chiens noctambules en rupture
d'attache et qui avaient profité de ce que les
portes étaient ouvertes pour aller en maraude ! Je
puis en parler en toute connaissance de cause :
c'était le chien de M. Chamant père, arrêté comme
otage, mon voisin, qui jouait avec le mien, et ce
sont ces deux bêtes qui ont été cause de toute la
panique.
C'eut été à rire, si les événements l'avaient permis
; mais les Boches commençaient à devenir mauvais...
La journée du 16 août se passa dans des alternatives
diverses. On voyait fort bien les Français vers les
bois de Bezange, du côté de la ferme de la Haute-Burthecourt.
La saline de Chambrey, ainsi que la ferme de
Merlinsolgne, où, paraît-il, on avait fait
assassiner des soldats français, furent bombardées
et incendiées.
L'attitude du voisin Sinner, le postier toujours sur
le qui-vive, était pour moi un baromètre précieux.
Je devinais à sa tête ce qui se passait dans son
esprit. Il ne tenait pas en place et il était dans
toute l'acception du mot : sur des charbons ardents.
J'avais beau l'interroger, il ne me répondait que
par monosyllabes. Cependant à un moment donné, il me
dit d'un air navré :
- Les Français entreront à Vic cette nuit ou demain
matin ; c'est sur ! »
Est-il besoin de dire que je m'empressai de
colporter cette nouvelle aux amis patriotes, qui
sont nombreux dans la petite cité restée si
Française et qui a tant d'attaches à Nancy ?...
Les Boches - les femmes boches surtout - étaient
calfeutrés chez eux. Presque tous Les fonctionnaires
avaient rallié à Château-Salins.
Toute la nuit, il y eut des coups de feu échangés
aux avant-postes. Personne ne se coucha ou tout au
moins personne ne dormit.
Le 17, à la première heure du jour, toute la ville
était déjà dans les rues ; malgré cela, il y régnait
un silence de mort à comparer aux jours précédents.
On sentait que le départ précipité des Boches était
le prélude d'autres événements. Il y avait quelque
chose en l'air.
Vers 7 heures ou 7 heures et demie du matin (heure
allemande), je vis le postier faire ses adieux à sa
femme, lui faire de longues recommandations, puis,
en bicyclette, il fila vers Château-Salins. Au bout
d'un quart d'heure environ, ayant sans doute oublié
quelque chose, il revint, ne resta chez lui que deux
minutes à peine et repartit en toute hâte.
LES FRANÇAIS REVIENNENT
Il n'était que temps ! Quelques éclaireurs français,
des dragons, lance au poing arrivaient à fond de
train devant la, poste et s'en emparaient. Une
avant-garde qui aurait poussé une pointe jusqu'à
l'extrémité de la ville aurait pu s'emparer du
fourgon postal et du postier qui n'échappèrent que
de quelques minutes.
Dire ce que fut cette journée du 17 août, ne peut se
décrire : nos régiments se succédaient sans
interruption, musique en tête, drapeau déployé et
flottant au vent. Nos fiers troupiers, portant tous
des fleurs, défilaient devant la statue de
Jeanne-d'Arc, au « centre de la ville ; au pied de
la statue, se tenaient les officiers supérieurs et
généraux.
La division de Toul et toutes les troupes, du reste,
furent grandement acclamées.
Ce n'était plus la poignée d'hommes qui nous avait
fait une si courte visite au début, aussi ce fut
plus que de l'enthousiasme, ce fut du délire.
Le percepteur fut arrêté et mis hors d'état de nuire
; ce fut un véritable soulagement pour toute la
population indigène, dont il était la terreur depuis
une dizaine d'années.
Pendant quatre jours, la ville fut en fête, on
embrassait les soldats français qui nous le
rendaient avec effusion ; ils étaient choyés comme
des membres de la famille dont on aurait été séparé
depuis bien longtemps. Les femmes de Boches restées
comme espionnes avaient une pâleur cadavérique ;
mais dans leurs regards qui paraissaient éteints on
voyait de la rage impuissante et une haine
implacable.
Des téléphones privés, renseignant la « kreis-direktion
» de Château-Salins furent saisis, mais
malheureusement ils avaient déjà accompli une partie
de leur mission.
Je passe sous silence certains faits et actes de
patriotisme qui seront reconnus plus tard.
Enfin, le 20 août arriva ; les trois jours
précédents s'étaient écoulés dans un beau rêve ! On
était tout à la joie, tout au bonheur et on se
croyait à jamais débarrassés de la pieuvre teutonne.
Prévenus le 19 au soir qu'un général ferait son
entrée à Vic le 20, vers huit heures du matin, et y
établirait son quartier général, on avait dépouillé
les jardins de leurs fleurs ; des gerbes de roses,
cravatées des trois couleurs, attendaient d'être
offertes, par un groupe de jeunes filles vêtues en
blanc, au général et à son état-major.
Hélas ! dès 9 heures A du matin, un téléphoniste de
la poste me faisait part du la mort du fils du
général, qui venait d'être tué dans une
reconnaissance, près des bois au nord-est de
Château-Salins.
La bataille de Morhange, engagée de grand matin,
faisait rage ; avant midi, j'apprenais qu'elle se
dessinait mal pour nos troupes, qui étaient parties
avec tant d'entrain et d'impatience !
Dans l'après-midi, de nombreux blessés rentraient en
ville. Un officier me conseilla de cacher mon
drapeau. Je compris alors qu'un mouvement de repli
allait être exécuté et que sans doute la ville
serait réoccupée par l'ennemi.
Je descendis mon drapeau avec un sentiment de
tristesse facile à comprendre ; il est caché dans un
placard à double fond. Si les hordes qui ont tout
pillé et dévalisé chez moi ne l'ont pas découvert,
ce sera pour moi une relique sacrée.
ON SE REVERRA
Je n'ai pu juger de la joie immense des Boches et de
leurs femmes après le départ des Français et la
rentrée de leurs hordes ; je n'ai rien appris ou peu
de chose, sinon qu'à mon départ des mains pieuses
ont pris chez moi des fleurs et sont allées les
déposer sur la tombe des soldats français qui
reposent au cimetière de notre petite ville, qu'il
tarde à tous de revoir, mais cette fois, française
et pour toujours.
J'espère avoir, bientôt, le plaisir de vous faire
parvenir quelques nouvelles par la poste de Vic
même, quand le coq gaulois aura enfin terrassé le
vautour germanique. Que Dieu veuille que ce soit
demain !
REIMS paie les
insuccès allemands
Paris,
23 mars, 15 h. 15.
L'ennemi à bombardé Reims. Un avion allemand en
jetant des bombes sur la ville a fait trois victimes
dans la population civile.
En Champagne, nous avons légèrement progressé à
l'est de la cote 196.
En Argonne, près de Bagatelle, l'ennemi a
contre-attaqué violemment à deux reprises pour
reprendre le terrain perdu par lui dimanche. Il a
été complètement repoussé.
Paris, 24 mars, 0 h. 40.
Voici le communiqué officiel du 23 mars, 23 heures :
En Belgique, dans la région de Nieuport, notre
artillerie a détruit plusieurs observatoires et
point d'appui. Nous avons vu les occupants s'enfuir.
Au nord-ouest d'Arras, à Carency, nous avons enlevé
une tranchée allemande que nous avons démolie et
nous avons fait des prisonniers.
A Soissons, nouvelle tentative de bombardement,
presque aussitôt arrêtée par notre artillerie.
En Champagne, l'ennemi a bombardé les positions
conquises par nous dans ces dernières journées, mais
il n'a pas attaqué.
A Vauquois, près de l'église, les Allemands ont
aspergé une de nos tranchées de liquide enflammé.
Nous avons reculé sur ce point d'une quinzaine de
mètres.
Aux Eparges, l'ennemi a prononcé deux attaques qui
ont été arrêtées net.
A l'Hartmansvilerkopf, nous avons enlevé une ligne
de tranchées et un blockhaus.
UNE ALERTE A
NANCY
Mardi
soir, 23 mars, vers 7 h. 15, un coup de téléphone
prévenait les autorités militaires et civiles de
notre ville qu'un « zeppelin » venait d'apparaître
dans le ciel aux environs de Nomeny et qu'il se
dirigeait vers Nancy.
Immédiatement, on fit prendre toutes les mesures
utiles. Les compagnies du gaz et de l'électricité
firent éteindre les quelques rares lampes et
réverbères qui éclairent encore les rues la nuit.
Des agents se rendirent dans tous les cafés et les
magasins et donnèrent l'ordre d'éteindre toutes les
lumières. Chez les particuliers dont les fenêtres
étaient éclairées, les agents firent aveugler toutes
les ouvertures.
Grâce à la rapidité de ces mesures, Nancy était
plongé dans l'obscurité la plus complète pour sept
heures et demie.
Comme bien on pense, l'arrivée des agents dans les
établissements publics causa un peu d'émoi. Ne
sachant au juste de quoi il s'agissait, les
consommateurs sortirent en toute hâte, les uns
portant le pardessus sur le bras, les autres sans
chapeau.
Mais, lorsque, dehors, on connut la vérité, le
sang-froid revint et, comme la soirée était belle et
chaude, que de temps à autre la lune daignait
envoyer sur la ville ses clairs rayons d'argent, les
Nancéiens se promenèrent devant leurs maisons,
faisant les cent pas, le nez en l'air, l'oreille aux
écoutes, dans l'espoir de ne pas rater le spectacle
annoncé.
Mais nul ne vit le phare du dirigeable annoncé ; nul
n'entendit le bruit de ses moteurs ; aussi, vers dix
heures et demie, tandis que des projecteurs
continuant à fouiller sans relâche les nuages,
Nancéiens et Nancéiennes, sûrs d'être bien gardés
par nos braves artilleurs, l'entrèrent peu à peu au
logis pour y goûter un sommeil réparateur.
