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Août 1914 - Lettre inédite de Joseph Colin


Nous avons déjà largement évoqué les événements d'août 1914, notamment l'épisode où le professeur Joseph Colin, alors en vacances dans sa belle-famille, subit avec ses enfants la brutalité des allemands et l'invective «  Ma mère n'a jamais fait un cochon comme toi. ».

L'évènement est relaté pour la première fois dans l'Est-Républicain et le Journal de la Meurthe du 19 août 1914, puis sera repris dans divers titres de la presse nationale (L'Homme libre, 24 août 1914 - La Croix, 24 août 1914 - Le Petit Parisien, 24 août 1914 - Journal des débats politiques et littéraires, 24 août 1914 - Le Radical, 24 août 1914, etc).
L'information est d'ailleurs immédiatement reproduite dans la presse anglophone, comme on le voit par exemple sur le journal New-Yorkais «  Monroe County Mail » du 20 août 1914 (où le journaliste se refuse à utiliser le mot «  pig » en le remplaçant par «  dog » !).

Puis le témoignage de Joseph Colin pour le «  Rapport présenté à M. le président du conseil par la commission instituée en vue de constater les actes commis par l'ennemi en violation du droit des gens. » (déposition n° 185 faite devant la Commission d'enquête le 3 décembre 1914, à Paris) va rendre la phrase du soldat allemand encore plus célèbre (Le Panorama de la guerre de 1914, 28 janvier 1915 - Le Temps, 19 décembre 1915 - Bulletin de Meurthe-et-Moselle, 12 novembre 1916, etc...).
Tellement mondialement célèbre, que Joseph Colin ne juge pas même utile de la répéter, dans une lettre à un ami, puisqu'il y écrit : «  C'est en entendant les cris de mon monde que j'ai apostrophé le truand qui m'insultait et m'a craché la réponse que tu connais ».

Nous reproduisons ici l'intégralité de cette lettre du 25 décembre 1914, aimablement transmise par la famille de M. Colin, à qui nous adressons nos plus vifs remerciements.
Cette lettre constitue un témoignage unique et inédit de cette semaine du 8 au 15 août 1914.
 