La nuit se passa sans incident et, à l'aube
naissante, les voisins des jardins de notre ville
pouvaient entendre pour la première fois cette année
le joyeux chant du rossignol, présage d'heureux
événements
Pour en revenir au zeppelin, il est probable que,
là-bas, vers la frontière, nos 75 l'avaient
accueilli avec tous les égards dus à ses intentions
et que ses vaillants pilotes, se voyant découverts,
et comprenant qu'ils ne pourraient accomplir leur
sinistre mission sans risquer leur peau, s'étaient
empressés de regagner le hangar de Frescaty près de
Metz.
LES TAUBES SUR
PONT-A-MOUSSON
Il ne se
passe pour ainsi dire pas de jours sans Taube.
Quelques-uns de ces vilains oiseaux, obligés de fuir
devant la canonnade, ne prennent pas le temps de
lancer des bombes, mais quelques-uns arrivent
néanmoins à semer au hasard de la fuite leurs
projectiles.
On signale des chutes de ce genre dans les environs
de Maidières, sur la côte de Mousson et le long des
rives de la Moselle.
Là, ni dégâts, ni accidents de personnes. Un seul de
ces Taubes a fait du mal, c'est celui qui a lancé
une bombe dans le jardin de l'orphelinat Magot de
Rogéville, à quelques pas de l'église Saint-Laurent,
dont tous les vitraux ont été brisés.
- Quelques obus, résultat du bombardement. aussi
tombés sur la route de Maidières. Ils n'ont fait
heureusement aucune victime.
L'AVANCE BELGE
SUR L'YSER
et nos progrès en
Alsace
Paris,
24 mars, 15 heures.
Une division de l'armée belge a progressé sur la
rive droite de l'Yser. Une autre a enlevé une
tranchée allemande sur la rive gauche.
A l'Hartmansvilerkopf, nous avons enlevé, après la
première ligne de tranchées dont il a été question
dans le précédent communiqué, une deuxième ligne sur
un front de trois compagnies. Nos troupes
s'organisent au delà de cette deuxième ligne à très
courte distance du sommet.
Nous avons fait des prisonniers, parmi lesquels
plusieurs officiers.
LEURS ATTAQUES
VAINES CONTRE
Notre Dame-de-
Lorette et Beauséjour
Paris,
25 mars, 3 h. 25.
Voici le communiqué officiel du 24 mars. 23 heures :
Au nord d'Arras, les Allemands ont tenté deux
attaques sur le grand éperon de
Notre-Dame-de-Lorette dans la nuit de mardi à
mercredi. Leur échec a été complet.
En Champagne, dans la même nuit, une attaque a été
aussi tentée contre le fortin Beauséjour. Elle a été
aussitôt enrayée.
LEURS ATTAQUES
VAINES EN
Champagne et en
Argonne.
Paris,
25 mars, 15 heures.
En Champagne, action d'artillerie assez vive dans la
région de la cote 196. Nous avons, repoussé trois
attaques.
En Argonne, une attaque allemande à Fontaine-Madame,
a échoué.
Aux Eparges, nous avons repoussé trois
contre-attaques de l'ennemi.
Rien à signaler sur le reste du front.
Paris, 26 mars, 1 h. 20.
Voici le communiqué du 25 mars, 23 heures :
Journée calme. Rien à signaler, sinon; l'échec d'une
attaque des Allemands à Notre- Dame de-Lorette.
AU LIVRE D'OR
DE NOS HÉROS CIVILS
Le beau courage
de nos postiers
Paris,
26 mais, 16 h. 25.
Le gouvernement porte à la connaissance du pays la
belle conduite de M. Vallat, sous-préfet de
Commercy.
Par son attitude, il réconforta la population
civile, qu'il visita constamment dans les moments
les plus difficiles, depuis les combats livrés dans
l'arrondissement, dont le chef-lieu fut bombardé à
diverses reprises, il donna à tous, par son
tranquille courage n'ayant d'égale que sa, modestie,
le plus bel exemple;
De Mlle Humbert, institutrice, infirmière de l'Union
des Femmes de France de la Croix-Rouge française,
attachée à l'hôpital auxiliaire n° 108, à Commercy :
s'est distinguée par les soins continus donnés aux
blessés militaires avec un dévouement absolu,
contracta dans son service d'infirmière une blessure
qui a entraîné l'amputation du médius de la main
droite ;
M. Grosdidier, maire de Commercy, sénateur de la
Meuse : après avoir assuré le ravitaillement de la
population, est resté en contact permanent avec
celle-ci. Pendant le bombardement de la gare et de
la ville, a multiplié les preuves d'un dévouement
absolu. Par son courage, son initiative, sa présence
d'esprit, ses conseils, les encouragements donnés, a
apporté aux habitants le plus puissant réconfort ;
M. Garnier. premier adjoint au maire de Commercy : a
continué à remplir ses fonctions d'adjoint au maire
avec un dévouement absolu. Dans des circonstances
difficiles, a eu une belle attitude, calme, résolue,
a rassuré et réconforté grandement la population, à
qui il a manifesté la plus grande sollicitude.
L'exemple qu'il a donné mérite d'être
particulièrement signalé.
Mlle Butaud, aide des postes à Etain (Meuse) : est
restée à son poste jusqu'au dernier moment, malgré
un réel danger, pour assurer le service électrique
et informer des événements les autorités militaires
et le sous-préfet de Verdun. Ne s'est repliée que
sur l'ordre de ce dernier, après que le bombardement
de la. ville eût commencé.
M. Vartier, commis principal des postes, receveur
intérimaire à Rambervillers (Vosges) : le 25 août,
l'ennemi s'est présenté devant Rambervillers. Un
combat violent s'est engagé. Vartier s'est retiré
avec son personnel sur Epinal. Mais, à dix
kilomètres de la ville, il se ravisait et, laissant
continuer en sécurité leur route aux agents qui
l'accompagnaient, il demandait des volontaires
disposés à retourner avec lui à Rambervillers, où
tombaient les obus.
Mlles Royer, Laurent, Guichard et Raby, dames
employées à Rambervillers, soutenues par l'exemple
de leur chef, M. Vanier, ne cessèrent pas d'assurer
le service restreint et d'organiser, avec les
sous-agents de la résidence, la distribution locale
de la correspondance, pendant les intervalles du
bombardement. De ce fait, le bureau de Rambervillers
ne fut évacué que pendant moins d'une journée, alors
que, pendant deux semaines, la ville subit le feu
des batteries lourdes, qui firent die nombreuses
victimes.
Mme Malavoi, receveuse des postes à. Ban-de-Laveline
(Vosges), est rentrée au bureau le 6 octobre, dans
un village situé dans la zone battue par
l'artillerie lourde allemande dissimulée à une
grande distance dans la montagne et difficilement
repérable. Mme Malavoi n'ayant trouvé personne les
premiers jours de sa rentrée et ayant voulu faire le
service du courrier entre son bureau et Saint-Dié, a
assuré elle-même le service à bicyclette, fermant
son local en son absence. Elle dut, un jour, au
cours d'un voyage, se coucher dans les fossés de la
route battue par l'artillerie ennemie et y demeura
plusieurs heures, pendant qu'autour d'elle
éclataient les obus.
M. Bouvret, receveur à Blâmont (Meurthe-et-Moselle)
: du 7 au 15 août, est resté sur place et a continué
à donner les communications électriques, même
lorsque les troupes ennemies passaient sous ses
fenêtres. Il a quitté son bureau par l'arrière du
local, quand l'ennemi entrait par le devant. A
montré un véritable courage et une ténacité
remarquable dans l'accomplissement de sa tâche.
M. Marie, receveur à Chambley (Meurthe-et-Moselle),
et Mlle Marie, son aide : dans une localité
bombardée, dès les premiers jours d'août, par
l'ennemi, établi à 2 kilomètres, M. et Mlle Marie
restèrent jusqu'au dernier moment, continuant à as-
surer les communications. M. Marie rentra trois ou
quatre jours après, rapportant un volumineux
courrier qu'il fit distribuer.
Mme Lamirel, receveuse des postes à Pexonne
(Meurthe-et-Moselle) : lors d'une première invasion,
resta à son poste après - avoir enlevé tout ce qui
pouvait extérieurement désigner le bureau et
continua son service.
Lors de la deuxième invasion, partit sous les obus
avec ses deux enfants, marcha 15 kilomètres et
montra un grand courage et un grand sang-froid.
LES FILLEULS DE
NANCY
Nancy,
28 mars.
Voici. Les lectrices et les lecteurs de l'Est ont
déjà fait beaucoup pour les soldats. Tout le monde a
fait beaucoup. Il reste encore beaucoup à faire.
Le Sou du blessé, les Cent sous du blessé, pour ne
parler que des oeuvres les plus récentes, c'est très
bien. Il y a toujours mieux. Sinon mieux, du moins
autre chose de bien, de très bien. Il y a la
possibilité de créer des liens familiaux entre les
soldats qui n'ont plus de famille, ou les soldats
dont les familles sont en pays envahis et les femmes
qui cherchent à exercer leur adorable mission qui
est de réconforter la douleur.
Je viens de lire deux lettres qui réalisent une idée
d'une délicatesse exquise. Elles sont, Mesdames, une
préface parfaite à ce que je vous proposerai.
Un de mes confrères du Times, Gérard Campbell, a
reçu en Lorraine un accueil si fraternel qu'il a
aussitôt écrit à sa famille à Londres des merveilles
de notre hospitalité.
La soeur de M. Campbell, qui, par une délicieuse
coïncidence, a pour prénom « Nancy » n'a pas voulu
être en reste avec nous. Elle a fait paraître dans
les journaux anglais une note invitant les mères,
soeurs et filles anglaises portant ce joli prénom à
lui envoyer des paquets pour les soldats originaires
de Nancy et de la Lorraine. Et à M. Slingsby,
président du conseil de préfecture, il est arrivé
aujourd'hui de Mlle Nancy Campbell et de ses amies
connues et inconnues deux énormes chargements
destinés à nos troupiers.
N'est-ce pas d'une précieuse originalité, et qui
montre sous la clarté la plus jolie à la fois
l'esprit et le coeur de nos soeurs d'Angleterre ?
Lorraines, c'est à votre tour de chercher et de
trouver pour nos soldats une manifestation qui soit
égale au moins à celle-là.
Je vous propose l'oeuvre des Marraines de Lorraine.
Elle est toute simple, et crée des liens directs,
pour lesquels on n'aura besoin de Comité, ni de
président, ni de secrétaire.
Je reçois tous les jours de pauvres petits mots
envoyés du front et qui disent la triste situation
de certains combattants.
L'un d'eux m'écrit :
« Etant du Nord, sans nouvelles des parents depuis
six mois, sans argent, sans ressources, l'esprit au
foyer, âgé de quarante ans, voyez ma situation de
père de famille. »
Un autre :
« Voici en deux mots l'exposé de notre cas.
Originaires de la Haute-Alsace, nous sommes trois
frères qui, dès le lendemain de la déclaration de
guerre, n'avons pas hésité un seul instant à nous
ranger aux côtés de la France pour aider à reprendre
notre pays. Tous trois sommes engagés au 28e
d'infanterie.
« L'un de nous compte; déjà cinq mois de présence à
la ligne de feu, et les deux autres chacun trois
mois. Et moi je suis du prochain départ pour
retourner au front. Laissés orphelins très jeunes,
nous trouvons très dur que personne ne s'occupe de
nous. Et il est tout naturel que le coeur se serre...
Et puis, sans avoir sollicité personne, ce matin
j'ai trouvé dans mon courrier la jolie lettre que je
vous soumets :
« Monsieur le Directeur, je vous serais très
reconnaissante, si cela est possible, de tue faire
connaître par l'intermédiaire de votre journal
l'adresse de deux petits soldats qui n'auraient pas
de parents, ou dont les parents ne pourraient rien
leur envoyer. J'aurais un réel bonheur de leur
écrire, et de leur envoyer de temps en temps un
petit paquet.
« Je ne suis certainement pas riche. Je ne suis
qu'une petite ouvrière. Mais ce que je pourrai faire
pour nos soldats, je le ferai de grand coeur.
« Merci mille et mille fois si vous pouvez me faire
ce petit plaisir... »
Il n'est pas besoin de faire de la littérature
autour de lettres d'une si haute noblesse, de
générosité aussi tendre.
Je sais aussi que des Lorraines ont déjà songé à «
adopter » pour le temps de la guerre des soldats qui
n'ont pas de parents.
Vraiment ce n'est pas moi qui soumets une idée aux
bonnes Lorraines. Ce sont les Lorraines qui, sans
s'être donné le mot, ont cette idée d'être les
marraines de nos soldats.
Nancy a déjà, par la soeur de M. Campbell, et de ses
amies anglaises, été la bienfaitrice de nos
combattants.
Nous aurons donc bientôt les marraines et les
filleuls de Lorraine.
Je tâcherai d'expliquer dans l'Est de jeudi, - et ce
ne sera pas très compliqué, - comment on peut
devenir marraine et filleul.
RENÉ MERCIER.
Nos PROGRÈS
vers BADONVILLER
Nous avons
bombardé les hangars de Frescaty, la gare de Metz et
des casernes à Strasbourg
Paris,
26 mars, 10 h. 05.
La journée du 25 a été calme sur la plus grande
partie du front. :
Entre Meuse et Moselle, des tentatives d'attaques de
l'ennemi ont été facilement et immédiatement
repoussées : deux au bois de Consenvoye et au bois
des Caures (nord de Verdun); trois aux Eparges ;
deux au bois Le Prêtre.
Paris, 27 mars, 1 h. 10.
Voici le communiqué officiel du 26 mars, 23 heures :
En Belgique, dans la région de Nieuport, combat
d'artillerie.
Plus au sud, nous avons enlevé et occupé, au nord de
Saint-Georges, une ferme en avant de nos lignes.
En Champagne, bombardement sans attaque
d'infanterie.
En Lorraine, au nord de Badonviller, nous avons
organisé solidement le terrain gagné par nous depuis
le 22 mars.
En Alsace, au Reicharckerkopf, les Allemands ont
lancé sur nos tranchées un liquide enflammé sans
obtenir de résultats.
Six de nos aviateurs ont bombardé les hangars de
dirigeables de Frescaty et la gare de Metz. Ils ont
lancé une douzaine d'obus, qui ont déterminé une
violente panique.
Ils ont été violemment canonnés. mais tous ont pu
rentrer à bon port.
Nous avons bombardé également les casernes à l'est
de Strasbourg.
A
AUDUN-LE-ROMAN
OCCUPATION DU
VILLAGE PAR L'ARMÉE ALLEMANDE
Le 4
août, vers 3 heures de l'après-midi, des éclaireurs
allemands se composant de 6 dragons armés de lances
et d'une section d'infanterie pénétrèrent dans le
village d'Audun-le-Roman.
Un effroi bien naturel s'empara de tous les
habitants à la vue de ces farouches ennemis qui,
tout de suite, se mirent à l'oeuvre de destruction.
A L'EGLISE
En effet, tandis que les cavaliers continuaient à
explorer le village, les bâtiments de la poste et de
la gare, le premier mouvement des fantassins fut de
se rendre à l'église, non pour y prier, mais pour
s'en emparer comme poste d'observation ; par une
circonstance fortuite qui voulait peut-être mettre à
l'épreuve la délicatesse de leurs sentiments, la
porte d'entrée de ce sanctuaire se trouvait fermée.
En demander la clef eût été peut-être une
humiliation pour ces soldats auxquels rien ne devait
résister. Ils se mirent donc à briser cette porte
sur laquelle ils s'acharnèrent comme des vandales,
et qui finit par céder après un travail de sape et
de massue qui a duré plus d'un quart d'heure.
Pour se protéger dans l'accomplissement de ce
travail, ils avaient placé des sentinelles tout
autour de cet édifice. A partir de ce moment, il
était défendu à tout fidèle de pénétrer dans
l'église.
Ils établirent de suite un poste d'observation dans
le clocher dont l'élévation se prêtait à merveille
pour cela et d'où l'on dominait l'horizon à perte de
vue, l'église étant située au centre du village sur
le point le plus élevé.
Ils y installèrent en outre des mitrailleuses pour
abattre les avions français qui oseraient venir
faire une reconnaissance, et, pour faciliter leur
tir, ils démolirent sur chaque face du clocher
plusieurs rangées de lames de bois aux abat-sons ;
un peu plus tard, ils accuseront les habitants
d'avoir eux-mêmes fait ces ouvertures pour mieux
confirmer leur accusation d'avoir tiré sur leurs
soldats. Affreux mensonge !
La prise de possession du village d'Audun-le-Roman
se complète par l'arrivée immédiate d'un régiment
d'infanterie qui cantonna, pendant une huitaine de
jours dans la rue principale et par un passage
ininterrompu de soldats de toutes armes.
LES ARMES
L'ère des réquisitions à outrance allait commencer,
et par la rigueur et la précipitation avec
lesquelles elles étaient faites on pouvait déjà
prédire qu'Audun-le-Roman, joli chef-lieu de canton
de l'arrondissement de Briey et première localité
importante voisine de la frontière où se groupent
cinq embranchements importants de chemins de fer,
devait fatalement disparaître.
C'était d'abord injonction aux habitants par le
commandant d'armes de déposer immédiatement à la
mairie toutes les armes neuves ou anciennes qu'ils
possédaient avec menace d'être fusillés pour ceux
qui en resteraient détenteurs, les prévenant qu'une
perquisition à domicile serait faite.
La pensée d'être fusillé épouvanta toutes les
personnes, et l'on s'empressa de porter avec les
moindres armes les plus belles panoplies, qui, pour
la plupart, constituaient de précieux souvenirs de
famille.
L'officier qui recevait ces aimes, gonflé de tout
l'orgueil insolent de sa race, ne manqua, pas de se
moquer et de tourner en dérision toutes les armes
qu'on lui présentait. A une dame qui lui remettait
un petit revolver, presque antique, dont on n'osait
plus se servir tellement il était rouillé, il dit,
dans un français mélangé d'un fort accent tudesque :
-- Ah! ! madame, si la brave armée française n'a que
des armes comme celle-là pour combattre contre
l'Allemagne, je la plains. »
Et, de plus en plus gonflé d'orgueil, il tira de sa
poche un revolver enfermé dans un étui qu'il posa
sur la table, à côté de celui qu'on venait da lui
remettre, et disant :
- Voyez, madame, voilà comme nous autres, Allemands,
sommes armés. Vous pouvez croire que la France est
perdue.
Après Les armes, ce fut la confiscation des
bicyclettes. Toutes les personnes qui en possédaient
étaient invitées à les remettre au commandant
d'armes. Une perquisition devait également être
faite à domicile.
RÉQUISITIONS ET VOLS
Sans perdre de temps et avec une hâte fébrile,
craignant que la chose leur échappât, ils donnèrent
une poussée acharnée à leurs réquisitions qui
devaient toutes être conduites à leur centre
d'approvisionnement, à Aumetz (Alsace-Lorraine).
Ce furent d'abord le bétail, les porcs, l'avoine et
le foin.
Mais leur convoitise se portait surtout sur
l'avoine. Les quantités exigées dépassaient de
beaucoup la production du ban d'Audun-le-Roman.
Aussi, M. Mathieu, maire de la commune, et M. Véron,
instituteur, faisant fonctions de secrétaire de la
mairie, connaissant les ressources de la localité,
dans un élan bien naturel de sages administrateurs,
essayèrent-ils, avec précaution, de faire remarquer
au commandant d'armes qu'il était absolument
impossible de satisfaire aux demandes faites. Leurs
paroles ne furent pas écoutées. On les rendit, au
contraire, responsables des réquisitions auxquelles
il ne serait pas satisfait. Ils furent, à
différentes reprises, gardés prisonniers à vue. Ils
n'ont eu leur liberté que quand les barbares se sont
enfin rendu compte par eux-mêmes de leur exigence
démesurée, après des perquisitions faites chez les
habitants.