Paris, le 25 décembre 1914

Mon cher ami,

Une des plus grandes joies que j'ai éprouvées dans la longue période tristesse qui dure depuis plus de 4 mois, c'est d'avoir reçu cette semaine tout le courrier qui me fut adressé à Blâmont au début de la guerre, courrier qui était resté en souffrance à Nancy ou ailleurs. Un facteur de chez moi, réfugié et mobilisé comme tel au bureau central de Nancy, a eu l'heureuse idée de le rassembler et de me le faire parvenir à mon lycée. C'est ainsi que je viens d'avoir le plaisir de lire tes deux bonnes lettres. Merci, mon bon gros, d'avoir eu la pensée de m'offrir l'hospitalité chez toi. Grâce à Dieu, j'ai pu regagner, non sans peine, la Capitale et réintégrer mon chez moi où je suis avec tous les miens, ma belle-mère et sa bonne et deux dames amies de Blâmont qui avaient gagné Bayon où le mari de l'une est mobilisé comme médecin à 4 galons à l'hôpital - dit temporaire - un temporaire qui dure malheureusement plus qu'on n'aurait cru.
Partis de Paris le 25 juillet pour la Lorraine sans nous douter que le guerre allait éclater, nous n'avons pas voulu quitter notre Blâmont, où notre mère souffrante voulait à tout prix rester parce que, disait-elle, les Prussiens ne lui ayant rien fait en 70, il n'y avait aucune raison pour que cette année ils agissent autrement. Elle a bien vu, la pauvre femme, si la mentalité était la même. Je ne te narrerai point nos angoisses des premiers jours d'occupation, elles furent continuelles, jour et nuit on tendait le dos, s'attendant à être massacrés. C'est le 11 au soir, après leurs échecs sur la route de Lunéville d'abord, au-delà de Badonviller ensuite, que la fureur des Allemands, les a conduits aux pires excès. C'est le 13 que nous eûmes personnellement à en souffrir. Après avoir brisé à coups de fusil nos fenêtres, occasionné un incendie partiel dû à ce que la suspension de notre salle à manger fut pulvérisée et le pétrole enflammé, ils envahissaient nos appartements et nous arrachaient d'une chambre située au fond de la maison, dans laquelle nous nous étions réfugiés - en chemise - pour fuir la fusillade. Perquisitions dans tous les coins pour découvrir des armes qui ont, parait-il, servi à ma seconde fille, à tirer par la fenêtre du salon sur des hommes et chevaux dont deux ont été tués !!! - Ni hommes ni chevaux n'ont pâti de l'adresse de ma fille - tu le devines. Le motif parait si bête au chef de la prévôté chargé d'enquêter sur nos faits et gestes qu'il ordonne à la horde de filer et surtout de respecter nos personnes et nos biens. On se retire, mais à regret. A peine l'officier de la prévôté est-il parti, qu'une autre bande furieuse, conduite par un officier brise à coups de crosse les glaces du magasin de notre locataire du rez-de-chaussée, nous oblige à rouvrir nos portes qu'on nous avait fait fermer et nous envahit en nous frappant et insultant. Cette fois c'est moi le coupable. Ma fille aînée qui proteste en me tenant par le cou est abattue à mes pieds d'un coup de crosse à la tête ; la rage me prend, mal à propos, car on me gratifie d'un coup analogue, le sang gicle et me voilà trainé sur la place dans mon léger costume de nuit. Pendant plus d'une heure on m'insulte et me brutalise, pendant que chez moi on frappe mes femmes qu'on aplatit à terre et qui assistent au sac de notre intérieur. C'est en entendant les cris de mon monde que j'ai apostrophé le truand qui m'insultait et m'a craché la réponse que tu connais. Toutes les recherches n'ayant rien donné - et pour cause - on s'est décidé, après m'avoir collé au mur et m'avoir fait faire connaissance avec les canons de révolvers et les baïonnettes, à me conduire à la mairie devant un Capitaine instructeur qui fut suffisamment édifié par mes réponses pour m'éviter le peloton, me faire enfermer durant la nuit au poste en attendant que le Général décide de mon sort. Douce nuit, je t'assure, en compagnie de notre curé et du maire que l'on m'a amené à minuit. A peine étais-je enfermé, on fusillait un cafetier alsacien revêche, qui avait pris peur, s'était sauvé de chez lui et avait été pris au moment où, dans une ruelle, il se faufilait dans une maison amie. Trouvé porteur d'un révolver il n'y a pas coupé. C'est un facteur de ma délivrance : ils avaient une victime, cela leur a suffi. Au matin on nous fit défiler devant la cervelle du bonhomme collée au mur maculé de sang et on nous exposa qu'un autre habitant allait probablement subir le même sort. La chose fut portée à la connaissance des habitants par le tambour de ville. Ma femme, affolée, courut chez le Général sur le conseil que lui avait donné un brave soldat allemand parlant bien le français qui la veille au soir s'était montré très humain pour moi et s'était chargé - après demande au Capitaine - d'aller rassurer les miens. Après deux démarches ma pauvre femme avait l'assurance qu'on ne me fusillerait pas. Vers 8 h on nous change le poste et l'officier qui le commandait - une espèce de jeune brute. On nous donne un jeune lieutenant causant le français qui me voyant en piteux état m'a fait gentiment [mot souligné dans le texte] fait conduire chez moi pour m'habiller et me soigner. La scène à la maison quand j'en suis reparti fut ce que tu devines, elle a ému jusqu'au larmes l'un des deux soldats qui m'accompagnait. Ces deux hommes seront très bons pour moi jusqu'à ma mise en liberté. A 9 heures, défilé au château devant le Général - nous étions une douzaine ; on avait adjoint au curé et moi 10 bonshommes cueillis le matin dans la rue. Parqués sur la terrasse du château d'où la vue s'étend au loin, nous voyions se dérouler la bataille qui, tournant à notre profit, obligeait les Allemands à filer. Vers 3 h quand le gros de leurs troupes eut évacué la ville, on nous fit partir en arrière-garde . C'est sous les obus des nôtres, en longeant les tranchées occupées par les tirailleurs boches, sous leurs insultes que nous avons fait, par un soleil de plomb, le chemin qui nous séparait de la frontière. Nous avons cru bien des fois notre dernière heure venue, surtout, lorsque, arrivés à la