Puis ce fut le tour des viandes fumées (jambons,
saucissons et lard).
Tous les habitants étaient requis d'apporter
immédiatement sur la place de l'église les
provisions qu'ils possédaient, et toujours sur
menace d'une perquisition à domicile.
Sans murmurer, avec Je plus grand empressement, tous
les hommes, toutes les femmes, voire des enfants,
apportaient, les uns dans des paniers, les autres
dans des paquets tout ce dont ils pouvaient
disposer. Mais quelle fut la désillusion du
commandant d'armes lorsqu'il vit un monceau de
petits morceaux de jambons, de saucissons et de
lard.
Ce n'était pas cela qu'il demandait. Il désirait des
jambons entiers, des saucissons entiers, des bandes
de lard entières par caisses pleines, que l'on
devait certainement trouver à Audun-le-Roman,
premier village de la Lorraine française.
Rouge de colère, il renvoya tous les porteurs de ces
provisions et n'accepta que l'offre d'une seule
personne qui put présenter un jambon entier. Dans sa
délicatesse puisque le mot « delikatessen » est
spécialement employé par les Prussiens pour leurs
plus fins produits culinaires, ce commandant fit
couper ce jambon en deux, s'arrogea la part du lion
et remit celle qu'il dédaignait à Mme Z...
Cette réquisition fut suivie de la plus rigoureuse
perquisition. On choisit pour cela les pires apaches
qui, armés de leurs fusils, sabres-baïonnettes au
clair, entrèrent dans les maisons, fouillèrent
toutes les armoires et toutes les chambres depuis la
cave jusqu'au grenier.
LES VOLS
En se présentant dans la maison qui était habitée
par Mme V... seule et sa jeune fille, ces apaches
montrèrent qu'ils n'avaient pas oublié leur premier
métier. Pendant que cette dame les faisait pénétrer
dans les chambres à visiter, l'un de ces soldats
s'empressait de voler un collier en or et une jolie
bague. en or que la jeune fille, en s'enfuyant,
avait laissés par mégarde, sur le fourneau de sa
chambre.
Comme la bague en or était un souvenir ce famille,
Mme V... alla tout de suite faire une réclamation au
commandant d'armes, qui avait ordonné cette
perquisition. La réclamation de cette dame resta
sans résultat. Il lui fut répondu, qu'il serait bien
difficile de retrouver le soldat voleur, alors que
la chose à ce moment était très possible, puisque ce
soldat était encore en travail de perquisition.
Dans une autre maison presque contiguë à celle de
Mme V... ces mêmes apaches, auxquels on avait donné
à visiter une chambre dont le locataire était absent
- elle appartenait à M. Bemier, employé aux chemins
de fer, qui avait, du quitter la localité le jour de
l'évacuation de la gare - ils s'emparèrent d'une
montre en or avec sa chaîne qui était accrochée sur
la cheminée.
Chez moi-même, des soldats que j'avais à loger ont
nuitamment pénétré dans ma cave au moyen de fausses
clefs et ont emprunté vingt-cinq bouteilles de vin.
Pour arriver au casier contenant ces bouteilles il a
fallu ouvrir deux portes et forcer un cadenas, et
ainsi de suite.
Enfin d'autres réquisitions s'annonçaient toujours.
Ce fut la farine. Au risque de faire mourir de faim
les habitants, on obligea le seul boulanger qui
restait à réserver la presse totalité de sa farine
aux soldats qui passaient chaque jour. Bien entendu
les habitants furent rationnés. Le pain se délivrait
à la mairie. Il était accordé à peine trois quarts
de livre par personne chaque jour.
Puis ce furent les légumes secs et, en dernier lieu,
les magasins d'épicerie qui étaient requis
d'apporter tous leurs produits sans exception.
Cet empressement par l'autorité militaire après
quelques jours à peine d'occupation à enlever tous
moyens d'existence aux habitants d'Audun-le-Roman
indiquait bien que cette localité était menacée, et
que son agonie commençait. Malheureusement il n'y
avait plus à en douter.
Le MENSONGE SE PRÉPARE
Déjà une accusation des plus fausses venait d'être
portée par des soldats qui prétendaient qu'on avait
tiré sur eux. La crainte de représailles s'empara de
chacun de nous. Notre seule défense était que, ne
possédant plus aucune arme puisque nous les avions
toutes remises, nous ne pouvions pas tirer. Malgré
cette justification il fallut que le maire, M
Mathieu, se portât garant de la population. C'était,
hélas ! partie remise à quelques jours.
Sans motif aucun., ils saisirent un honorable
fonctionnaire, père de quatre enfants, M. Spitz,
adjudant retraité, receveur buraliste, qu'ils
emmenèrent en captivité en Allemagne. M. Spitz,
sachant parfaitement parler et écrire l'allemand,
avait servi d'heureux intermédiaire pour sauvegarder
les intérêts de la commune, et, pour cette raison
sans doute, il était devenu suspect aux autorités
allemandes.
L'animosité exprimée sans cesse par les soldats
devenait de plus en plus dangereuse. Ils croyaient
être victorieux parce qu'on leur disait, à peine
entrés en France, que Verdun et Paris allaient être
pris. Excités par la boisson, la plupart étaient
dans un état d'ébriété continuel. Soit qu'ils se
querellassent entre eux, soit par hallucination
alcoolique, ils faisaient à tous moments partir
leurs armes en prétendant toujours qu'on avait tiré
sur eux.
Ce qui était incompréhensible, c'est que pas un
officier, pas un seul chef n'était là pour contrôler
leurs méchantes accusations.
Tel était l'état d'esprit qui se manifestait chez
ces barbares contre une population toute paisible,
qui, sans murmurer, s'était soumise à toutes les
revendications qui pouvaient lui être faites, ainsi
qu'à toutes les servitudes qui lui étaient imposées.
MEURTRES, INCENDIES
Depuis le 4 août, de, nombreuses troupes passaient
journellement à Audun-le-Roman. Comme leur objectif
était Verdun, les Allemands cherchèrent à se diriger
de ce côté. Mais ils furent déçus sur la facilité de
pénétration qu'ils croyaient trouver.
A quelques kilomètres d'Audun-le-Roman, ils se
heurtèrent à une avant-garde française de chasseurs
à pied, auxquels ils eurent à parier. Ceux-ci, bien
cachés dans les bois, les fossés, les moindres
replis de terrain, surent les tenir à distance.
Durant plus de huit jours, ces soldats prussiens qui
affichent tant d'arrogance et de hardiesse, se
croyant déjà victorieux en mettant le pied en
France, eurent à faire un retour sur Audun-le-Roman,
et même jusqu'à la frontière, pour y prendre leurs
cantonnements. Si ce n'avait été la vue des chevaux
blessés et sans cavaliers, on aurait cru voir une
promenade militaire faite chaque jour.
Ils revenaient honteux de leurs chevauchées. Le 21
août, vers une heure de l'après-midi, toute la
division, prise de panique, fit retour sur
Audun-le-Roman dans une débandade indescriptible.
Pour laisser le passage libre sur les routes,
l'infanterie s'enfuyait à travers champs. Le défilé
de la cavalerie, de l'artillerie et du train dura
jusqu'à 6 heures du soir. A ce moment vint un
bataillon de chasseurs à pied prussiens qui devait
former l'arrière-garde. Il s'arrêta dans la rue
principale du village et occupa l'espace compris
entre la fontaine située sur la place de l'Eglise et
la maison des religieuses. A un commandement donné
par sifflet, les hommes mirent leurs sacs à terre et
leurs fusils en faisceaux. Presque tous se jetèrent
à terre pour se reposer, tellement leur fatigue
était grande. On voyait qu'ils n'en pouvaient plus,
ils étaient en sueur et exténués par la marche
qu'ils venaient d'accomplir.
Le commandant, ainsi que les officiers de ce
bataillon tirent aussitôt ouvrir toutes les granges
qui étaient à leur portée. Les habitants du parcours
occupé furent invités à apporter de l'eau fraîche
aux soldats.
Chacun s'empressa de porter l'eau demandée. Bien des
personnes n'étaient pas rentrées dans leurs maisons
quand une fusillade se fit entendre. Les soldats
venaient de recevoir l'ordre de tirer. Cet ordre
leur fut donné par plusieurs coups de sifflet
distinctement entendus. J'aperçus à ce moment que le
commandant courut se placer dans la grange située en
face de mon habitation, et je fis la réflexion que
ce chef se montrait peu courageux..
Comme l'emplacement occupé formait une ligne courbe
très prononcée, la tête du bataillon ne pouvait
apercevoir la queue. Les soldats étaient protégés
par les maisons situées de chaque côté de la rue.
Leur tir ne pouvait donc être effectué contre les
soldats français qui, s'ils les ont poursuivis plus
loin, n'avaient pas encore paru dans la localité ni
même aux abords. Tout le monde croyait donc que ce
tir était effectué sur un aéroplane français. Pas du
tout. Les premiers coups de fusil dirigés en l'air
n'étaient qu'une feinte, car instantanément ils
tirèrent sur les habitations, et pas une ne fut
épargnée. C'est ainsi que deux personnes furent
blessées dans leurs domiciles, MMlles Roux et
Treffei.
Le malheur voulut que dans la fusillade désordonnée
qu'ils avaient d'abord faite et que l'on croyait
destinée à un aéroplane, un des leurs fut blessé
grièvement à la nuque. Ce soldat tomba à environ 30
mètres de ma demeure. Pareil accident était
inévitable par suite du désordre et de la confusion
dans lesquels ce tir était accompli. Une personne
sachant très bien parler l'allemand a fort bien
entendu un officiel; crier à ses soldats
l'apostrophe suivante :
- Vous êtes des cochons ! Faites donc attention !
Vous tirez l'un sur l'autre ! »
Bien que les maisons en face, desquelles ce soldat
fut blessé ne fussent habitées que par des femmes et
qu'il fût très facile de justifier qu'aucune
personne n'avait tiré, une fureur violente se
déchaîna contre tous les habitants. Il fut ordonné
aux soldats de tuer impitoyablement tous les hommes
qu'ils rencontreraient et d'incendier le village. Il
était à ce moment 7 heures et demie du soir.
La première victime fut M. Somen, rentier, ancien
maire, âgé de 50 ans.
Un officier supérieur qu'il avait logé et hébergé
pendant plusieurs jours venait d'entrer chez lui
pour le remercier de sa bonne hospitalité. M. Somen,
en reconduisant celui-ci jusqu'à la porte du
jardinet précédant sa maison voulut profiter de
cette sortie pour aller fermer la porte de sa
grange. Il était à peine arrivé sur le seuil de
cette porte, et l'officier supérieur qu'il venait
d'accompagner se trouvait encore à quelques pas de
la maison, que plusieurs coups de fusil furent tirés
sur M. Somen qui s'affaissa et appela à son secours.
A ses appels tous ses voisins accoururent. C'étaient
M. Bernard Edouard, âgé de 65 ans, rentier,
conseiller municipal ; M. Michel Emile, âgé de 55
ans, marchand de vins en gros, adjoint au maire ; M.
Henry Victor, âgé de 67 ans, gendarme, en retraite ;
M. Perlot Justin, âgé de 50 ans, cultivateur.
Ils transportèrent M. Somen dans sa maison. Cette
opération était à peine accomplie que les soldats
firent irruption. Tandis que les uns chassaient Mme
Somen de sa demeure et traînaient son pauvre époux
mortellement blessé hors du village et
l'abandonnaient dans le fossé d'une route, les
autres s'emparaient des quatre paisibles bourgeois
qui étaient venus secourir M. Somen. Ce fut une
scène des plus tragiques.
Mme Somen suppliait qu'on la laissât chez elle,
soigner son pauvre blessé, dont les plaintes
faisaient peine à entendre. Les quatre braves gens
imploraient leur liberté en faisant remarquer qu'ils
n'avaient rien fait, qui puisse justifier leur
arrestation. Les barbares furent inexorables.
Ils emmenèrent M. Michel et M. Bernard à Boulange
(Alsace-Lorraine), où ils furent enfermés dans le
corps de garde de police, et où ils passèrent la
nuit. Le lendemain matin on les emmena dans un
village voisin, à Ludelange, pour y être fusillés.
Leur exécution eut lieu vers 7 heures du matin.
De la déclaration faite par des témoins qui ont
assisté à cette exécution, M. Bernard a
particulièrement souffert de leurs cruautés. Comme
il ne marchait que difficilement, ayant eu une jambe
cassée, le trajet de Boulange à Ludelange ne
s'effectuait pas assez vite au gré des bourreaux.
Ceux-ci lançaient à M. Bernard des coups de
baïonnette dans Les jambes. Les prisonniers
parvinrent au lieu du supplice dans un état
lamentable.
Les deux autres bourgeois, MM. Henry et Perlot,
furent emmenés à Beuvillers, où ils furent détenus
dans une salle d'auberge dans laquelle des soldats
avaient installé leur corps de garde. Ils furent
plus heureux que leurs compagnons d'infortune, ils
tombèrent dans des mains moins barbares.
L'officier qui les interrogea leur rendit la
liberté.
Cette funeste soirée du 21 août s'acheva par
d'autres crimes. Un honorable vieillard, M.
Théophile Martin, rentier, ancien adjoint, fut
violemment expulsé de sa maison. avec sa femme, ses
deux filles et sa belle-soeur. Il était à peine
dehors qu'il reçut à bout portant plusieurs coups de
fusil dans le dos et tomba expirant à côté de sa
femme et de ses enfants. Un peu plus loin, un
employé de la voirie, M. Chary, chef cantonnier,
subit le même sort. Il fut tué également à bout
portant à côté de sa femme.
Oserai-je dire que dans leur avidité de sang ces
cruels soldats avec une impudeur sans nom,
soumettaient toutes les femmes qui s'enfuyaient à
une visite extérieure du chignon et de la poitrine
pour s'assurer si des hommes ne se trouvaient pas
déguisés sous le costume féminin ?
A côté de ces crimes s'accomplissait une autre
destruction. Ces misérables venaient déjà
d'incendier la moitié du village et tous les pauvres
sinistrés s'enfuyaient à travers la plaine pour
chercher un refuge.
La nuit du 21-22 août n'avait pas été assez longue
pour achever entièrement l'oeuvre de destruction. Un
court répit fut accordé au pauvre bourg
d'Audun-le-Roman, car les barbares durent s'enfuir
dès l'aube du 22. Vraisemblablement ils attendaient
l'arrivée des soldats français, et leur fuite fut si
précipitée que beaucoup avaient abandonné leurs sacs
dans les rues.
LE COMBAT
Ce fut à ce moment un exode presque générai des
habitants, les uns pour échapper à la fureur des
Prussiens par crainte de leur retour, et les autres
pour se protéger du combat qui allait se livrer et
qui effectivement ne se fit pas attendre. Il eut
lieu à cette journée du samedi 22 août.
L'artillerie allemande qui était échelonnée dans des
retranchements vivement exécutés devant Beuvillers,
Boulange, Aumetz, Bassompierre, Ludelange et même
jusque Hayange, prononça l'attaque vers huit heures
du matin, en dirigeant d'abord son tir sur
Malavillers où une brigade française venait de
paraître. L'avant-garde de cette dernière ayant pris
position à Audun-le-Roman, cela occasionna le
bombardement de cette localité. Plusieurs maisons
furent endommagées ainsi que l'église, dont le
clocher, atteint par les obus de gros ca libre,
s'écroula.
Malheureusement nos soldats n'étant pas assez
nombreux, durent par prudence se replier vers une
heure de l'après-midi. Les quelques instants
d'espoir que la population, qui n'avait pu fuir,
avait fondés sur une délivrance définitive des
barbares s'évanouirent, et c'est dans la plus grande
anxiété qu'elle vit s'effectuer leur retour.
REDOUBLEMENT DE RAGE
Cette crainte n'était malheureusement que trop
justifiée.
Quand ces brigands reprirent possession
d'Audun-le-Roman, c'est avec un redoublement de rage
et de fureur qu'ils continuèrent leurs atrocités.
Ils firent dix nouvelles victimes, dont neuf hommes,
presque tous sexagénaires, et une femme, puis
achevèrent d'incendier le village.
Au nombre de ces victimes se trouvait un jeune homme
de 17 ans, Georges Thiéry, qui fut fusillé avec une
férocité sans nom en présence de sa mère et de sa
grand-mère qui, à genoux, imploraient sa grâce. Ces
pauvres femmes, en voulant préserver leur enfant,
faillirent elles-mêmes être tuées.
Les autres sont : MM. Lague-Rémer père,
Jolas-Collignon Emile, Guiot-Jolas Gustave et son
locataire de nationalité italienne, Rodieg Marcel,
Schmitt-Zapoli et sa femme. Les hommes qui n'avaient
pas été fusillés sur-le-champ avaient été emmenés.
Le 21 août, M. Boncourt, âgé de 70 ans, fut dirigé
sur Bassompierre (Alsace-Lorraine). C'est à
l'intervention d'un fermier, dans la grange duquel
il avait passé la nuit, qu'il échappa à la mort.
Le 22 août, ils s'emparèrent de M. Chérer, âgé de 63
ans, conseiller municipal, et de M. Jacquier, ancien
maire, vieillard de 80 ans, pouvant à peine marcher,
malgré l'aide de deux bâtons. Tous devaient être
dirigés sur Aumetz (Alsace-Lorraine), où était le
quartier général. Mais en présence de
l'impossibilité pour M. Jacquier de continuer le
voyage, on les remit en liberté à Beuvillers.
LE CALVAIRE
Enfin, le 23 août, vers midi, un dernier groupe de
quatre hommes furent capturés dans leurs maisons qui
n'avaient pas encore été incendiées.
J'étais de ce nombre.
Les trois autres personnes, dont je ne puis, en ce
moment, faire connaître les noms, parce qu'elles
habitent encore en pays annexé occupé par nos
ennemis, faites prisonnières quelques instants avant
moi, se trouvaient déjà à l'emplacement déterminé,
sans avoir eu à supporter de violence. Elles étaient
tombées, si je puis le dire, en de meilleures mains.
L'apache qui vint me saisir m'empoigna si violemment
que le pardessus que je tenais tomba de mon bras. Je
voulus l'amasser ce vêtement, il m'en empêcha et me
bouscula tellement que je faillis être renversé, en
me disant : « Dû hast keinen mehr moeltig. »
(Tu n'en as plus besoin.)
Sachant parler l'allemand, je compris tout de suite
le sort qui m'attendait.
Pour me rendre à l'endroit où je devais être détenu,
j'avais tout au plus une trentaine de pas à faire.
Il en décida autrement. Il choisit le trajet le plus
long, sans doute pour mieux assouvir sa haine, car,
tout en marchant, il me roua de coups en me lançant
la crosse de son fusil dans le dos et les jambes. Il
me fit contourner l'église. Sur le parvis de cet
édifice, plus de deux cents soldats qui étaient
postés sur cette place, criaient, hurlaient, en
demandant ma mise à mort.
- Perce-le; disaient-ils, en ajoutant :
« Die Alten sind die schlechten. »
(Les vieux sont les plus mauvais.)