frontière, obligés de nous arrêter à l'entrée du village de Gogney dont les rues étaient encombrées de troupes et de matériel qui filaient plus loin, on nous a jetés, tel des animaux, sous les caissons de deux batteries d'artillerie en position un peu plus haut. Quelles minutes ! Heureusement les obus éclataient trop haut. Nous avons pu pénétrer dans le village où on nous a enfermés dans l'église pour y passer la nuit. Cette église est à une extrémité du village barrant en quelque sorte un couloir en pente raide descendant des côtes très accidentées qui dominent la route d'Avricourt à Blâmont par où notre infanterie devait arriver. Elle y fut hachée, dut s'arrêter et même rétrograder - ce qui permit aux boches de s'en aller s'en être inquiétés - et c'est ce qui nous sauva. Le matin du 15 août - je m'en rappellerai longtemps je t'assure, le capitaine de notre escorte me priait de ramener mes compatriotes à Blâmont.
Notre voyage de retour fut plus gai mais pas agréable, nous traversions le champ de carnage : ce n'est pas précisément beau. A 10 h j'étais à la grand'messe du 15 août.
Nos troupes arrivaient en masse et fonçaient sur les pays annexés - trop hâtivement - la suite l'a bien montré. Nous avons vu s'engouffrer tout le 8e corps avec des équipages de grands ponts, tous ses services : je puis te dire qu'à ce moment, le 20 au matin, nous avons cru à la fin rapide de cette atroce guerre. Hélas ! le même jour à 6 h du soir on reculait. Le 15e corps avait flanché à Morhange, les nôtres avaient trinqué sur les côtes en avant de Sarrebourg : c'était la retraite. Ce soir là le commandant chef du train de ce corps d'armée que nous logions depuis 4 jours, n'était pas rassuré. A 2 h du matin, il avait donné l'ordre de filer à 9 km en arrière et me conseillait de faire partir ma belle-mère que les brutes avaient estropiée du bras droit et mes deux plus jeunes enfants. Après bien des tergiversations le Dr mobilisé à Bayon qui était venu voir sa femme la veille en auto, se chargeait d'elles et me les emmenait chez Genay à Bellevue-Lunéville. A 6 h du matin, le commandant me disait de filer avec lui ; au galop on fit quelques petits paquets, on sauta sur une voiture de meunier réquisitionnée et portant des sacs d'avoine et en route pour l'exil. C'est certainement ce que j'ai vu de plus triste. De longs convois de blessés ramenés dare-dare en arrière, étendus vaille que vaille sur des voitures à échelles, officiers et soldats mêlés. Cependant que le canon tonnait dru et se rapprochait de façon inquiétante. Arrivés à Herbéviller qui devait être le but de notre reculade - ordre de filer sur Rambervillers en quittant brusquement la route de Lunéville pour obliquer à travers champs. Nous avons failli y perdre ma fille aînée qui dans une descente rapide tomba, tant on était secoué, sous les pieds des chevaux et les roues de notre voiture : c'est à la poigne du Tringlot qui nous conduisait qu'elle doit la vie. Nous avons eu la chance de trouver à la gare d'Azerailles un train qui nous a emmené à St Dié et de là à Epinal où nous avons couché. Le lendemain je partais pour Bayon retrouver mon Dr, savoir ce qu'il avait fait des miens. Nous y apprenions par un adjoint de gendarmerie que les prussiens, descendant le Sanon, brûlaient Maixe, Crévic et qu'on se battait ferme. Et en effet le canon se mettait de la partie et 30000 h alpins qui avaient été débarqués la nuit, filaient à la rescousse. C'est sous la mitraille qu'on est parti en auto chercher le reste de ma famille à Lunéville. A 5 h après bien du mal nous étions tous réunis mais plus de train pour nous emmener. Heureusement, le pont de Blainville ayant été démoli par les nôtres, un train garé à Einvaux a dû rétrograder, et çà 6 h, nous filons sur Epinal de nouveau. Il était temps. Ce soir là à 8 h, tous les services, hôpitaux... évacuaient Bayon. D'Epinal, nous avons filé sur Neufchâteau, Chaumont, Troyes et Paris. Mais quelle lenteur !! Un instant j'avais eu l'idée de filer par Pagny s Meuse. je me serai surement arrêté à Bar - car notre idée était qu'on pourrait retourner assez vite au pays. On avait laissé tout là-bas, tu sens ce qu'on éprouvait et l'état d'esprit dans lequel on était. Depuis ce jour néfaste, les boches n'ont pas quitté Blâmont, et, si j'en crois les tuyaux divers qu'on recueille de droite et de gauche, il n'y aurait plus un seul habitant, ils auraient été évacués en Allemagne. Nos maisons sont vidées et en grande partie brûlées. Qu'est devenue la nôtre ?? Et les vignes ? et les houblonnières ? Nous en avions 3 ha d'un seul tenant avec une superbe récolte cette année. Ce ne sera rien si la victoire nous vient, éclatante et décisive. Mais que c'est long, long à venir, Grand Dieu ! Une lettre de Baccarat m'apprenait cette semaine que nos troupes font évacuer les villages en avant de chez moi ce qui semblerait indiquer une action prochaine. Sera-ce la bonne, la vraie ? J'ai repris mon service - le travail fait oublier bien des tristesses - n'empêche que le cafard trotte quelques fois dans le cervelet. Quant à vous, si vous ne les avez point vus, vous les avez sentis. Mon beau-frère, vétérinaire, navigue encore dans les environs, du côté de Bussy-la-Côte. Il s'y fait des cheveux.
Espérons, mon cher ami, que pour les vacances prochaines nous pourrons nous retrouver là-bas. Sera-ce au St Odile français ? Je le souhaite de tout mon coeur et me proposerais bien pour y servir la messe au plus humble de nos prêtres revenus de captivité tel ce brave curé de Chavigny, mon ami Birkel à qui j'ai rendu le service là haut précisément et qui a été pris à Morhange tout au début de la campagne. Souhaitons-nous, avec la santé pour tous les nôtres de vivre et de respirer à l'avenir, dans une France purifiée et vivifiée - débarrassée enfin du cauchemar qu'entretenait ce sale peuple - Ce Vollkuturvolk comme il s'intitule. - Compliments affectueux de tous les miens à ta famille et à bientôt de tes nouvelles. Revenu de loin je t'embrasse bien cordialement mon bon gros.
J. Colin

 


 

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