Ainsi excité, mon bourreau s'arrêta à quelques pas
des premières marches d'entrée de l'église, puis
après un coup de crosse de fusil, il redressa son
arme vers moi, et, par l'inclinaison qu'il lui
donnait, ainsi que l'attitude qu'il prenait, je
voyais que j'allais être transpercé. Je fus saisi de
la plus terrible angoisse, car je croyais
véritablement que mon dernier moment était arrivé,
et je fis alors le sacrifice de ma vie, pensant à ma
famille que je ne reverrais plus.
Est-ce la honte du crime qu'il allait accomplir sur
un vieillard désarmé qui le retint, je me le demande
encore.
Voulant mourir courageusement, je me ressaisis et
lui demandais en allemand ce que je lui avais fait
pour me maltraiter ainsi, il me répondit :
« Dù wirst das sehen. »
(Tu vas le voir.)
Il m'entraîna, et je rejoignis tout ému et blême
d'émotion mes trois compagnons d'infortune qui
ignoraient le sort qui nous était réservé. Je les en
prévins, et ce fut pour eux une profonde
consternation.
J'étais à peine arrivé qu'un officier survint. Mon
bourreau lui dit. en me désignant :
- En voici encore un
- C'est bien, tenez le bon, répondit-il.
Ce barbare ne manqua, pas à sa consigne. Il commença
d'abord par me fouiller, croyant que j'étais porteur
d'une arme. Il me prit un petit couteau de poche et
un canif greffoir que je possédais, puis il me
demanda, si j'avais de l'argent. Comme j'en
possédais un peu, je lui répondis « oui ». Il était
aux anges.
Nous fûmes tous les quatre tenus en garde et
conduits jusqu'à six heures du soir devant chaque
maison qu'on incendiait. Ces six longues heures ont
été pour nous six heures d'agonie. Nous devions être
fusillés et notre souffrance: était d'autant plus
cruelle qu'à la soif de la mort que nous éprouvions
s'ajoutait la soif que nous occasionnait les flammes
des incendies. A certains moments nos bourreaux nous
tenaient si près des maisons incendiées que nous
leur demandions instamment de nous fusiller, afin de
faire cesser notre martyre.
L'humiliation la plus profonde que nous ayons
éprouvée, c'est d'avoir été voués à la haine de la
soldatesque allemande. Pendant que nous étions
tenus, il défila à côté de nous plus de dix mille
hommes se rendant dans la direction de Malavillers,
Mercy-le-Haut. Presque tous, les uns avec leurs
armes, les autres avec leurs bras, nous mirent en
joue pour nous annoncer le sort qui nous attendait.
Nous ne savions plus quelle contenance prendre et
nous baissions les yeux vers la terre en disant
entre nous : « Est-ce possible de voir pareille
chose !»
L'officier chargé de diriger les opérations
incendiaires vint vers six heures et demie du soir.
C'est devant la maison de Mme Masson, près de la
gare érigée en ambulance, qu'il fit former le cercle
par ses soldats et qu'il nous interrogea.
C'est à moi qu'il s'adressa le premier. Je lui
répondis en allemand textuellement ce qui suit :
« Je jure sur mon existence que je n'ai pas tiré sur
les soldats, n'ayant aucun motif pour cela.
« Je suis un ancien chef de gare retraité. J'ai
exercé ces fonctions pendant vingt ans à la gare
d'Audun-le-Roman, qui est gare frontière avec
l'Alsace-Lorraine. En cette qualité, j'ai eu sous
mes ordres les agents allemands qui y venaient pour
leur service. Je ne sache pas qu'ils aient eu à se
plaindre de moi. Il vous est du reste très facile de
vous renseigner sur les relations de service que
j'ai eues avec l'administration allemande. Le chef
de gare de Thionville, qui est encore en service, me
connaît, vous pouvez le consulter. Je jure encore
une fois de plus que je n'ai pas tiré sur vos
soldats. »
Il interrogea ensuite mes trois concitoyens, dont
j'ai dû être l'interprète. Tous jurèrent comme moi
qu'ils n'avaient pas tiré.
La mauvaise foi des soldats était telle. que l'un
d'eux accusa formellement M. X... d'avoir tiré de
l'une des maisons faisant face à la gare, en
ajoutant qu'il le reconnaissait bien. Il fallut que
je défende ce pauvre homme de toutes mes forces
d'une accusation si mensongère, en assurant bien à
cet officier qu'il n'habitait pas la maison
indiquée.
Cet interrogatoire achevé, ce fut encore pour nous
un moment d'angoisse. Nous croyions bien l'heure
fatale arrivée. Nos bourreaux nous avaient dit
qu'ils avaient fusillé deux hommes le matin sur
l'ordre de cet officier, et ils nous indiquèrent
même la place de l'exécution. Heureusement pour
nous, il ordonna de nous emmener au quartier général
à Aumetz (A.-L.). Ce fut notre salut.
Attachés deux à deux par une corde nous nous mîmes
en marche pour Aumetz, et j'entendis déjà dire par
un de mes compagnons qui avait beaucoup de
difficultés à marcher qu'il ne lui serait pas
possible d'accomplir ce voyage trop long pour lui,
disait-il. Nous avions effectué un trajet de 500
mètres environ, lorsqu'une circonstance, je puis
dire miraculeuse, se produisit et nous rendit notre
liberté. Je ne puis en ce moment encore la révéler.
LE PILLAGE
La destruction d'Audun-le-Roman, commencée le 21
août au soir, était terminée le 24. Plus de 200
maisons ont été la proie des flammes. Les barbares
n'ont laissé qu'une dizaine d'habitations qu'ils ont
saccagées et pillées, ainsi que l'hôtel situé en
face de la gare appartenant à M. Mathieu fils,
qu'ils ont réservé pour y établir le siège de leur
kommandatur.
Pour incendier ils se servaient de cartouches
incendiaires. En moins de dix minutes, une maison
était en flammes.
Il a fallu Les voir à l'oeuvre comme je les ai vus
faire pour connaître toute leur sauvagerie. Ce qu'il
y a d'incroyable, c'est que les officiers sont
chargés de remplir les tristes rôles d'incendiaires
et de pillards, desquels du reste ils s'acquittent
avec une habileté extraordinaire.
Avant de faire incendier, ces officiers inspectent
le contenu de l'immeuble et s'ils y trouvent des
objets de quelque valeur ou pouvant leur être
utiles, ils les font charger sur des automobiles
dont ils disposent. J'ai vu en moins d'une heure
vider entièrement, à l'exception de quelques
meubles, le logement de M. Gendarme, juge de paix.
Le vin non emporté était distribué aux soldats.
En même temps que le pillage, le vol était leur
grand mobile. Le 21 août, Mme ... ayant dû s'enfuir
de sa maison qu'on incendiait, a été victime d'un
vol de 2.000 francs environ. Cette somme, qui
représentait le produit de ses économies, se
trouvait enfermée dans un petit sac en cuir qui lui
a été arraché de la main.
PILLARDS CIVILS
Mais l'horreur de la dévastation n'était pas
suffisante à ces barbares.
Espérant trouver des trésors cachés dans ce village
d'Audun-le-Roman qu'ils disaient si riche, ils
continuèrent leur oeuvre de pillage.
Ils se mirent à fouiller les décombres, à piocher
toutes les caves, à relever dans celles-ci toutes
les dalles qui leur paraissaient suspectes, et à
éventrer tous les coffres-forts qu'ils retrouvaient
ensevelis dans les ruines. Pour effectuer ce travail
librement, ils interdirent l'entrée d'Audun-le-Roman
à toutes les personnes de cette localité qui étaient
réfugiées dans les villages voisins, mais ils
autorisèrent les leurs à y venir ramasser et à
emporter Les quelques rares objets qui avaient
échappé aux flammes, ainsi que ceux restés dans les
maisons non incendiées.
C'est par bandes que ces pillards venaient
d'Alsace-Lorraine. Ils se rendaient maîtres de tout,
il s'appropriaient jusqu'aux récoltes des jardins.
Les fruits, les fleurs, tout était dévalisé.
Enfin, ne pouvant sans doute se consoler que leur
bombardement du 22 août n'ait pas détruit
entièrement l'église, dont l'intérieur avait été
préservé, ils s'attaquèrent à cet édifice, brisèrent
toutes les statues, souillant les linges et les
ornements sacrés qu'ils répandaient de tous côtés,
décrochant d'une hauteur de plus de trois mètres
deux grands tableaux qui décoraient le choeur.
Par une fureur de vandalisme sans doute, ils
placèrent l'un de ces tableaux comme paravent de la
porte d'entrée extérieure de la sacristie. Les
vandales avaient eu soin de laisser cette porte au
large ouverte pour bien montrer l'usage auquel il
était affecté.
Le coffre-fort, placé et scellé dans ce local, ne
fut pas plus épargné que les autres. Il fut éventré.
C'est ainsi, après avoir souffert les plus horribles
atrocités qu'on puisse infliger à l'humanité, que la
charmante localité d'Audun-le-Roman a été anéantie
par le feu, le meurtre. le vol, le pillage.
YSNARD, Chef de gare en retraite à Audun-le-Roman.
LES ALLEMANDS
ET LE BASSIN DE BRIEY
M.
Fernand Engerand, député, écrit dans le «
Correspondant » :
« L'annexion de la Lorraine fut l'instrument certain
de ce développement métallurgique qui entraîna
l'essor industriel et commercial du peuple allemand.
Un chiffre est plus éloquent que toutes les
affirmations. En 1912, sur 27.199.000 tonnes de
minerai de fer extraites du sol allemand, 20.083.000
le furent des mines de la Lorraine annexée ; la
perte de la Lorraine sera le coup le plus terrible
porté à la métallurgie allemande.
Assurément, jamais l'orgueil germanique ne put
envisager une telle éventualité. L'Allemagne enfla
tellement son industrie, elle se donna une telle «
faim de fer » qu'elle dépassa vite, et de beaucoup,
les si fortes réserves que son rapt de 1871 lui
avait procurées. En 1911, elle était tributaire de
l'étranger pour 10.812.595 tonnes de minerai de fer
- presque exactement le chiffre de l'extraction
actuelle du bassin français de Briey.
Et qui oserait affirmer que, si les clochers de
Strasbourg et de Metz sont les points de direction
des troupes françaises, la prise du bassin de Briey
n'est pas le grand objectif des conducteurs de ces
bandes barbares, que l'Allemagne décore du nom
d'armée ? »
LES AVIONS
ENNEMIS EN FUITE
Vendredi, 26 mars, les aviateurs ennemis croyaient
pouvoir mettre à profit la claire journée de
printemps dont nous avons été gratifiés pour
explorer notre région ou pour y commettre quelques
méfaits en y jetant des bombes.
Mais nos artilleurs veillaient à leurs postes. A 7
heures et demie, ils mettaient en fuite un premier
avion ennemi ; à onze heures et demie, un autre «
Taube » fut également salué de plusieurs coups de
canon qui lui firent rebrousser chemin.
L'un de ces mauvais oiseaux, en survolant Saint-Max,
lança deux bombes qui allèrent tomber dans les
vignes situées à flanc de coteau. Elles ne causèrent
aucun dégât.
On assure que l'un de ces avions fut atteint par un
obus français. En tout cas, on le vit faire de
nombreux looping-the-loop si précipités qu'il sembla
piquer à la fin du nez sur le territoire de
Saulxures.
ILS BOMBARDENT
ARRAS
et leurs avions
tuent les enfants en Alsace
TAUBE ABATTU VERS MANONVILLER
Paris,
27 mars, 15 heures.
L'ennemi a bombardé cette nuit Arras avec des obus
de tous calibres. Un commencement d'incendie a été
rapidement éteint.
La guerre de mines a continué à La Boisselle dans de
bonnes conditions pour nous.
En Argonne, dans la région de Bagatelle, jet de
bombes d'une ligne à l'autre.
Pas d'attaque d'infanterie: En Alsace, après une
action énergique de plusieurs jours, nous avons
atteint le sommet de l'Hartmansvilerkopf, que nous
avons enlevé à l'ennemi. Nous avons en même temps
progressé sur les flancs nord-est et sud-est du
massif en faisant encore des prisonniers, dont
plusieurs officiers.
Les Allemands ont abandonné un matériel important et
laissé de nombreux morts sur le terrain. Nos pertes
sont peu élevées.
Un avion allemand a lancé plusieurs bombes sur
Viller (nord-ouest de Thann).
Trois petits enfants ont été tués.
Paris, 28 mars, 0 h. 58
Voici le communiqué officiel du 27 mars, 23 heures :
Journée calme sur l'ensemble du front.
Aucune activité de l'ennemi.
Un avion allemand, qui avait jeté une bombe dans la
région de Manonviller, a été abattu par nous. Le
pilote et l'observateur sont prisonniers.
DEUX BONDS
HEUREUX
Aux Eparges et à
Marchéville
Paris,
28 mars, 15 heures.
Les aviateurs belges ont bombardé le camp d'aviation
de Ghistelles.
A l'est des Hauts-de-Meuse, près de Marcheville,
nous avons enlevé trois cents mètres de tranchées
ennemies et repoussé deux contre-attaques.
Aux Eparges, nous avons poursuivi nos progrès des
jours précédents et conquis cent cinquante mètres de
tranchées.
Paris, 29 mars, 0 h. 45.
Le communiqué officiel du 28 mars, 23 heures, dit :
Rien d'important à signaler sur l'ensemble du front.
Il A l'est des Hauts-de-Meuse, près de Marcheville,
nous avons perdu une tranchée allemande que nous
avions conquise samedi.
A Hartmansvilerkopf nous avons consolidé nos
positions. Le nombre total des prisonniers faits par
nous au cours de l'attaque qui nous a rendus maîtres
du sommet, est de 6 officiers, 34 sous-officiers,
353 hommes non blessés et, en plus, de nombreux
blessés.
BRIEY SOUS LA
BOTTE
Pour économiser
de la nourriture, les Allemands viennent de
congédier 500 Briotins. Le récit de l'occupation par
un des réfugiés.
Plusieurs personnes de Briey sont arrivées récemment
à Nancy, venant de cette ville, que les Allemands
avaient forcés à quitter, sans doute pour
s'économiser de la nourriture.
Une de ces personnes, que nous avons rencontrée,
nous a fait le récit de l'occupation allemande dans
cette sous-préfecture.
Les ennemis arrivèrent dès le 2 août à, Briey. Ils
ne commirent pas de dégâts dans la ville, mais les
soldats, l'arme à la main et la menace aux lèvres,
pénétrèrent dans les maisons pour réclamer des
vivres et surtout de la boisson ! en baragouinant
les quelques mots indispensables de français pour se
faire comprendre.
Devant de pareilles injonctions, les habitants
durent s'incliner, le coeur serré. On connaît la fin
tragique de M. Winsbach. Les Allemands ne commirent
pas d'autre crime de ce genre.
La commandature allemande s'empressa, dès le début,
de rendre de nombreuses mesures vexatoires. Pour les
faire connaître aux habitants, on sonnait la cloche
au son de laquelle tout le monde devait se
rassembler. C'est alors que les ordres étaient
proclamés à haute voix, puis affichés.
Pour le moindre motif, on sonnait cette cloche.
Aussi, dès qu'on l'entendait, les habitants se
demandaient-ils avec anxiété quelle nouvelle
vexation allait leur être imposée.
Quelquefois aussi, la cloche appelait les habitants
pour annoncer les soi-disant victoires de l'armée
allemande.
Dès le début de l'occupation, c'était chaque jour
l'avancée sur Paris, ou la prise imminente de
Verdun, comme' la prise de nombreux canons et dés
quantités innombrables de prisonniers français ou
russes.
Les Briotins, quoique isolés du reste de la France,
ne pouvaient croire à ces nouvelles, car ils
connaissaient la valeur de notre armée, en laquelle
reposait toute leur confiance. D'ailleurs, par
certains indices, ils savaient que Verdun résistait
toujours et que les ennemis ne pouvaient atteindre
le camp retranché si vaillamment défendu.
A la fin même, les habitants ne daignaient plus se
déranger aux appels de la sonnerie, car pour les
fêtes de Noël et de l'anniversaire de l'empereur on
avait annoncé des victoires tellement fantastiques
sur les Russes qu'elles étaient incroyables.
Tout ce bluff était fait pour donner confiance à
leurs soldats qui, eux, y croyaient aveuglément, car
ils répétaient ces nouvelles aux habitants en
ajoutant que la Russie vaincue allait demander la
paix et que la guerre serait bientôt terminée, car,
du côté français, Paris et Calais étaient déjà pris.
A ces propos, les habitants connaissant, la
situation de Verdun, répondaient d'un ton calme avec
leur douce ironie, lorraine :
« Eh bien ! Verdun est-il pris ? Non, n'est-ce pas ?
Alors la guerre n'est pas encore près d'être
terminée. »
Les soldats ne savaient alors quoi répondre, et ils
s'éloignaient en baissant la tête et en maugréant
dans leur langue quelques paroles incompréhensibles
pour les Briotins.
La vie s'écoulait ainsi dans des transes
continuelles, car les vexations augmentaient. Au
mois de janvier, la commandature fit prévenir que
des perquisitions allaient être faites chez les
habitants pour connaître les ressources en vivres.
Beaucoup de Briotins avaient fait des provisions,
qu'ils s'empressèrent de cacher aux regards des
ennemis, car ils pensaient bien que sous peu tout
serait saisi.
Les visites domiciliaires commencèrent mais ce que
les Allemands cherchaient de préférence c'étaient le
lard, le saindoux, toutes les graisses alimentaires,
ainsi que les pommes de terre, le blé et la farine.
Peu après, le pain blanc commençait à manquer, on
n'eut que le lourd pain noir que l'on digérait avec
difficulté. Le service des rations commença
également pour les pauvres gens.
Les Briotins comprenaient alors que la vie devenait
de plus en plus difficile pour les ennemis car les
quelques rares journaux allemands arrivant dans la
ville faisaient connaître que dans l'empire les
vivres se faisaient rares.
Dans le courant du mois de mars, un journal allemand
annonçait que des dispositions devaient être prises
pour déporter en masse les habitants des pays
envahis, qui devraient être ramenés en France,
« car, disait-il, quatre-vingt mille habitants en
moins à nourrir, c'était les vivres assurés pour
cent mille de nos soldats ».
En lisant cela, les Briotins comprirent que les
Allemands étaient décidés à les laisser partir pour
la France.
En effet, le lundi 22 mars, on annonçait que les
personnes qui voulaient quitter Briey pouvaient
aller se faire inscrire à la commandature. Cent
quatre-vingts personnes seulement y allèrent de
bonne volonté, car beaucoup de femmes et de jeunes
filles ne voulaient pas abandonner leurs vieux
parents qui ne pouvaient se faire à l'idée de
quitter la maison et le pays où ils avaient toujours
vécu.
Ce petit nombre de départs volontaires ne pouvait
satisfaire les Allemands qui firent, une fois
encore, tinter la cloche. Lorsque les habitants
furent rassemblés, ils déclarèrent que cinq cents
d'entre eux allaient être dirigés vers la France Ils
notifièrent aussitôt aux personnes qu'ils avaient
inscrites de se préparer pour le départ, qui aurait
lieu le lendemain.
On recommandait qu'il était inutile de se munir de
vivres, car le convoi était parfaitement organisé,
que des buffets étaient installés dans les gares, où
les voyageurs pourraient acheter ce qui leur serait
nécessaire.
Mais la prévoyance est une vertu de notre région. La
plupart des partants ne se fièrent pas aux belles
paroles des Allemands et emportèrent à manger pour
plusieurs jours.
Bien leur en prit, car, en fait de buffet dans les
rares stations que fit le convoi, les voyageurs ne
trouvèrent sur les quais que de simples baquets
remplis d'eau claire sans même le moindre gobelet
pour y puiser ! Il convient de dire toutefois que
dans une gare - une seule - une chaudière roulante
passa devant les wagons et l'on y puisait une espèce
de brouet clair à l'aide d'une écuelle que l'on
donnait à chaque voyageur. Bien entendu, aucune
cuiller n'accompagnait cette gamelle !
Aussi, chacun comprenant qu'il ne pouvait avaler
cette affreuse pitance, prit la résolution de la
jeter sur la voie par la portière opposée au quai.
Pendant tout le trajet, un commandant et trente
soldats accompagnèrent le convoi pour éviter sans
doute quelque évasion.
Enfin, le convoi arrivait à Schaffouse, c'était la
délivrance. Les Suisses s'empressèrent auprès de nos
compatriotes, leur n distribuant de nombreuses
victuailles et les réconfortant par de consolantes
Après un court arrêt à Genève, le train entrait en
France En apercevant le drapeau tricolore, beaucoup
ne purent retenir leurs larmes et tombèrent dans les
bras les uns des autres, heureux d'être enfin sur la
terre de la Patrie, loin des vexations teutonnes.
M. Magre, sous-préfet de Briey, a accueilli avec la
plus grande sollicitude ses compatriotes Il a
adressé à chacun des paroles de réconfort et, après
les avoir secourus, il les a fait diriger en grande
partie vers le Midi de la France.
CH. LENOBLE.
UN TAUBE SUR
NANCY
Dimanche
28 mais, au commencement de l'après-midi, vers deux
heures moins un quart, un avion allemand a survolé
Nancy à une hauteur assez faible pour permettre aux
rares personnes se trouvant dans les rues de
distinguer les croix noires peintes au-dessous des
ailes.
Pendant quelques minutes, le « Taube » fit divers
circuits, puis se dirigea vers le quartier de la,
rue Jeanne-d'Arc, où il laissa tomber deux bombes,
qui, disons-le de suite, n'ont fait aucune victime.
La première vint s'abattre rue du Montet, au n° 111,
dans un jardin voisin de la Biscuiterie Lorraine. Le
projectile fit simplement un trou peu profond dans
la terre meuble d'un carreau. En touchant le sol, il
explosa et dégagea une forte fumée, qui fit croire
un instant qu'il avait occasionné un commencement
d'incendie dans les bâtiments de la biscuiterie.
Cet obus devait être destiné à mettre le feu, car le
diamètre du trou qu'il a fait est exactement celui
d'une bombe, mais il n'a pas creusé le moindre
entonnoir.
La deuxième bombe est tombée rue Henner, sur la
maison portant, le n° 7, appartenant à M. Lorette,
demeurant avenue de la Garenne, où elle a causé des
dégâts matériels assez importants.
L'obus a atteint la partie supérieure de la toiture,
près du mur mitoyen du n° 9. Son explosion a brisé
net la poutre faîtière, projetant une partie des
tuiles sur la chaussée de la rue.
Le projectile est allé ensuite s'abattre sur le
plancher du grenier d'un locataire, M. Uriet,
cordonnier. Un fourneau en fonte qui s'y trouvait a
été réduit en morceaux.
Les cloisons en lattes séparant les greniers ont été
brisées. La porte donnant sur l'escalier a été
arrachée de ses gonds et projetée dans le couloir.
Les plâtres ont été atteints par les shrapnells et
sont tombés en morceaux sur le plancher.
Quelques projectiles traversèrent, le plancher et le
plafond de l'appartement du deuxième étage, occupé
par les époux Kieffer, dont le mari est mécanicien
au chemin de fer.
Les balles vinrent s'abattre principalement dans la
cuisine, faisant tomber le plâtre du plafond et des
murs.
Deux balles allèrent traverser la table, qui était
prête pour le déjeuner. Un saladier et deux
assiettes furent brisés.
Mme Kieffer, qui se trouvait assise à côté près de
la fenêtre avec un ouvrage de lingerie, ne fut pas
atteinte. Par suite de la violence du choc, son
ouvrage lui fut arraché des mains et projeté sur le
volet du buffet qui s'était brusquement ouvert.
Justement effrayée, Mme Kieffer courut réveiller son
mari qui reposait dans une chambre voisine. M.
Kieffer était déjà levé, car un projectile avait
également traversé le plafond et démoli un cadre
placé à la tête du lit, puis était venu tomber sur
celui-ci, où il fut retrouvé.
Bien entendu, toutes les vitres de la maison
volèrent en éclats, et un autre appartement, au
deuxième étage, a eu ses plafonds abîmés.
La déflagration de l'air fut tellement forte que
tous les carreaux de la rue Henner furent brisés
Pendant toute l'après-midi, de nombreux curieux sont
venus rue Henner contempler les dégâts. Plusieurs
amis sont allés rendre visite à M. et Mme Kieffer
pour les féliciter d'avoir si heureusement échappé
au danger.
LA LUTTE
CONTINUE VIOLENTE AUX ÉPARGES
Paris,
29 mars, 15 heures.
Dans la région d'Ypres, nous avons fait sauter à la
mine un poste d'écoute allemand.
Aux Eparges, l'ennemi a cherché à reprendre les
tranchées qu'il avait perdues le 27 mars. Après un
violent combat notre gain a été maintenu dans
l'ensemble. L'ennemi a pris pied dans quelques
éléments de ses anciennes tranchées et nous avons
d'autre part progressé sur d'autres points.
Paris, 30 mars, 0 h. 36.
Voici le communiqué officiel du 29 mais 23 heures :
L'ennemi a canonné Nieuport-Ville et Nieuport-Bains.
Les dégâts sont sans grande importance. Un pont a
été jeté sur l'Yser.
En Champagne, action d'artillerie aux abords de
Beauséjour.
En Argonne, canonnade et lancement de bombes,
principalement dans la région de Bagatelle, où
l'activité reste très vive des deux côtés.
Partout ailleurs, journée calme, sans action
d'infanterie.
LE TAUBE DE
MANONVILLER
Un
communiqué officiel nous a fait connaître qu'un
avion allemand qui survolait nos lignes avait été
abattu, samedi 27 mars, près de Manonviller, et que
les deux aviateurs qui le montaient avaient été
faits prisonniers.
L'oiseau boche, dont les ailes sont trouées comme
une écumoire, a été amené, lundi, à Nancy. Quant à
son pilote et à son compagnon, l'observateur, ce
sont deux tout jeunes gens, arrogants comme tout
Teuton qui se respecte, portant souliers vernis et
uniforme flambant neuf sous leur carapace
d'aviateurs.
RÉSUMÉ DES
ÉVÈNEMENTS DE MARS 1915
Lundi
1er mars. - Avance des Français autour de
Pont-à-Mousson et dans les Vosges.
Mardi 2 mars. - Une offensive ennemie, la nuit, au
Bois-le-Prêtre, échoue. - Premiers échanges de
grands blessés entre la France et l'Allemagne par la
voie suisse.
Jeudi 4 mars. - L'artillerie du tort de Vaux, près
de Verdun, abat un Taube.
Vendredi 5 mars. - A Badonviller et à Celles,
l'avance française atteint le réseau de fils de fer
barbelés des tranchées allemandes.
Samedi 6 mars. - Les canons français provoquent
parmi les Allemands une vive panique près de
Viéville-en-Haye. Nouveaux progrès du Vieil-Armand.
A Cernay, une vive attaque allemande est repoussée
près d'Uffholz. A Athènes, crise ministérielle :
démission du cabinet Venizelos.
Dimanche 7 mars. - Attaque allemande repoussée au
bois de Consenvoye. Conquête par les troupes
françaises des sommets du grand et du petit
Reichackerkopf. La flotte alliée pénètre dans le
détroit des Dardanelles.
Lundi 8 mars. - Avance française au Bois Brûlé et au
nord de Badonviller.
Mercredi 10 mars. - A Athènes, constitution du
cabinet Gounaris.
Dimanche 14 mars. - Les Français réoccupent
Emberménil.
Lundi 15 mars. - Au Bois-le-Prêtre, les Allemands
font sauter quatre tranchées françaises et y
prennent pied. Les Français leur en reprennent deux
et la moitié d'une autre.
Mardi 16 mars. - Les Anglais ont reconquis
Saint-Eloi.
Mercredi 17 mars. - Un aviateur français jette des
obus sur la caserne allemande de Colmar.
1 Jeudi 18 mars. - Dans le bois de Consenvoye deux
tranchées allemandes sont conquises par les
Français.
Vendredi 19 mars. - Entrée des Russes en territoire
prussien sur la route de Memel.
Samedi 20 mars. - Occupation de Memel, port allemand
sur la Baltique (Prusse). Deux Zeppelins sur Paris ;
bombes sur le 17e arrondissement et sur la banlieue
; neuf blessés et dégâts matériels.
Lundi 22 mars. - Au nord de Badonviller avance de
nos troupes. Nouvelle tentative de Zeppelins sur
Paris ; ils ne dépassent pas Creil, Beauvais et
Villers-Cotterets. Capitulation de Przemysl avec
120.000 hommes.
Mercredi 24 mars. - Evacuation de Memel par les
Russes.
Vendredi 26 mars. - Attaques allemandes repoussées
dans les bois de Consenvoye et des Caures, aux
Eparges et au bois le Prêtre. Des aviateurs français
bombardent des ouvrages militaires ennemis autour de
Strasbourg et de Metz, et notamment les hangars de
Frescaty. Le Sénat vote la création de la Croix de
guerre.
Samedi 27 mars. - Les Français s'emparent du sommet
du Hartmanvilerkopf. Un Taube abattu à Manonviller ;
un autre jette des bombes sur Willé, près de Thann.
Mardi 30 mars. - Le fort de Douaumont, près de
Verdun, reçoit quelques obus. Evacuation d'Heudicourt
par les Allemands. Au bois le Prêtre une centaine de
mètres de tranchées sont enlevées à l'ennemi. A
Regniéville, un poste d'écoute allemand est enlevé. |